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Le réalisateur Henri Pardo
ne souhaite pas transpirer
un arôme artificiel dans la diversité
de la société québécoise

par Marie flore Domond

 

«J’éprouve effectivement une certaine irritabilité face aux portraits des autres communautés que reflète le cinéma québécois. Ils n’ont franchement pas le don de traiter la diversité telle qu’elle est véritablement. Ce que je veux montrer moi, ce sont des personnages véritables, intelligents, intéressants.»

Henri Pardo, le réalisateur du long métrage Double Vie qui sera à l’affiche bientôt. www.productions13.

Henri Pardo
Le  cinéma est en définitif un concours d’originalité bien établi. Tout se joue selon  les circonstances de proximité de l’équipe de réalisation au grand complet. Sans la complicité d’un membre, le traitement d’un sujet peut facilement être altéré. Or, chacun peut faire sa marque individuelle de par sa fonction de scénariste, de dialoguiste, d’acteur,  de costumier, d’accessoiriste, de maquilleur, de réalisateur. De plus en plus, les artisans du 7ième art occupent de multiples tâches sur un même projet cinématographique. C’est le cas d'Henri Pardo, co-scénariste et réalisateur du film : Double Vie.

Pour notre part, nous nous intéressons à la motivation de cette surcharge de travail qu’assume le jeune concepteur de 38 ans qui est déjà passé de la moule de comédien, d’acteur pour se transformer en réalisateur. Au fond, est-ce un personnage ambitieux  qui veut désormais exercer un pouvoir de dirigeant pour ne plus être un exécutant? L’esprit d’aventure prédomine t-il chez lui? On pourrait spéculer à l’infini. Mais l’intéressé se montre disposer de répondre à nos interrogations. Alors pourquoi s’en priver!

En tout premier lieu, j’aimerais souligner que la projection du film DOUBLE VIE  a été contrariée et ajournée par un triste événement: le décès de la mère d’un membre important de votre équipe. La nouvelle date est prévue pour quand?

La projection du film  est prévue le dimanche 1er juin 2008 à 18 heures au Centre Georges Henri Brossard : 3205 Boul., Rome, Brossard. L’admission est de $10. 

Monsieur Pardo, à voix off, vous avez émis un commentaire frappant, non pas sans une certaine irritabilité. Il stipule ceci: «Je veux mettre en scène des personnages qui sont absents de la cinématographie québécoise, pour parler d’autres choses que le racisme et de stéréotypes, me servant de nouveaux acteurs et penseurs d’ici et d’ailleurs, pour faire émerger la diversité culturelle du Québec.» Seriez-vous d’avis que le cinéma québécois, à ce jour, est placardé dans une sorte de traitement de thèmes clichés vis-à-vis des communautés culturelles?

J’éprouve effectivement une certaine irritabilité face aux portraits des autres communautés que reflète le cinéma québécois. Ils n’ont franchement pas le don de traiter la diversité telle qu’elle est véritablement. Ce que je veux montrer moi, ce sont des personnages véritables, intelligents, intéressants.

Et comment comptez-vous exprimer ce point de vue?

Ce sera tout simplement par une vérité subtile, pas trop crue. Le plus important c’est de porter à l’écran des personnages de vérité.

Vous êtes comédien depuis dix ans. Cette expérience a majoritairement  servi la communauté anglophone. Sans vouloir relancer la dualité anglophone-francophone, qui selon moi est un débat stérile. Car il importe de savoir quel clan s’assume le mieux. Est-ce la méthode de sélection qui diffère ou bien l’un des marchés qui est plus restreint?

Pour être plus précis, j’exerce la profession depuis 1994. J’ai travaillé à environ 60% du côté anglophone et 40% du côté francophone. En matière de sélection, les gens du milieu misent sur la qualité de jeu. Ils recherchent les comédiens talentueux. Les francophones pour leur part, n’ont pas d’intérêt pour les personnes qui  sont  de couleur. Ce manque d’intérêt empêche des connections. Il y a aussi la peur de la différence qui porte ombrage. Nous avons tous les mêmes droits, mais nous ne sommes pas pareille. Je crois que cette différence est aussi importante que le reste. Et pour atteindre l’équilibre, il faut valoriser les deux pôles. Les américains vivent d’autres problèmes que celui de la peur et l’inquiétude d’être culturellement envahi. Ils acceptent l’idée d’avoir été dominant en assumant leur  passé, leur histoire. La mentalité est nettement plus progressiste à ce niveau. Et  les acteurs incarnent beaucoup plus des personnages qui évoluent dans un univers professionnel. Ils assurent des rôles de pompier, d’avocat etc. En ce sens, le cinéma américain est bien portant

