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La violence sexuelle et la prise de décision

Cécile Dolisane-Ebossé

Abstract:

Cette étude tend à montrer que la violence faite aux femmes provient de la vulnérabilité des femmes inhérente à leur marginalisation de l’ensemble des structures sociales. Cette stratégie bien entretenue trahit un sexisme substantiel dans la construction des rapports sociaux de sexe. Il faudrait alors repenser l’état en intégrant les femmes dans la gestion des affaires publiques afin qu’elles assument pleinement leur destin. De plus, une réflexion épistémologique doit être effectuée sur le sujet- femme comme devenir historique du continent africain et non comme un slogan au service des institutions patriarcales.

Introduction:

Evelyne Peyre et Michèle Fonton dans leur article intitulé: Interface: sexe biologique/sexe social soulignent que la répartition en deux groupes sociaux (hommes-femmes) distincts par leurs comportements et leurs rôles est comme fondée sur une bipartition naturelle, biologique de l’espèce humaine1. Cette conception dichotomique relève d’une construction historique créant ainsi un antagonisme permanent. C’est dire que cette division culturelle se confond avec l’oppression d’un genre par le sexe dominant. En se focalisant sur «l’éternel féminin» à partir de la catégorisation des individus, les traditions phallocentriques et gérontocratiques tentèrent de contrôler les espaces de pouvoir par la force en la légitimant par les mythes et la religion. La violence devient alors une stratégie patriarcale pour intimider les femmes. Dès lors, toute tentative de déviance ou de transgression, à savoir l’investissement dans les affaires publiques, la quête de l’autodétermination par le biais d’une indépendance financière ou d’une affirmation de son identité sexuelle est réprimandée par la famille et les institutions.

Mais comment la femme et la société peuvent-elles dénoncer la violence masculine? Quelles en sont les causes et les conséquences? Et comment y remédier? Les responsabilités sont-elles collectives ou individuelles? Dans une situation de précarité, de vulnérabilité féminine, comment la prise de décision peut-elle amoindrir la violence faite aux femmes?

Les outils méthodologiques et conceptuels susceptibles d’apporter une épaisseur d’analyse à notre recherche est la sociologie des conflits tirée d’Anthropo-logiques de G. Balandier2. Pour ce sociologue, le pouvoir masculin se fonde sur les antagonismes permanents et la confiscation du sexe ainsi sur la réappropriation du corps féminin au point que toute tentative pour la femme de mouvoir provoque en permanence une relation fort ambiguë oscillant entre l’attirance et la suspicion. Tout se passe s’il y avait une osmose entre la violence et la sexualité.

Nous tenterons pour cela d’expliquer en deux volets, la violence sexuelle, sa redéfinition, les précautions qui sont prises pour la juguler et l’impact de la prise de décision sur l’amélioration de la condition féminine.

I- La violence sexuelle

En partant de l’hypothèse de G. Balandier selon laquelle, la femme est une concurrence et une menace perpétuelle pour le pouvoir masculin, aborder le problème de la violence revient à dénouer un ensemble hétéroclite de faits sociaux et politiques ayant des répercussions idéologiques. De plus, la misère, la douloureuse condition féminine ou la fatalité d’une société qui survit dans des conditions précaires, entraînent immanquablement des frustrations. Il est alors établi que le micro espace scolaire est régi par la précarité, la débauche, la corruption, l’exploitation sexuelle et les brimades de tous genres. Mais le type de violence sexuelle à définir est celui retenu par les militantes des droits des femmes, à savoir: le viol, le harcèlement sexuel et l’inceste.

1. Le viol

Il apparaît clairement que le viol est un acte sexuel non consentant perpétré sur une femme (ou un homme) par une ou plusieurs personnes entraînant des dégâts psychologiques graves pour la victime qui intériorise son mal parce qu’elle cultive en elle le plus souvent une certaine inhibition ou la loi du silence. En effet, il y a très peu de femmes qui osent briser ce mur à cause des pesanteurs socio-psychologiques. Meurtries dans leur dignité et souillées dans leur corps, elles ont peur de la récidive de l’agresseur et des quolibets de la communauté. Elles ont honte et témoignent presque dans l’anonymat.

Il faut signaler que le manque de structure d’encadrement, d’un personnel qualifié ainsi que la persistance des normes attachées au statut de la femme et aux relations sociales de sexe vont amener progressivement les femmes à se taire.

