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Les nouveaux commandeurs

Tony Mardaye

Grève février 2009

Fort-de-France février 2009. Photo © Pyépimanla.

L'adage dit: Gouverner c'est prévoir! Cet aphorisme  s'adresse aussi bien au bon père de famille, qu'à nos gouvernants. Remarquez, si le terme gouverner nous est familier et facile de compréhension, par contre prévoir  revêt plusieurs acceptions, j'ajouterai plusieurs dimensions.

Tout d'abord, prévoir se définit par: «juger et éventuellement annoncer qu'une chose arrivera (par clairvoyance, intuition ou par induction, raisonnement logique, calcul, mesure, connaissance scientifique.)»

Pour les  synonymes on en dénombre au moins   trente cinq dont: «s'attendre, augurer, prédire, présager, prophétiser, pressentir, pronostiquer...»

Quant aux dimensions, elles sont de l'ordre de la divination  (augurer, prédire, prophétiser, deviner, conjecturer...) ou de l'ordre du ressenti (pressentir, anticiper, imaginer, penser, flairer, sentir.) et enfin de l'ordre de la planification (administrer, planifier, calculer, organiser, préparer voire  gouverner.)

Si «gouverner c'est prévoir» ceci  influe que les gouvernants se sont dotés, outre du recours à l'astrologue ou au voyant, d'instruments leurs permettant de prévoir les événements (crises, catastrophes, révoltes, révolutions...) dans un souci d'une meilleure gouvernance ou d'une meilleure réponse à une situation de crise.
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Les instruments sont pour la plupart connus du grand public, l'INSEE, les différents Conseils Economiques et Sociaux, les services secrets, les polices politiques, les instituts de sondages, instituts ou organismes faisant de la prospective, de démographie, universités...

Hors de ces instruments étatisés ou vivant de la commande publique, les gouvernants disposent  des conseils des intellectuels ayant accès à l'espace public médiatique. En effet, on présuppose qu'ils sont en lien direct avec la réalité de terrain et  des populations quant il s'agit de sociologie, d'économie, du fait religieux, de la santé, des relations politiques et internationales, etc.

Ils  interviennent  dans tous les champs de préoccupations d'une société, leur légitimité est conférée certes par un diplôme dans le domaine de compétence de leurs interventions, mais pas seulement, en fait le diplôme est une donnée mineure dans cette construction de légitimité ou de reconnaissance, c'est leurs pairs et leur public qui les adoubent.

Il ne suffit pas d'écrire pour avoir cette considération, ni d'afficher des titres universitaires pour être reconnu.  C'est parce qu'on reprend leurs propos, leurs articles, diffusés, contestés,  débattus qu'ils acquièrent ce sésame.

Voilà un autre instrument sur lequel  les gouvernants peuvent s'appuyer, car dans chaque administration il y a un service d'archivage qui transmet tous les matins aux directions une revue de presse.

L'espace public médiatique s'étant élargi avec l'introduction des  nouvelles technologies de l'information, les individus récoltant les articles, les éditos, les critiques, ont eu un surcroît de travail à cause de la massivité de l'information qu'ils ont à traiter, c'est pourquoi dans certains services des collectivités étatiques et territoriales des cellules de «veille Internet» ont été constituées.

Avec tous ses instruments permettant à nos gouvernants de prévoir les évènements à court ou à moyen terme (personne ne sait  le faire à long terme), ceux-ci auraient dû être en position de mieux gouverner, de répondre aux attentes des populations, de leurs électeurs ou dans la résolution des problèmes ou des conflits.

En réalité, il n’en est rien!

Prenons le cas des grèves qui secouent les Antilles françaises (Martinique et Guadeloupe) malgré les signaux radiophoniques lors des émissions accordant la parole aux  auditeurs, malgré les écrits dénonçant les turpitudes  et les abus de positions dominantes faisant que la vie est extrêmement chère, le coût des produits par rapport aux revenus d'une partie des habitants ne leur permet pas de vivre décemment.

La faiblesse de la construction de logements sociaux crée des tensions, car tous les efforts sont portés sur la création de logements privés en défiscalisation, achetés directement sur Internet par des allogènes, lorsqu'ils sont mis en location trouvent difficilement preneur, car bien trop cher pour les Antillais, population ayant à supporter une double exclusion, celle de la consommation et de la location, quant à l'acquisition de logements, ils répondent à des mécanismes incompris jusqu'à maintenant.

Des retraités  n'en pouvant plus de la pression fiscale, car ayant des retraites misérables pour le plus grand nombre, les plus débrouillards et  les plus vaillants de 72  à 77 ans travaillent, d'autres  se contentent quand ils ont un jardin de planter des légumes, des salades, d'élever des  poulets, des chèvres,  des moutons, tout ce qui leur permet de pouvoir subvenir à leurs besoins alimentaires et à l'occasion  vendre une bête pour se renflouer. J'ai rencontré des personnes âgées qui pêchaient sur le bord de mer pour se nourrir, activité de plus en plus difficile à cause de la destruction des mangroves.

Nous avons une population en voie de paupérisation, une population qui s'appauvrit. Des jeunes sans perspective, des diplômés écartés de l'emploi au profit des Français de l'hexagone, en effet les békés pour des raisons qui leurs sont propres, notamment par racisme n'embauchent pas ou peu de cadres antillais, ils sont suivis en cela par certains groupes ou entreprises françaises. Ces jeunes diplômés se retrouvent à être employés  partout dans le monde sauf chez eux.

Nous sommes dans un système sociologique  complexe mâtiné de racisme, avec des groupes de populations en fonction de leur couleur de peau vivent les  uns à côté des autres sans jamais se mélanger.

Cela fait trois ans que ces travers sont dénoncés, disant qu'ils seront le ferment de violences futures,  car les Afro-antillais ne se laisseront pas dépouiller sans réagir.

Nous avons ces politiques qui ne voient rien, n'entendent rien alors qu'ils ont en main les analyses et sont apparemment à l'écoute des populations,  alors qu'est-ce qui explique cela?

Plusieurs facteurs:

  • tout d'abord, ils ont une gestion privée de la chose publique. Pas besoin de développer, je pense que cela se comprend. Des fois ils sont englués dans des idéologies surannées, parfois ce ne sont que de simples exécutants obéissant à leurs mandants, quelques fois ils sont simplement des médiocres, des voleurs et des menteurs.

Il m'arrive de me dire qu'ils ne sont que de simples commandeurs d'habitations et leur vision du monde s'arrête à la limite de cette habitation.

Leur horizon est plus que restreint ores que leur appétit de pouvoir se décuple.

Tony Mardaye

Viré monté