Antérieurement, vous avez réalisé deux courts métrages. On s’entend que c’est du cinéma de répertoire! La réalisation de Double vie serait-elle une tentative dans le secteur commercial de l’industrie?

Le producteur exécutif saurait mieux répondre  à cette question, car la réalisation de Double vie est un projet commun. Je pense qu’il y a toujours moyen de rendre l’utile à l’agréable. Le cinéma haitien est assez jeune. Les gens veulent découvrir leur culture à l’écran. Pour satisfaire ce besoin de consommation, j’ai le souci  de m’attarder sur des sujets intéressants, des personnages intelligents, bref faire du cinéma de qualité.

Dans un cas comme dans l’autre, quels sont vos plans de financement. Car vous êtes conscient que le vrai cinéma de box office actuel ne saurait évoluer dans la restriction et la privation de toutes sortes?

Encore une autre question qui englobe l’aspect marketing du projet. Nos sources de financement sont plus orientées vers des partenariats avec des gens d’affaires. Ce sont en fait des espaces réservés aux entreprises, des  espaces publicitaires provenant des commerçants.

Vous ne parlez pas de subvention monsieur Pardo!

(Rire) Nous formons une équipe voyez-vous! Ce n’est pas trop de mon ressort. C’est sûr que la possibilité de subvention rentre en ligne de compte.

Le festival international du film haïtien à Montréal devient un incontournable en matière de visibilité. Envisagez-vous une mise en candidature de votre réalisation?

Je connais la notoriété du festival. Mais c’est au producteur, Ricardo Hyppolite de décider des points de représentation et de l’avenir promotionnel du film.

Est-ce un scénario original qui a abouti à  Double vie?

Le scénario n’est pas principalement de moi. J’étais mandaté pour une adaptation du texte. Ainsi, je l’ai animé de ma touche  d’auteur. Je l’ai doté d’une approche plus personnelle.

Dans quelle catégorie classez-vous le produit? Un suspens, un drame social, une comédie sentimentale ou une fiction?

C’est un drame social proche du cœur à 99% unilingue créole. Comme je vous l’ai déjà dit, nous avons de belles techniques à apprendre des autres. Cependant, nous avons le devoir de promouvoir notre culture à travers nos créations

Dans les grandes lignes, de quoi parle le sujet?

L’histoire parle des gens qui ont une façade. Et qui ne dévoilent pas tout d’eux-mêmes. Marjorie est une jeune femme bourrée de potentiel mais qui manque d’énergie. Dans son environnement, elle est perçue comme nonchalante. Toutefois, certains événements vont provoquer en elle une prise de conscience qui va lui permettre de révéler sa vraie personnalité. C’est le cas typique de la femme haïtienne qui est pleine de sagesse. Elle a aussi de beaux mystères à exploiter.

Moi qui pensais qu’il s’agissait d’une affaire d’imposture, de double identité. C’est en fait de secret et de vie privée!       

(Rire à gorge déployée) – Voyez-vous, je ne l’avais même pas envisagé sur cet angle là.

Aux grandes visions les grands moyens dit-on. Avez-vous fait appel à un auteur-compositeur pour la trame sonore du film?

Certainement. Il s’agit d’une version instrumentale qui traduit les transitions émotives du scénario. Alain Auger.

Il est clair que vous aspirez à être un des pionniers de l’infrastructure qui absorbera le devenir du cinéma haïtien dans la globalité de l’industrie du cinéma québécois. Quelles sont vos stratégies de démarcation?

Je compte évoluer dans le domaine cinématographique en me servant de qui je suis. Je veux faire connaître qui je suis, d’où je viens. Je veux prioritairement produire des œuvres de référence, de courage en me servant parfois d’expérience de ma famille.
 