Pour le cas de petits garçons qui violent les petites filles, on peut déduire sans ambages que c’est l’institution familiale qui est en crise. Autrement dit, il y a des défaillances ou tares éducationnelles dès la base. Il n y a pas que l’école pour véhiculer les valeurs du respect de la solidarité et de la justice, la société tout entière doit veiller à ce que l’école joue  un rôle prééminent dans la rééducation des citoyens afin que le respect mutuel imprègne les relations entre les hommes et les femmes. Cet effort commence d’abord dans la famille ensuite vient l’état par le biais de la télévision et par la mise en application d’un arsenal juridique qui réprime sévèrement les agresseurs et qu’en est-il du harcèlement sexuel?

2. Le harcèlement sexuel

En milieu scolaire, les filles sont régulièrement harcelées par certains enseignants peu scrupuleux, pour pouvoir bénéficier de bonnes notes et accéder en classe supérieure ou obtenir des diplômes. Il s’effectue régulièrement dans les milieux professionnels et les catégories plus exposées à ces moyens illicites, sont les filles célibataires et les divorcées.

Avec l’émancipation féminine et l’accélération de la vie moderne, son indépendance financière, il y a chez le masculin une sensation d’une perte de pouvoir, le tissu phallique s’effilochant de jour en jour. C’est dire que ce dernier cherche ce qu’on appelle en Women’s Studies «un mécanisme compensatoire»3.

Dans l’ouvrage intitulé: Ces femmes que l’ont détruit4, il y a comme une sorte de transgression face au conformisme masculin et patriarcal. L’homme ne veut alors voir la femme que dans son «éternel féminin» et tente de lui attribuer ses mérites par le sexe. Le harcèlement devient alors un moyen d’asseoir son pouvoir phallique par la violence. Situation que la société patriarcale à tendance à minimiser. On peut observer le nombre de pays qui ont ratifié la charte de la violence et les discriminations faites aux femmes. En d’autres termes, l’éclatement de l’espace privé vers l’espace public engendre des complexes insoupçonnés de la part des dominants. Certains hommes ayant perdu leurs emplois alors que leurs épouses travaillent, peuvent développer des frustrations de taille; lesquelles brimades se manifestent par des injures, la confiscation de leur argent.

3- L’inceste

Il peut provenir d’un homme oisif qui viole sa fille. Ce geste peut être interprété comme une sorte de défoulement pour exhiber sa soi-disant toute puissance, pour ne pas dire, ses honneurs perdus. Pour Awa Thiam dans Parole aux négresses, «c’est une violence phallocentrique qui vous fait croire que vous n’êtes rien sans l’autre qui a la culotte bien garnie»( Thiam, 168).

Au reste la violence sexuelle découle de nombreuses injustices faites aux femmes au point que les associations féminines et les  centres d’écoute tentent de lutter efficacement contre ces marginalisations pour construire une société égalitaire, respectueuse de la dignité féminine. Mais encore faut-il que la femme soit consciente de ses atouts, de ses responsabilités accrues pour pouvoir être capable de faire pression sur celui qui confisque l’espace politique. Ne s’agit-il pas pour elle, d’infléchir l’autoritarisme phallocentrique et d’empiéter les sphères décisionnelles?

4-La violence faite aux femmes et la prise de décision

Pour l’opinion courante, investir les lieux de pouvoir, lieux réservés aux hommes, n’est pas une sinécure, c’est de la pure provocation, de la subversion. Il lui faut donc en politique, de l’audace créatrice pour s’imposer, c’est- à- dire que cette femme «entêtée» doit être à même de braver les stéréotypes sexistes, en l’occurrence, la gestion des affaires publiques.

Or, cette adhésion massive est un impératif, car une nation qui se veut florissante et prospère ne peut voir le jour sans la capacité d’intervention des femmes et des hommes de manière réelle et substantielle. La promotion de la femme dépend alors d’elle-même au premier chef, de l’environnement éducatif, de son niveau d’instruction. Car une femme qui sait lire et écrire élève mieux ses enfants et le suivi scolaire de la progéniture sera bien plus rigoureuse et enfin des hommes. La femme lettrée qui participe à la prise de décision, peut changer le destin de femmes, et partant, le cours de l’histoire de l’Afrique. Elle peut donc peser de tout son poids sur les lois. Aussi, ces amazones devraient-elle s’intéresser à la chose publique.

