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Les œuvres naïves traditionnelles de l’artiste haïtien
Grégoire Aniocles

se confirment originalement par leur texture

par Marie Flore Domond

Apparution majestueuse.
Cadence masculine.
Aniocles Aniocles
Aniocles Aniocles
Marche nuptiale.
Sentier de feu.

Nulle autre intervention de ma part concernant la dernière collection de peinture de Grégoire Aniocles ne me paraissait plus impérative que de mettre en relief les différents motifs présentés comme un défilé au festival de couleurs. Il fallait une subdivision des toiles par catégorie afin  de permettre aux lecteurs d’apprécier davantage l’agencement d’une aquarelle  allant de rouge pourpre lumineux faisant une parfaite alliance avec le ton orange vif, aux personnages entourant de leur aura d’un teint vert kaki, de ces éclats de rose nuancé de teint mauve vivace, du blanc cassé qui épouse le coloris jaune citron ou bien moutarde,  du bleu royal infiltré sur du cuivre et tant d’angles ombrés. Mon choix s’est arrêté sur une fraction de la collection, car au moment de l’entretien, l’artiste travaillait encore sur plusieurs autres pièces. Ma seconde préoccupation, était de  baptiser les pièces sélectionnées. Plus qu’une prolifération de coloration nous est imposée.  Nous assistons à une  manifestation d’humeur changeante qui repose sur une multitude de tonalités très distinctes entourant une même collection. L’oeuvre d’un artiste qui se dit avoir foi en sa création, ses inspirations.
La singularité des techniques de l’artiste Aniocles

La dernière fois que j’ai visité l’atelier de Grégoire Anoicles, j’ai été impressionnée de constater le refus de confort qu’il s’inflige.  Il n’est pas de ceux qui travaillent paisiblement sur un chevalet en étant maître de ses pinceaux! Dans une immense salle,  il y avait des cadres inachevés suspendus le long des murs, des balles de tissus déchirés à confectionner de toutes pièces. Je  m’étais demandée si j’avais finalement pénétré la caverne D’ALI BABA comme pourrait se le permettre Alice au Pays des merveilles, à la vitesse d’un éclair! Une autre légende m’a aussitôt traversé l’esprit, au milieu de tous ces outils et matériaux apparemment si inhabituels à l’art pictural;  celle de la boîte de Pandore qui contient labeur et espérance. La peinture n’est pas le seul point d’intérêt de l’artiste. Son talent s’extrapole  en art sculptural également. Il n’est pas surprenant  non  plus que l’on tombe sur le buste d’une célébrité du monde musical, littéraire ou historique qui occupe l’espace de son atelier. La Galerie Gora est l’une des  vitrines qui exposent en partie ses œuvres  avec élégance. Email

De toute évidence, vous êtes dans une période de création intense pour la fin de l’année 2006. Généralement, est-ce que cet état d’inspiration se fait à chaque année et à la même époque, c'est-à-dire de façon cyclique?

Mon principal souci est de structurer mes créations, mais de façon prématurée. Je fonctionne méthodiquement par collection et par année de production. Ainsi, à chaque fin d’année, j’entame une nouvelle collection. Ce qui veut dire, j’achève  la collection 2007 et je débute déjà celle de 2008.

Est-ce que le même principe est valable pour la sculpture également?

Tout à fait.

Vous m’avez confié que vous préservez toujours une suite logique d’une collection à l’autre; à savoir que c’est à partir d’une ancienne pièce que vous débutez une nouvelle. Pouvez-vous nous parler de cette discipline artistique que vous adoptez.  Et pourquoi vous vous y soumettez?

C’est surtout en raison des œuvres qui doivent partir dans les différentes galeries.

Étés-vous entrain de me dire que vous travaillez sur commande?

Absolument pas. Je ne travaille pas par œuvre individuelle. Je fournis entre 30 et 60 œuvres par collection. Il me faut donc  une certaine discipline pour pouvoir répondre à mes obligations professionnelles.

