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L’option de l’anonymat
Dans l’œuvre picturale
de Rachel Thadal

«Trouve quelque chose qui te passionne et tu ne travailleras pas un jour de toute la vie.» (Parole d’un sage)

 

 Marie Flore Domond

 

 

 

 

 

 

 

Rachel Thadal: Médecin, gestionnaire et artiste peintre 1er Prix Démos lors du gala de l’Académie Internationale des Beaux Arts du Québec (mai 2013).

 

Rachel Thadal

Personne ne désire jouer volontairement le rôle du personnage anonyme, une conception relationnelle qui peut s’avérer lourde de conséquences. C’est, d’autant plus, une contrainte désagréable pour l’artiste, qui ne parvient  pas à accéder au monde extérieur, comme si le contenu de sa création demeurait une page blanche.  Pour vivre de son art, l’artiste est lié,  malgré lui, au système productif qui exige de se faire un nom. Et la performance n’est pas forcément tributaire de la renommée. À défaut de reconnaissance, une œuvre souffre de l’anonymat.

 On entend par anonymat, évoluer dans un cercle privé, se soustraire à une identification précise, s’abstraire à toute affiliation et même de transmission. C’est également affiché un statut en dehors d’un état civil, du baptême et endosser à la limite un savoir être illégitime. Dans le cadre de l’art visuel et du champ potentiel  de ses métamorphoses comment rendre accessibles des personnages de l’esthétique dits anonymes!

On en arrive  au tournant de la relativité qui explique  l’option de l’approche des pseudos portraits qui font partie intégrante de l’ensemble des œuvres de Rachel Thadal. Dans son domaine de compétence, l’artiste fait jouer un rôle social déterminant à une partie de ses œuvres. Des êtres présents revendiquant leur absence sous le masque de l’anonymat. Il faut reconnaître surtout  l’originalité d’un style prôné par une femme des temps modernes.

Rachel Thadal

«Pure innocence»

Vous êtes une jeune artiste qui cultive l’attitude féminine par l’élégance de ses personnages. Direz-vous que vous exploitez la beauté pour arriver à vos fins?

C’est certain que j’exploite la beauté pour arriver à mes fins. Mais aussi étrange que cela puisse paraître, ce que je veux exposer dans mes personnages, ce n’est pas tant leur beauté que leur état d’âme. Voilà pourquoi j’ai des œuvres avec des titres comme La candide, La suffisante, Vague à l’âme, Emmène-moi… Souvent je reçois des remarques d’interlocuteurs qui trouvent qu’un titre ne cadre pas avec telle ou telle œuvre. Ce que je leur dis généralement c’est d’aller au-delà des apparences et de scruter les expressions, le regard de ces personnages. Si on se limite aux habits, c’est sûr que le titre ne fera jamais de sens.

L’artiste  ne peut qu’endosser sa démarche de diffusion, de communication. Pensez-vous alors que l’œuvre à elle seule impose  un devoir d’éducation au public?

Lors d’une exposition d’œuvres d’art, l’artiste est généralement confronté à différents types de visiteurs. Certains sont parfaitement avisés, et d’autres se présentent comme étant des néophytes en matière d’appréciation ou de critique d’art. Toutefois, l’art en soi est un domaine très suggestif qui laisse place à des interprétations. Personnellement, je conçois que l’art visuel n’est pas si facile à cerner. Il m’arrive de constater que la plupart des visiteurs ne se sentent pas à leur place et ont l’impression d’être délaissés, livrés à eux-mêmes. C’est là que ma démarche de communication prend tout son sens. Cela me permet d’engager une conversation afin de les informer, les  éduquer.

Rachel Thadal Rachel Thadal
«Belle en plein air»      «L’élégante»
                          

Vous parlez ouvertement du concept de l’anonymat, alors que vous travaillez précisément sur la projection de l’image presque parfaite. Comment expliquez-vous cet angle paradoxal?

Anonyme pour moi n’est pas synonyme d’imperfection. C’est plutôt synonyme de «sans nom»,  «sans identité». Je crée des personnages qui ne sont personne en particulier. Et cela m’arrive souvent de tomber sur des interlocuteurs et des interlocutrices qui se projettent dans mon œuvre, ou qui croient reconnaître une mère, une sœur, une amie. Être quelqu’un tout en étant n’importe qui et sans être personne en particulier, voilà ce que sont ces personnages anonymes.