La femme doit préalablement se débarrasser de ses complexes d’infériorité selon lesquels la politique est l’affaire des hommes. Elle doit démystifier ce domaine afin qu’il cesse d’être l’apanage du sexe dit fort. Il y a comme une sorte de ritualisation de la politique alors que toutes les composantes de la société doivent participer à l’édification de la nation. De ce fait, elle doit savoir exactement ce qu’elle veut sans jouer les complaisantes dans la mesure où la sous- représentation de la femme en politique influe sur les avancées des droits des femmes. C’est dire que les violences quasi ataviques sont, en partie, dues aux inégalités en termes de formation, d’emploi et de prise de décision. En effet, leurs revendications doivent être réalistes et pragmatiques et ne doivent aucunement se gargariser dans des exigences hasardeuses qui ne cadrent pas avec les réalités et les priorités de l’Afrique tout en se gardant de s’enfermer dans une «fémocratie suicidaire» qui exclue l’homme. Les revendications, il va sans dire, doivent être d’ordre démocratique, donc pour l’ensemble de la société. Car un homme violent qui considère sa femme comme un bouc émissaire est aussi une personne malade.

Toutefois, la promotion des femmes dépend aussi des hommes qui doivent progressivement admettre l’ascension fulgurante de leurs épouses dans les sphères de pouvoir qui va de pair avec les limites de la gestion androcentrée du monde. C’est donc d’une révolution sociale qu’il s’agit; révolution qui intègre les deux sexes. Pour cela, l’état doit y mettre du sien. Dans sa lutte contre la pauvreté et pour le développement durable, il doit effectivement œuvrer pour la parité, la scolarisation massive des femmes et surtout l’accroissement des revenus féminins pour réduire leur vulnérabilité socio-économique aux influences psychologiques néfastes à la créativité.

Conclusion :

En guise de conclusion, nous dirons que les inégalités hommes-femmes perçues à travers les mythes, l’histoire coloniale et postcoloniale sont fondées sur la violence des rapports sociaux de sexe, se refusent à l’altérité et au respect de la différence et sont souvent tributaire d’un conservatisme teinté ou criard. C’est ainsi que tout acte perpétré à l’encontre de la femme à savoir le viol, le harcèlement sexuel, l’inceste et passé sous silence doit être considéré, sans vergogne comme une forme de légitimation de la barbarie, donc comme une atteinte aux droits de l’Homme.

L’état doit mettre sur pied une recherche épistémologique, c’est- à- dire, constituer des équipes qualifiées à même de fournir des outils méthodologiques qui permettent de quantifier de manière fiable, la prévalence de la violence. Il faudrait donc aller au- delà des écrits et des discours afin que ces investigations débouchent sur des actions concrètes. Il ne s’agit pas uniquement de criminaliser ces actes odieux.

Les femmes doivent, en revanche, s’organiser efficacement en lobbies puissants pour défendre leurs droits en se montrant fermes et impitoyables dans la préservation de leurs acquis. Car beaucoup reste à faire dans la longue marche vers la libération féminine. Les manifestations qui visent à sensibiliser l’opinion publique sont l’expression d’une prise de conscience générale et méritent d’être encouragées.  La tâche, on le sait, n’est pas des plus aisées tant ces violences, elles-mêmes tributaires des inégalités séculaires consolidées parfois par les femmes, se répercutent naturellement dans toutes les structures de la société. Et c’est avec la Brésilienne Rosiska Darcy de Oliveira que les Camerounaises se sentiront solidaires des autres femmes du monde:

«Les intérêts des femmes sont représentés lorsqu’une fois au pouvoir, une femme serait capable d’agir en femme, défiant tout le stéréotype culturel qui infériorise la raison comme irrationnelle et la sensibilité féminine comme sentimentaloïde. Lorsque les femmes feront exister au sein du pouvoir, la culture féminine en négociant ouvertement avec la culture masculine.» (Rosiska,122)

Bibliographie sommaire

  • Balandier, G., Antropo-logiques, PUF, 1974.
     
  • Darcy de Oliveira, Rosiska, La culture des femmes. Tradition et innovation, Paris, UNESCO, 1992.
     
  • «Femmes et violence en Afrique» in la revue de l’AFARD, l’Association des Femmes pour la Recherche et le Développement, n°5, Dakar, mars 2005.
     
  • Fonton M. et E. Peyre «Sexe biologique/sexe social» Recherche sur les femmes et les recherches féministes, n°6, CNRS, 1987, p 4.
     
  • Labrys, Etudes féministes, N° spécial sur la violence.
     
  • Thiam Awa, Paroles aux nègresses, Paris, Gonthier, 1979.

Notes

  1. Fonton M. et E. Peyre «sexe biologique/sexe social» Recherche sur les femmes et les recherches féministes, n°6, CNRS, 1987, p 4.
     
  2. Georges Balandier, Anthropo-Logiques, Paris, PUF, 1974.
     
  3. Labrys, Etudes féministes, N° spécial sur la violence
     
  4.  «Femmes: violences conjugales» in Ces femmes que l’ont détruit. Amnesty International, PUB, 2000, PP 18-19.

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