Pour vous dire franchement, je suis sous le charme de votre palette de couleurs. Qu’est-ce qui influence votre choix de teinture au moment de vos inspirations?

Mes choix de couleurs, je les fais en fonction de mes recherches par rapport à la collection. Je m’inspire des fleurs, de mes rencontres.  J’utilise en fait l’ensemble des objets que je côtoie tous les jours. Il ne faut pas oublier que je suis Antillais, génétiquement, j’ai des couleurs en mémoire!

A propos de vos recherches, sur quoi se basent-elles?

Chacune de mes collections est basée sur l’Art traditionnel haïtien et africain. Je m’éternise sur les vécus, les histoires de nos ancêtres. J’ai également beaucoup d’influence de mon environnement. Évidemment, je vis au Québec, au Canada.

Vous considérez-vous comme un artiste peintre conventionnel?- D’après vous, qu’est-ce qui vous différenciez des autres?

Je ne me préoccupe pas de définir les critères de ressemblance et de différence. Ce qui m’importe, c’est de toujours améliorer mon travail. Et je travaille ma technique à même les matières qui sont d’une importance capitale à mes yeux.

Dans la phase que vous travaillez vos toiles en y ajoutant des éléments de composition, j’aurais tendance à croire que vous vous rapprochez de beaucoup de  l’art plastique. Ai-je tort?

Vous avez tout à fait raison. Je considère mes peintures comme des sculptures sur toile.

Aniocles Aniocles
Le laboureur
Rentrée au bercail

Loin de moi l’idée de vous demander de révéler vos nombreuses recettes. Mais voulez-vous nous donner des raisons pour lesquelles vous les utilisez?

Tout d’abord, il y a cette espèce de désordre permanent qui me permet de mieux créer. Je peux travailler sur deux ou trois œuvres en même temps. Il m’arrive d’être en manque d’inspiration pour une collection, je la mets de côté, et je passe à la prochaine. C’est pour cette raison que je suis en avance sur les collections. Pour ce qui est du choix de mes matières, c’est très instinctif. J’utilise des tissus, du fil, du coton, de la cire, du gravier. Tout dépend en fait de mon humeur et de la disposition des œuvres dans l’atelier. Les œuvres au alentour de moi me permettent de m’améliorer, de m’ajuster constamment.

Êtes-vous un artiste qui prime la perfection de son œuvre?

Le mot perfection me dérange. Cependant, l’œuvre doit être à mon goût.

Ajoutez-vous des agents de conservation qui  rendent les produits inaltérables?

Du point de vue écologique, je veux rester le plus naturel possible. Et je n’ajoute aucun agent de conservation dans mes produits.

Connaissez-vous d’autres artisans qui utilisent les mêmes techniques que vous?

Mon travail est d’essayer d’apporter un plus dans l’Art pictural et sculptural haïtien. D’arriver sur le marché avec quelque chose de nouveau. Cela étant dit, je connais d’autres artistes haïtiens et africains qui utilisent leur ingéniosité. D’autres créent à partir de rien. Effectivement, je connais d’autres artistes très avant-gardistes qui tentent d’améliorer la peinture haïtienne et africaine.

Pensez-vous que la tendance du genre primitif est  appelée à être démodé un jour?

Je préfère le mot traditionnel que primitif. Car beaucoup d’artistes Européens ont été influencés par l’Art traditionnel africain. Personnellement, je ne cesse de puiser dans mes racines, mes traditions pour progresser, pour avancer. C’est tout à fait naturel. De plus en plus de gens commencent à réaliser que c’est à partir de la source ancestrale, à travers leurs racines qu’ils peuvent rester connecter.

Seriez-vous prêt à dire que la sculpture est plus exigeante que la peinture?

La sculpture est surtout un domaine plus dispendieux que la peinture. Puisque le produit fini de mes œuvres sculpturales est coulé dans le bronze, je peux vous dire que c’est très coûteux.

