Kaz | Enfo | Ayiti | Litérati | KAPES | Kont | Fowòm | Lyannaj | Pwèm | Plan |
Accueil | Actualité | Haïti | Bibliographie | CAPES | Contes | Forum | Liens | Poèmes | Sommaire |
Philippe THOBY-MARCELIN, l’autorité
Philippe Thoby-Marcelin, né à Port-au-Prince (Haïti) le 11 décembre 1904. Il fit ses études au Petit Séminaire Collège Saint-Martial et à l’École de Droit de Port-au-Prince. Il voyagea en France et à Cuba et vécut aux États-Unis (1948-1975) où il mourut le 13 août 1975 à Syracuse.
Il fut l’un des fondateurs de La Nouvelle Ronde et de la Revue Indigène. Philippe Thoby-Marcelin a publié plusieurs recueils de poèmes: La négresse adolescence (1932), Dialogue avec la femme endormie (1941), Lago-Lago (1943), À fonds perdu (1953); et, en collaboration avec son frère Pierre Thoby-Marcelin, les romans suivants: Canapé vert (1942), La bête de Musseau (1946), Le crayon de Dieu (1952), Contes et légendes d’Haïti (1967). Le premier roman du duo, Canapé vert, avait obtenu en 1943 le grand Prix du Roman Panaméricain.
AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE
à Magloire Saint-Aude
La souffrance en touche divisée
Quelque part dans la fièvre
Des souris grignotant le sapolin
On en recueillit quelques miettes
Et ceci
Que tu n'effaceras pas
Les ventouses froides de la peur
Sur la nuque
Et ta pestilence tandis que
Maille après maille se composait
Une mort insidieuse et convenable
Mais on n'a pas voulu dormir en ce temps-là.
Tout se confondait
Et même une forme hagarde
Debout contre l'aube chancelante
Dans l'atroce obsession
De nuage buvant
Comme d'un encrier renversé
Par le talon fou de Septembre
Le sang cruel de Guernica.(À fonds perdu)
LA MARRON PATHÉTIQUE
Était-ce de jour ou de nuit
De joie ou de douleur
Était-ce d'hier ou de toujours
Il s'était allongé
Dans les herbes lyriques de l'année
Étirant son corps
À la taille d'un guinnarou
Étirant son sexe
Dans la glissante amitié des couleuvres
Jaillissant
Comme une audace de bambou
Étreignant
L'immense
Le secret
Le terrible
Et l'oreille au ras de la folie
(Dieu ayant mis sa main
Sur la bouche du vent)
Il écoutait battre
Au rythme élancé
De blessures pleines de cris
Les pas de sang d'une dansante émeute.
(Ibid)
L'INNOCENCE ANALYTIQUE
à René Bélance
Issues de la déhiscence sexuelle
Les touffeurs de la nuit douce
Étalée
Dans la protection angulaire
Et les rutilances de la cécité
Et alors
Et déjà,
Goûtant Dieu en toutes choses,
La virginité froissée
Entre les paumes végétales
Et parcimonieuses
D'un anolis squameux...
On vous parle d'un âge aboli
Voyez-vous
D'une aisance plénière
Au temps des prophéties
Et l'on avait franchi pourtant
L'étape de la mue
Et sa queue repoussait
Pour la gloire initiale
Du coït vert-pré
Entrelacé
Dans la cynique pertinence d'un dessin
Conçu à la louange des lignes.
Mais déjà
L'on savait
Je savais
Malgré l'élégance de la conjonction
Que l'homme-serpent
(C'était hélas un puritain)
Se déprenait aux jointures
D'indicibles craquements.
(Ibid)
POUR ENCHANTER LA PEUR
à Wifredo Lam
La raisonnée de l'an neuf
L'heureuse année
Sur les portées du désastre
Pour la migration saisonnière
Des cactus
C'était écrit en toutes lettres
Pendant ce temps
Criminel Pétro
En route pour des goéties
Chevauchait la terreur de l'an mille
(Par les bornes millières
De poussiéreuses désolations
Une vraie nostalgie d'Ile du Diable).
Il se tournait à droite
Et c'était un lézard béat
À gauche
Et c'était un adieu solaire
Il se couchait
Et la terre bougeait comme une femme
Il se levait
Avec un doigt dans le nez.
Mais de grâce ne pleurez pas
La danse est finie.
(Ibid)
ÉVIDENCE D'UN CABICHA
Le canal d'août faisait
Barbu barbelé
Un songe d'herbes
De bananeraie
De coupole bleue.
Des mangues persuasives
Des goyaves aigrefines
Mon bel ange révolté ô Raisonneur
C'était la mode annuelle
Mais on lynchait encore en Virginie
Et j'avais grand goût de toi Liberté
Une brise équivoque
Trancha la question
Elle m'induisit dans le vert de midi
Et la nonchalance chevelue
Et cette douceur de cuisses fraîches.
Puis séché
Au gré de la sucrerie
Je m'enfonçai corps et biens
Dans un lit de café doux
Comme un sein de nourrice noire
Je pensais t'enseigner la bienveillance
Mais ce n'était qu'un amour de fumée
Au réveil on n'était plus là
Croyez-moi si vous avez souffert
Au pays du Bondieu bon
Ne le dites à personne.
(Ibid)
4.1.2012