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Lettre à Mariam

Umar Timol1

je ne te connais pas, Mariam2, mais je sais ce que les yeux d'un enfant recèlent, je sais qu'il s'y trouve la force de l'innocence et les égéries de l'espoir, je ne te connais pas, Mariam, mais je suis père et je sais l'amour des enfants, je sais qu'il n'y a rien de plus beau, je sais que cet amour est un lieu de dépaysement, qui ramène à l'essentiel, que cet amour engendre un bonheur parfois si virulent qu'il rend égoïste, indifférent mais qu'il est nécessaire et qu'il donne sens à la vie, à ma vie,

je sais, Mariam, que le meurtre d'un enfant est le meurtre de cette trace qui conjugue les frontières, de cette trace qui noue les entrailles de nos rêves, de ce dérisoire qui rend l'humain possible,

je n'ai, à vrai dire, pas grand-chose à te dire, Mariam, ce monde, je te l'avoue, me parait bien étrange, indéchiffrable parfois, je me contente de mes petites conquêtes, je me nourris de mes chimères, je ne suis ni meilleur, ni pire que les autres

mais j'aimerais, aujourd'hui, crier ma révolte,

c'est sans doute naïf, je n'ai, vois-tu, que ces mots et ils ne peuvent rien et on me reprochera, à nouveau, d'être plus sensible aux problèmes de ton peuple, c'est peut être vrai, je ne m'en cache pas et il est étrange de constater que certaines révoltes réclament un justificatif mais ce n'est pas très important, on sait qu'il y a des intolérances qui avancent masquées, qui se cachent derrière de beaux discours, on sait aussi ce que sont les hommes mais ce n'est pas important, Mariam, il faut parfois savoir taire le futile,

j'aimerais, aujourd'hui, Mariam, crier ma révolte,

dire à ceux qui pourfendent ton peuple qu'il est temps d'arrêter, qu'il faut arrêter le massacre, la destruction de l'autre, le mépris de l'autre, qu'on ne peut continuer ainsi à bafouer vos droits, à violer vos terres, qu'on ne peut ainsi vous emprisonner, vous affamer, vous bombarder, qu'on ne peut vous parquer dans des ghettos, comme des bêtes, qu'on ne peut, et je pèse mes mots, procéder à un génocide lent,

j'aimerais, aujourd'hui, Mariam, crier ma révolte,

leur dire que je leur reconnais le droit à la mémoire de la souffrance, et c'est une mémoire que je partage, mais qu'elle ne justifie pas qu'on inflige une même souffrance à des innocents, leur dire qu'ils ont droit à cette terre, on ne pourra retourner en arrière, mais que cette terre doit être un lieu de partage, que cette terre doit servir à réconcilier, à souder et non pas à diviser, leur dire que la sagesse de la souffrance nous apprend la compassion et non pas ces ruines qui affligent la mitraillette et le sang, leur dire qu'il faut arrêter la logorrhée des discours qui rationalisent le Mal, leur dire qu'un autre cheminement est possible, qu'il suffit d'envisager l'autre comme un humain,

j'aimerais, aujourd'hui, Mariam, crier ma révolte,

dire à ceux qui se taisent qu'ils sont complices,

dire aux pays qui ont les moyens de tout changer qu'ils sont complices,

dire aux intellectuels qui préfèrent ne pas voir, ne pas comprendre, qu'ils sont complices

dire qu'il faut briser la conspiration du silence, qu'il faut en finir avec l'indignation sélective, l'hypocrisie des puissants, qu'il faut cesser le langage travesti, ce langage qui fait du meurtrier un faible et de l'opprimé un terroriste, dire qu'il faut enfin nommer ces exactions pour ce qu'ils sont,

barbarie,

apartheid,

ne crois pas, Mariam, que je cède pour autant à la tentation de la haine, ce n'est pas le cas, loin de là, je crois aux mots de ce grand poète récemment disparu, Césaire, mots qui disent, 'mon cœur, préservez-moi de toute haine, ne faites point de moi cet homme de haine pour qui je n'ai que haine' et j'ai cette foi, naïve peut-être, en l'humain, je crois que nous partageons une humanité commune, irréductible, inaltérable, je crois qu'il y a des solidarités qui se nouent au-delà des différences, je crois à la nécessité du dialogue, je crois au pouvoir des rencontres et des mélanges, je crois qu'il se trouve des gens de bien en tous lieux,

il ne s'agit de haïr, Mariam, loin de là, il s'agit de résister,

de résister sans jamais perdre conscience de l'humanité de l'autre,

je ne te connais pas, Mariam, mais je sais que tu subsistes dans les yeux des mes enfants, de tous les enfants,

je sais ou je crois savoir qu'on se verra un jour dans un lieu où les enfants peuvent fouler la terre sans avoir peur,

un lieu où dans leurs yeux sillonne le bleu,

bleu,

bleu si profond,

bleu qui dit le vouloir incommensurable de l'innocence

je sais que tout à l'heure, ce soir, demain, ils tueront un autre enfant mais je sais, Mariam, que tu leur pardonneras parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font,

je le sais, Mariam.

 Umar Timol

anis

Notes

  1. Umar Timol vit à l'Ile Maurice où il est né 1970. Il est l'auteur de La Parole Testament (l'Harmattan), de Sang (l'Harmattan) et publiera bientôt un nouveau recueil, Vagabondages, chez le même éditeur.
     
  2. Maryam Maarouf avait 14 ans. C'était une écolière comme il y en tant à Beit Lahiya, au nord de la bande de Gaza, avec son foulard et sa blouse stricte. Comme ses parents, ses cinq frères et ses quatre soeurs, elle a été réveillée, samedi 26 avril, vers 1 heure du matin par le bruit assourdissant des chars, des blindés, des bulldozers et des hélicoptères. Les Israéliens avaient franchi en force la frontière située à deux kilomètres. - Extrait de l'édition du 28 avril 2008 de LeMonde.

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