Pose de dame
Regard sur le paysage hivernal
Aniocles Aniocles
Aniocles Aniocles
L’expression du sage
Rituel

Nouvelle collection de sculpture de l’artiste Aniocles

Aniocles Aniocles
 

Une collection entre 30 et 60 pièces ne s’achemine pas nécessairement  dans une seule et même galerie je suppose. Hormis la galerie Gora qui se trouve à Montréal, quelles autres galeries avec qui vous vous affiliez?

Mes œuvres sont exposées dans une quinzaine de galeries un peu partout. Je peux citer MX, Studio 261, Lasolasfine Art à Miami et bien d’autres.

Quelle est votre œuvre la plus dispendieuse?

Personnellement, je n’ai aucune idée de la valeur d’une toile. Je ne négocie pas mes œuvres. L’artiste ne sait pas vendre ses œuvres pour tout vous dire. Une œuvre en soi n’a pas de valeur. Je pense que c’est le nom de l’artiste qui représente la valeur de l’œuvre. Plus ce dernier est reconnu, plus son œuvre sera coté. En fait, il faudrait chercher à savoir combien le nom de l’artiste vaut dans son milieu.

Du point de vue de l’espace, où entreposez-vous toutes ces pièces avant livraison?

Je compte une centaine de pièces entre peinture et sculpture au total pour la collection 2007. La plupart sont à la maison, d’autres sont dans mon atelier.

Même au niveau de la sculpture vous avez une approche hésitante vis-à-vis des personnages vivants qui nécessitent moins suggestivité. Pourquoi?

Je ne veux pas m’éloigner trop de l’art traditionnel comme je l’ai mentionné plus haut. C’est un choix que de sculpter ou peindre les personnages  allongés, plats ou longilignes.

Explorer la mine d’art de l’artiste
Grégoire Aniocles en images et en mots

Aniocles Aniocles
Ancienne pièce.
Danse pour moi (Titres de l’artiste)

Dans le second chapitre de l’entrevue réalisée avec l’artiste peintre et sculpteur Grégoire Aniocles, nous voulons faire de plus amples connaissances avec l’homme. Car s’il décompose son environnement comme bon lui semble à travers son art, il est juste qu’il dédouane ses expériences dans le contexte familial autant que social.

La croyance populaire désigne la plupart des artistes comme des personnages terriblement capricieux, vivant souvent dans leur propre bulbe. Vous sentez-vous dans cette catégorie?

Autre que mon désordre environnemental qui est d’ailleurs bien structuré, je me considère comme un artiste professionnel qui gagne sa vie à partir de son métier. Mais de façon générale, de nos jours, l’artiste devient plus rationnel, moins émotif.

Comment définissez-vous un artiste professionnel d’un artiste tout court?

L’artiste professionnel n’a pas le choix de planifier, de s’organiser pour pouvoir réaliser ses projets et faire vivre sa famille. Remarque qu’on peut avoir du talent et être un artiste professionnel. De même qu’on peut ne pas avoir de talent et être un artiste. Dans ce cas précis, on est doté d’un gros bons sens. Quoiqu’il en soit, il faut un minimum de compétence à quelqu’un pour évoluer dans  son domaine.

Autrement dit, un artiste professionnel n’aurait ni le temps, ni l’envie d’incommoder les autres avec ses caprices?

Si vous insistez, je vous dirai qu’il a des Stars et des artistes. Personnellement, je n’impose rien.  Je ne me complique pas la vie. Je la vie simplement et la plus agréablement avec les autres.

Quel est le meilleur moyen que quelqu’un pourrait procéder pour interpréter vos œuvres?

Je ne peux rien vous dire en ce qui concerne mes œuvres. Car, dès que mon nom est signé en dessous d’une pièce quelconque mon bouleau est terminé. J’efface tout de ma mémoire. Mon travail n’est pas d’expliquer.

Permettez-moi l’expression, vous vous moquez un peu du monde!

