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La montagne rouge / 27

Deuxième partie

José Le Moigne

Rouge 27

Photo José Le Moigne.

Au même instant, les joyeux drilles du commando, toujours riant, chantant et plaisantant, comme des fauves repus, le mufle encore sanglant reviennent de la chasse, retrouvaient leur tanière. Pourquoi auraient-ils respecté le repos des habitants du bourg? Tout leur était permis. L’étau était tellement serré qu’il n’y avait d’autre solution pour exister que de faire le dos rond. Les jours meilleurs seraient pour qui saurait attendre.

Scrignac se serait épargné le pire si certaines têtes chaudes, des jeunes gens impatients d’en découdre s’étaient tenues à ce principe. Certes, ça hérissait le poil de voir, un jour de fête nationale, deux officiers de l’intendance forcer les portes de la mairie en exigeant, comme s’ils n’avaient déjà tout pris, l’utile comme le superflu, leur tribut de seigneurs de la guerre. Mais s’emparer de leur personne, les entraîner dans les taillis, les exécuter avec leurs propres armes puis faire disparaître les corps dans une fosse dissimulée sous des branchages laissés là par des bucherons, ce n’était pas se conduire en héros de la Résistance, mais en gamins inconséquents. Si encore ils avaient terminé le boulot! Au moins auraient-ils laissé une chance au maquis d’organiser la défense de la ville, mais il aurait fallu qu’ils songent à faire table rase, à ne laisser vivant aucun soldat allemand. Or, à peine eurent-ils rejoint le bourg, qu’ils furent accueillis par une volée de balles crachée par les mitraillettes du chauffeur et d’un homme de la Gestapo assis auprès de lui.  Ainsi, dans leur empressement à liquider les officiers, ils n’avaient neutralisé l’escorte. À présent il prenait la mesure de leur légèreté. Dans un délai très proche, le duo qui fuyait avec la rage aux tripes, allait donner l’alerte. Déjà que l’on était sur la sellette avec l’assassinat de Yan-Vari Perrot.  

Évidemment, cela ne manqua pas. Moins d’une heure plus tard, les rescapés de l’embuscade arrivèrent à Bourbriac où ils furent accueillis par un Roeder plus raide que jamais. Aussitôt, l’officier se retira pour téléphoner à l’État-Major de forces allemandes en Bretagne qui se trouvait à Pontivy.

— Entrez! dit-il au bout de dix minutes.

Il fit asseoir les messagers et venir Daigre et Chevillotte.

— Scrignac ne perd rien pour attendre, dit-il avec un œil mauvais. Le colonel Bardell et ses blindés légers vont arriver. C’est lui qui commandera l’opération, mais, pour vous, cela ne changera rien. Sur le terrain vous continuerez à prendre vos ordres de moi. Jusque-là, occupez-vous des prisonniers. Tirez d’eux tout ce que vous pouvez et puis videz la cave.

Jamais mission ne fut mieux accomplie et ce soir, en retrouvant la maison du notaire, Bleiz était heureux. Dans quelques heures l’abbé Perrot allait être vengé.

Dès l’aube, Roeder alla frapper à la porte du maire. À juste titre paniqué, Yves Le Couster enfila sa robe de chambre, mis un peu d’ordre dans ses cheveux, puis, en s’efforçant de ne pas réveiller son épouse qui semblait enfoncée dans un sommeil profond, il entreprit de descendre. Il regarda au passage le cadran de l’horloge trônant au pied de l’escalier. Cinq heures.

— Iffig, dit sa femme parfaitement éveillée, rappelle-toi, personne n’est jamais venu ici.

Ainsi, elle pensait elle aussi que l’officier venait pour lui. Oh, il n’était pas un bien gros Résistant, un de ceux à qui on offrira, la guerre terminée, un nom de rue ou bien de place. Lui s’était juste contenté de mettre sa maison à la disposition des responsables clandestins ayant besoin d’un point d’appui dans leurs missions de liaison. De la même façon, sans bouger de son bureau, avait-il participé, en hébergeant le commando parti de Saint-Nicolas-du-Pélem, à la libération de Jean le jeune, chef FTP des Côtes du nord, prisonnier à Lannion. Alors, pour lui et son épouse, plus au courant qu’il ne l’aurait souhaité, Roeder venait pour l’arrêter et peu importe qu’il soit le maire. Pourtant, à son très grand étonnement, le lieutenant, sans prendre la peine de saluer, se contenta de lui tendre, d’un geste peu amène, le trousseau de clés du notaire.

— Tenez, j’ai autre chose à faire, dit-il en haussant le sourcil comme s’il portait monocle, vous les rendrez à leur propriétaire.

Sur ces mots méprisants il tourna les talons.

Le lieutenant se dirigea droit vers la file de voitures qui, moteurs déjà en marche, attendaient devant la maison du notaire. Son regard s’arrêta sur les miliciens bretons déjà installés, le doigt sur la détente de leur arme. «Des gueules comme je les aime», se dit-il en s’asseyant dans la voiture de tête. Tous les regards convergèrent vers la place où les blindés légers du colonel Bardell, silhouettes alanguies de sauriens faussement endormis, attendaient le signal. Roeder plia le bras, leva et descendit son avant-bras trois fois. Les moteurs ronflèrent, les voitures s’ébranlèrent et les blindés prirent leur essor dans un dans un couinement géant qui fit trembler les murs.

José Le Moigne

Août 2012

Troisième partie

boule

 Viré monté