Beaucoup de femmes se valorisent, en misant sur leur apparence. L’artiste que vous êtes, se sent-elle visée par l’influence néfaste que cela peut avoir sur les jeunes adolescentes?

Assez jeune, j’ai appris à mettre en valeur mon apparence. Et j’ai aussi appris qu’une tête vide affichant une superbe apparence ne pouvait pas se rendre bien loin. Il faut l’équilibre entre les deux. J’ai opté, ou devrais-je dire que ma muse a opté pour peindre des personnages presque parfaites et c’est sûr que je me sens visée par l’influence que cela peut avoir sur les  jeunes adolescentes. Mais je trouve très important le symbole de l’élégance et de la féminité que représentent ces personnages. Surtout à une époque où les pantalons semblent ravir la vedette à la jupe chez les jeunes filles, et où la coquetterie et l’étiquette ont cédé la place au laisser-aller.

Justement, croyez-vous que la mode d’aujourd’hui ne correspond carrément pas aux stricts critères de l’élégance?

Beaucoup de paramètres sont rattachés à la notion de l’élégance. C’est un tout lié à l’étiquette où on exerce le savoir-faire, le savoir dire et le savoir être. L’expérience de la mode déviante, pour reprendre vos propos, je la vis chaque jour. J’ai deux filles, ainsi que d’autres jeunes filles de ma famille et de mon entourage qui se sentent obligées d’adopter une apparence pratiquement masculine pour être branchées. En matière de tenue vestimentaire,  la jupe est très impopulaire par rapport au pantalon. L’attitude féminine est délaissée au profit d’une certaine autorité, une virilité masculine. Voilà l’impact de la mode actuelle. Je déplore également le langage peu soigné qui fait entorse à L’ÉLÉGANCE dans son ensemble. J’ai été très influencée par ma mère et ma grand-mère qui affichaient une élégance certaine par leur manière de porter des accessoires. Elles savaient orner leur tête de magnifiques chapeaux. Peut-être de là me vient l’inspiration pour mes personnages. Aujourd’hui, il m’arrive d’observer longuement la silhouette d’un individu pour pouvoir identifier son sexe, ce qui était peu commun dans les années 80.

Rachel Thadal Rachel Thadal
«La captivante»    «L’intrigante»

L’identité patriotique est présente dans vos œuvres. Que représente pour vous la contribution féminine comme utilité dans l’histoire d’Haïti?

La contribution féminine dans l’histoire d’Haïti a une grande importance pour moi. Je me rappelle que petite j’étais fascinée par l’héroïsme, le stoïcisme et la persévérance de femmes comme Anacaona, Suzanne Louverture, Sanite Belair, Henriette Saint-Marc, Catherine Flon, Défilée La Folle. Toutes des femmes qui ont marqué leur temps et qui ont contribué à définir Haïti.

Tout aussi grande est l’importance que j’accorde à la contribution féminine dans l’histoire actuelle d’Haïti, celle qui s’écrit au jour le jour. Je pense en particulier à l’apport de toutes ces femmes qui sèment leur grain pour changer les choses, certaines connues du public et d’autres qui agissent dans l’ombre. D’ailleurs « Résilience », l’une des toutes premières œuvres à saveur patriotique que j’ai créée représente à la fois Haïti, ces femmes du passé et celles du présent.

Chacune de ces femmes inspire sans conteste à la littérature qui englobe le roman, le théâtre, la poésie, le cinéma. Si vous deviez réincarner l’une parmi elles, quelle serait votre favorite?

Eh bien si je devais être une âme, ce serait sans nul doute Anacaona. Je me vois aisément dans la peau de cette femme qui intrigue et impressionne par sa personnalité, son charisme. Une femme de grande envergure qui a su tenir tête à ses adversaires. Une femme de son temps qui était en charge d’une Nation. N’est-ce pas extraordinaire!

Rachel Thadal
 
«Après la pluie»

La plupart des artistes peintres protègent jalousement la composition des matières qui façonnent leurs œuvres, alors que vous en faites la promotion. Qu’est ce qui motive ce choix?

Dès le 1er jour où j’ai exposé mes œuvres, j’ai partagé avec mon public la composition des matières que j’utilise. Je trouvais que c’était bien important parce que l’art est pour moi un moyen de communication et d’échange. Chaque œuvre a une histoire et les matières qui la composent font partie intégrante de cette histoire et m’aident à la raconter. Comme cette toile qui représente une plage de la Côte des Arcadins en Haïti et dans laquelle j’ai intégré du sable provenant de là-bas, dans un élan de nostalgie.

