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« Mon destin est d’être entre deux rives »

Entrevue réalisée par Alex J. Uri
rédacteur en chef
Direction de l'Information régionale
France Télévisions

Alex J. URI

Alex J. URI : José le Moigne vous êtes ce breton noir, poète, écrivain et chanteur compositeur. Vos publications nous viennent notamment de chez Ibis Rouge. Vous avez été l’ami de Joseph Zobel dont le roman «Rue Case Nègres» a inspiré la réalisatrice martiniquaise Euzhan Palcy. Vous avez les pieds en en métropole mais votre cœur semble s’accrocher à la Martinique. Dans ce contexte là, comment revendiquer sa filiation à la littérature antillaise?

José le Moigne : La question que vous posez-là est une question difficile car elle touche au domaine de la légitimité. En d’autres termes, est-il légitime d’affirmer son appartenance à la littérature antillaise lorsque l’on vit et écrit hors de l’archipel caribéen. Naturellement, ma question est oui et, ceux qui me lisent, je crois, n’ont pas ce genre d’ostracisme. Cependant, je n’écrits pas que sur la Martinique. Par exemple, mon roman en cours, La Montagne rouge, a pour sujet la Bretagne pendant l’occupation. Force m’est de constater que lorsque que je sors des Antilles mon éditeur, pour des raisons commerciales que je comprends, ne suit pas. Or, je ne suis pas moins écrivain antillais quand je parle de la Bretagne qu’écrivain breton lorsque je traite des Antilles. Mon destin est d’être entre deux rives, ce qui ne veut pas dire que je navigue à vue. Je connais bien mes ports d’attache.

Un autre port d’attache pour les Afrodescendants, c’est aussi NANTES, lieu hautement symbolique de la traite des noirs. Là bas, vous avez participé à une soirée poétique ce qui semble indiquer que vous accordez aujourd’hui un plus de place à la poésie. Quelles sont vos impressions en retrouvant des racines mais aussi un plaisir qui s’affirme?

Nantes est historiquement la capitale de la Bretagne, j’y ai vécu. C’est aussi la plus célèbre des villes négrières. Le 29 mars y sera inauguré le mémorial de l’esclavage. Mon récit: «Tiré chenn -la an tèt an mwen, ou l’esclavage raconté à la radio» commence par ces mots: «Cette année là, Nantes était en mal de repentance. On jetait des couronnes dans la Loire à la mémoire des esclaves dont le martyre avait fait la richesse de la ville. Au château des ducs de Bretagne, la municipalité avait promu une exposition intitulée «Les anneaux de mémoire». Quelle ironie pour nous qui, pendant des siècles, avions connu l’affreux collier de servitude. C’est assez dire par là à quel point l’invitation du Centre Culturel Louis Delgrès et de l’association Mémoire de l’Outremer avait de l’importance pour moi.

En ce moment, la poésie occupe la première place de mon chemin d’écriture. C’est aussi un retour aux sources de ma sensibilité profondément métisse. Elle me renvoie aussi à votre première question. Contrairement à la prose la poésie permet d’être à la fois, sans discours réducteur, en Martinique et en Bretagne. Il en était déjà ainsi dans mes tous premiers textes écrits vers ma douzième année et ce n’est pas pour rien que mon premier recueil, paru en 1966, s’intitule «Polyphonies ….»

On l’appelait Surprise c’est l’intitulé de votre dernier roman. S’agit-il là d’un retour aux sources ? On a l’impression d’un long cheminement intérieur. Que voulez vous nous dire à travers ce roman?

En Martinique, nous n’avons pas Delgrès, ni Dessalines, ni Christophe, ni Toussaint Louverture. Nos héros sont mal connus et c’est un devoir de leur rendre la place qu’ils méritent. Ainsi en va-t-il de Lumina Sophie, dite Surprise, femme-torche des révoltes paysannes de 1870, Jeanne d’Arc et Louise Michel créole. On m’appelait Surprise raconte l’histoire de cette femme. C’est aussi un hommage à ceux et celles qui par leurs luttes nous ont fait. Pour moi, peut-être du fait de ma double culture, il a toujours été important de m’inscrire dans des filiations. C’est aussi ce qui faisait la force de ma relation avec Joseph Zobel.

Vous savez, semble-t-il compris avec Joseph Zobel le triangle de votre identité?

Joseph Zobel m'a aidé à comprendre et accepter que notre présence en (comment dire: France? Métropole? Hexagone?) était une manière d'achever le triangle et que... nous n'étions pas moins Martiniquais pour autant. Il y a un destin migratoire de l'Antillais (Marie-Andrée Ciprut), mais nous restons, quelque soit la partie du monde que nous nous approprions, porteurs d'odeurs, de gestes, de paroles et de rituels et nous devons la transmettre à nos enfants pour que la tracée perdure, même si la vie nous a fait perdre l'usage de notre langue maternelle.

 

José LE MOIGNE est né en 1944 à Fort-de-France d'une mère martiniquaise et d'un père breton.

Il passe son enfance et son adolescence à Brest qu'il quitte pour exercer sa profession d'éducateur et de directeur au sein de la Protection judiciaire de la Jeunesse au ministère de la Justice.

Poète, chanteur-compositeur, dessinateur et romancier, il est l’auteur de Chemin de la mangrove (L'Harmattan - Lettres des Caraïbes, 1999), «Madiana» (Ibis Rouge, 2001) et Tiré chenn-la an tèt an mwen, Ou l'esclavage raconté à la radio (Ibis Rouge, 2004).

José LE MOIGNE s'est lié d'amitié avec Joseph ZOBEL en 2002, après lui avoir envoyé, en gage d'admiration, son roman "Madiana" est actuellement en cours d’écriture de «Joseph ZOBEL, Le cœur en Martinique et les pieds en Cévennes»*, un livre où il évoque son amitié avec l’homme de lettres martiniquais.

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