Double vie a nécessité combien de tournage?

Le tournage a nécessité dix jours. Un projet de cinéma c’est une entreprise provisoire. Tout doit se faire rapidement et de façon performante. J’ai fait appel à des techniciens d’expérience qui ont contribué au cinéma québécois et de qui, le reste de l’équipe a beaucoup appris également. Être en connexion avec le réseau professionnel du domaine, c’est vital. Et c’est ainsi qu’on parviendra à produire des œuvres de qualité.

Le mot qualité est votre mot d’ordre monsieur Pardo. Vous réalisez que ce mot de passe est à double tranchant, il va inciter des regards plus critiques à votre égard ainsi qu’à vos créations?

Sans vouloir être perfectionniste, je vise indéniablement la qualité. Bien entendu, j’ai droit à l’erreur comme tout le monde. A tout moment, je peux choisir un angle de traitement d’un sujet auquel je crois et qui ne plait pas nécessairement aux autres! L’important n’est pas de plaire à tout le monde, mais de dire mieux et de faire mieux selon notre vision, notre conception des choses.

Certains réalisateurs sont toujours à l’affût des comédiens de talent méconnus. Avez-vous eu des révélations lors de votre dernier tournage?

J’ai été chanceux de travailler avec une équipe généreuse et talentueuse. Madeleine qui est une actrice dans le film, a été saisissante. C’est une femme qui a beaucoup de chose à dire et à partager. D’ailleurs, nous travaillons sur un autre projet de série: JOU VA JOU VIYEN dont elle est productrice, actrice et scénariste. En fin de compte, cela a été une belle rencontre, bien que la plupart des acteurs soient des amateurs.

Quelles sont les plus grandes qualités d’un acteur selon vous?

L’écoute. Car l’artiste qui est à l’écoute, vit avec son environnement. Il est plus attentif à son partenaire de jeux. Il réagit au moindre détail en faisant ressentir ses émotions. Pour ma part, l’écoute est plus importante que la performance.

Madame Madeleine Bégon Fawcett, une des actrices soulignait justement votre professionnalisme. Sur le plateau, quelle approche adoptez-vous avec les acteurs ?

Sur le plateau j’agis comme un guide. Je transmets ma vision en évitant de manipuler les acteurs. Je ne suis pas insensible à leur travail. L’acteur doit se sentir en sécurité.

Bégon Fawcett

Madeleine Bégon Fawcett  dans une scène  du film Double vie.

Donc, vous exigez l’écoute, conséquemment, vous êtes à l’écoute?

C’est exact!

Êtes-vous optimiste face à l’intégration complète des entités multiethniques dans la société québécoise

Oui, je le crois, mais il faut être bon, et persistant, pour réussir dans ce domaine, peu importe la couleur.
Pour ma part,  je compte réunir toutes les conditions d’une réalisation de qualité. J’ai le souci de travailler avec des acteurs intelligents, de ne pas véhiculer des messages  trop intellos et d’éviter de mettre trop de gras même dans notre ton humoristique.

Vous êtes né au Nouveau Brunswick de parents haïtiens. Parlez-vous le créole.

Honnêtement, je le parle très mal. Mais je la comprends, et la culture qui s’y rattache. Mais, j’essaie de me rattraper. La preuve en est bien grande, Double vie a été réalisé en créole.

Que pensez-vous du réalisateur d’origine haïtienne résident d’Hollywood Sacha Parizeau qui a signé, entre autres, le long métrage LA REBELLE?

Je ne le connais pas personnellement. Toutefois, on s’est rencontré à un festival de Toronto. On  a bavardé un peu. C’est un cinéaste super sympathique qui a de la conviction. Ce n’est pas le long métrage: La Rebelle qui était en compétition au festival. J’en ai entendu parlé. Cette réalisation a de  bonne critique.

Jean-Alix Holmand est selon moi un réalisateur audacieux. Convoitises en est un exemple flagrant car son scénario impose un second regard, bref un effort mental. Comment percevez-vous son approche cinématographique,  si bien sûr vous avez déjà vu le long métrage?