Je trouve que c’est important parce-que ce ne sont pas seulement les médiums usuels que j’utilise comme l’huile, l’acrylique ou l’aquarelle mais un mélange de tous ces médiums et aussi du bois, du fer, du tissu, de la résine etc.

Au fil des ans j’ai compris que diffuser cette information permet au public de comprendre mon langage et l’histoire derrière mes œuvres mais surtout, cela éveille sa curiosité et sa propre créativité.

Rachel Thadal Rachel Thadal
«Les dernières feuilles»    «L’arbre magique»

En dehors de la créativité sacrée,  je suis d’avis que la peinture abstraite confère un pouvoir d’uminité plastique au créateur. Et cela engendre un rapport de force intentionnelle avec l’observateur. D’après vous existe- t-il un fondement à cet argument?

Je ne peux que vous répondre oui en toute franchise. J’aimerais surtout insister sur le pourquoi. Parce qu’en vérité toute personne qui crée n’a pas d’autres moyens de s’exprimer. C’est comme  une libératrice que l’artiste est forcé de garder intact pour se protéger. Personnellement, à travers mes peintures abstraites, j’en profite pour dire tout haut ce que je ne dirais jamais autrement. Je me permets de prendre position sur le plan politique, social et autre. J’exprime ma colère, ma joie. Derrière chaque pièce se cache une histoire que je ne suis pas forcément obligée de dévoiler, de révéler. J’ai la sensation de pouvoir m’exprimer sans crainte. J’affirme que dans l’expression abstraite, l’artiste peut se permettre d’être vulnérable…

Rachel Thadal Rachel Thadal
«Roux»    «Émerveillement»

Rachel Thadal

«Doutes»

Vous arrivez aisément à mettre en valeur vos œuvres dans des expositions en  solo.  Une exposition collective vous permet-elle de vous distinguer davantage?

En général, les styles et les thèmes sont variés et différents dans une exposition collective. Plus un artiste crée des œuvres qui diffèrent de ce qu’on a l’habitude de voir, plus il va se distinguer dans ce type d’exposition. Les techniques mixtes que j’utilise, donnent un effet tridimensionnel à mes œuvres. Ces dernières se distinguent davantage et attirent la curiosité dans les expositions collectives.

Dans quelle circonstance avez-vous été récipiendaire du 1er  Prix Démos de l’Académie Internationale des Beaux-arts?

Le prix Démos c’est un prix accordé aux artistes membres de l’Académie Internationale des Beaux-Arts du Québec pour une œuvre de qualité présentée au public en grandes finales et qui a reçu un pointage élevé. Je suis membre de l’Académie depuis 2011. Il s’agissait de ma première participation à ce concours et je suis très fière d’avoir remporté ce prix.

Voulez-vous me parler de cette fameuse pièce qui vous a valu la distinction ainsi que le mécanisme de sélection?

Le mécanisme de sélection s’est échelonné sur environ dix-huit mois. À tous les mois, l’Académie présente au public sur son site une œuvre par artiste participant. Ce dernier (le public) vote en attribuant un pointage aux différentes œuvres. Plusieurs de mes œuvres ont ainsi obtenu les 1e, 2e et 3e places. À la fin de cette première étape, une grande finale est organisée et chaque artiste présente une des œuvres ayant remporté un prix durant les mois précédents. J’ai fait le choix de «Résilience» qui avait remporté la 1e place au mois d’octobre 2012. Et au mois de mai j’apprenais avec beaucoup de plaisir que grâce à cette œuvre, j’obtenais le 1er prix Demos de l’Académie.

Rachel Thadal

«Résilience…»

… C’est Haïti debout sur les décombres du 12 janvier 2010 et sur les vestiges de son passé…

… C’est Haïti debout malgré ses blessures encore béantes, ses déchirures et imperfections …

… C’est Haïti debout, titubante mais voluptueuse, attrayante et plus belle que jamais…

… C’est Haïti debout, le port altier, fière et prête à affronter les incertitudes de l’avenir…

… C’est la femme haïtienne, femme d'amour et d'affection, femme forte et combattante, femme mélange d'épice et de douceur, femme qui porte dans ses entrailles l’avenir de tout un peuple!

boule

 Viré monté