Non, je ne plaisante pas. Le public prend la relève aussitôt que je fini le mien. C’est justement pour cette raison que mes œuvres sont très suggestives.  D’ailleurs, je suis incapable d’exprimer l’évidence. Grâce aux spectateurs, je découvre mes œuvres. C’est à leur tour de développer, d’interpréter, de me transmettre quelque chose.

Hormis la dimension de l’esthétique, à quoi sert un cadre dans la finition d’une pièce picturale ?

Le cadre est très important. Il apporte une uniformité à l’ensemble de l’œuvre.

Quel est votre principal engagement entant que citoyen et artiste?

Ma plus grande préoccupation s’oriente vers les jeunes. Je voudrais qu’ils soient beaucoup plus responsables. Mais si je dois vous parler de ma conviction profonde, j’aimerais que mon pays, Haïti soit économiquement et politiquement stable. Je vis à l’étranger, et le fait de ne pas pouvoir participer à l’essor de mon pays me dérange. Le monde ne sera jamais parfait, je le sais. L’important c’est que chacun puisse mettre du sien afin de pouvoir avancer tranquillement.

En passant, je dois vous avouer que ma clientèle est étrangère. Jusqu’ici, je n’ai jamais vendu une toile ou une sculpture à un de mes concitoyens. C’est dire que «je ne suis pas prophète chez moi»! (Rire)

Quelle aide concrète pensez-vous pouvoir apporter à votre Nation monsieur Aniocles ?

Mon souhait le plus cher est de pouvoir partager mes connaissances avec les jeunes en Haïti.

Mais pour le moment, vous avez votre famille à guider en ce sens. N’avez-vous donc pas des enfants qui sont prêts à suivre votre trace?

Ma fille de neuf ans s’intéresse pour le moment à la peinture. Rien n’est définitif. Qu’adviendra t-il plus tard. Je ne sais pas! De toute façon, les enfants doivent être libres de décider. C’est important de les accompagner, de les guider, les conseiller, Cependant, je ne pourrais pas lui imposer un choix de vie.

Que pensez-vous des années sabbatiques ou sympathiques que prennent les jeunes gens avant de décider le leur choix de carrière?

Pour moi, ce sont des années perdues. L’option de l’Université de la vie, par contre, me plait bien. S’il s’agit de voyager, de travailler, fouiller, multiplier ses rencontres, faire du bénévolat, c’est plus qu’enrichissant pour des jeunes qui participent à ces activités.

En parlant d’implication, j’espère ne pas vous  avoir scandalisé en  étalant au grand jour une transaction privée dans l’affaire de la PLACE DE L’UNITÉ. Avez-vous le regret d’avoir soumis sans protection ou brevet un tel projet ?

Honnêtement, non! On ne peut pas travailler en permanence sans rien confier à personne, sans impliquer d’autres gens. Agir ainsi, c’est avoir la prétention de l’exclusivité des choses. Je n’ai jamais pensé avoir l’exclusivité sur un projet pour commémorer le bis centenaire d’Haïti.

Ce qui me dérange sérieusement, c’est qu’on n’a pas été cherché un artiste haïtien. Il s’agit là du projet d’une communauté, le nôtre. En ce sens, tous les artistes haïtiens son perdants, à mon avis.  Tout le monde veut avoir la paternité. Le MOI prends toujours le dessus. Ce qui est surtout regrettable c’est notre mauvaise culture de récupérer les idées des autres en étant incapables de travailler ensemble. Je ne compte plus les fois où je me suis fait berné. Il y a eu le projet de Savana, celui d’Emmanuel Pierre Charles, puis le projet concernant  Coupé Cloué et Martha Jean-Claude…

Avant la fin du présent entretien, j’aimerais que vous me promettiez de m’accorder une entrevue exclusive sur la sculpture.

Je serai à votre disposition n’importe quand, madame Domond.

Sur ce, je vous remercie monsieur Aniocles. Et j’en profite pour souhaiter une année productive et prospère.

Pèlerins urbains.
Rassemblement de pèlerins.
Aniocles Aniocles
Aniocles Aniocles
Promenade dans le buisson.
La ronde des femmes.