Je également croisé Holmand au festival Vue d’Afrique récemment. Je ne veux pas me prononcer sur ses œuvres avant de les voir. Selon les dires de certains, il a une approche particulière qui est de perdre le spectateur en donnant plein d’indices. On dirait que le mystère lui est important pour capter l’attention du spectateur, comme il est pour moi, sauf que notre approche semble différente. Ce qui est bien. Il faut être différent.

Pour terminer monsieur Pardo, quel est votre vœux le plus cher dans ce domaine?

Je souhaite honorer le public dans un langage cinématographique qui fait référence à notre culture propre et que cette facture visuelle nous permette de nous intégrer dans la société multiethnique qu’est la société québécoise.

Merci infiniment monsieur Pardo de m’avoir accordé un peu de votre temps au téléphone.

C’est à moi de vous remercier madame Domond.

boule  boule  boule

Biographie d'Henri Pardo

Je suis un québécois né au Nouveau-Brunswick de parents haïtiens. Ils sont sortis en catastrophe de leur pays, alors qu’ils y étaient engagés pour la survie de leur peuple, au nom de la liberté d’expression. Il me semble qu’ils m’ont transmis certaines de leurs valeurs dont celle d’être intègre à ma culture. Je suis, depuis l’âge de 9 ans, un montréalais qui a passé son adolescence entre Côte-des-Neiges et Outremont, entre le théâtre et le sport, entre le divertissement et le devoir. La volonté de dire et d’agir a toujours été là. Depuis que je suis jeune, j’ai voulu montrer ma vision des choses afin de changer le monde et de l’améliorer, ou même le pervertir… pour le plaisir.

Je suis maintenant comédien depuis dix ans. Étant bilingue, j’ai pu rapidement profiter des deux milieux pour me faire une job à temps plein. J’ai joué au théâtre durant les premières années, la plupart du temps avec la communauté anglophone de Montréal, c’est là qu’il y avait des rôles pour moi. J’ai ensuite joué à la télé francophone et pour le cinéma américain. Mais après cinq ans d’avoir joué les « jeunes hommes noirs qui entre dans un endroit quelconque…», j’ai rapidement compris que j’avais fait le tour de ce qu’il y avait à jouer. Je devais donc me faire à l’idée que je n’utiliserais qu’un 20 à 30% de ce que je suis. Pogné à jouer des rôles minces qui ne reflètent en aucune manière mon expérience ou ma vie en tant que Québécois vivant à Montréal.

Et pourtant, j’habite cette ville que j’adore depuis 29 ans, je la connais bien. J’y participe et consomme sa culture abondamment. J’affectionne ses quartiers de tous genres et ses habitants aussi différents que l’hiver l’est de l’été. Je l’aime parce qu’elle est unique et je me fais un devoir de tous savoir sur elle. Malheureusement, elle ne se retrouve pas sur nos écrans. Le cinéma et la télé sont le reflet d’une société et en ce moment, notre image est déformée: c’est une des multiples raisons pour laquelle je veux être réalisateur.

Ma formation d’acteur tend vers la méthode de Sanford Meisner, «acting is doing» du Neighboorhood Playhouse à New York. Comme réalisateur, elle me permet d’entrer aisément en contact avec les comédiens, et de tout mettre en oeuvre pour le laisser, porteur du personnage, et donc de l’histoire, prendre sa place pour qu’il soit au centre de l’action et non le dernier arrivé sur le plateau de tournage. J’aime travailler sur les relations des personnages et pas seulement sur ce qui les habite.

Je veux mettre en scène des personnages qui sont absents de la cinématographie québécoise, pour parler d’autres choses que de racisme et de stéréotypes, me servant de nouveaux auteurs et penseurs d’ici et d’ailleurs, et faire émerger la diversité culturelle du Québec, ce qui par conséquent renforcera, selon moi, sa culture générale. Je suis constamment à la recherche de nouveaux penseurs qui m’aideront à raffiner mon discours sur la culture black, qui n’attend que de déployer ses ailes. Je veux apporter une autre vision du Québec. Mes premières tentatives furent «Dans la peau», un pilote pour une série dramatique, et «Rêver», un documentaire sur les rêves de la communauté noire de Montréal.
 
Je suis papa d’un garçon de 8 ans qui me force à être un homme meilleur et à prendre soin de son avenir.

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