Potomitan

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Annou voyé kreyòl douvan douvan
Ombres
du Quercy

(poème, 1981)
Collection Dernier Monde

Saint-John Kauss

à Bueno Garcia

 

Stéphane Czyba © Galerie Nader

Stéphane Czyba

«Mais ce que je n’ai point écrit alors, c’est que recevoir un coup de lumière c’est aussi recevoir un coup de nuit. Et cette nuit est d’autant plus terrible que la lumière fut aveuglante. Car l’être humain est si vaste que sans cesse il va d’un abîme à l’autre. D’un pôle de la conscience à l’autre. Je ne connais pas cette belle marche continue vers le soleil. Je ne sais que les déchirures de l’éclair et les plongées dans le noir. Mais, en dépit de tout, je sens qu’au bout il y a un grand pays où l’aube monte pour ne jamais cesser. Or, devenir conscient de ces deux pôles, c’est ce que j’appelle une naissance spirituelle. NAÎTRE, c’est sentir le tragique de son être.»
                                                                                                   (Fernand Ouellette)

«Révolte de l’homme du midi
Qui veut être chair de son chant.»
(Joe Bousquet)

 

érotomanie de ces ilotes battues par le vent le fer et l’acier dans la mansuétude des vierges et des collines à haute forme simiesque            pour le sacre et l’Écrit des figurines et stèles des tombeaux de poètes aimés       partirai-je seul au loin caresser le rêve domestiqué par les dieux

pour ma part qui court dans la nuit atteint l’henné du voisin
ma mission sera-t-elle de siffler au temps la tristesse des bals de l’aurore

 

messalinisme de l’indicible Terrasse sur l’abîme de ma      Terre morveuse s’effaçant loin du paradis retrouvé      Mon cerveau parmi les longues buées qui montent de ses lampes

dois-je formuler mes amours sous la pluie à une femme perruquière              stéatopyge des mansardes

 

beauté phtisique en bouquet de fleurs et d’ossements que l’on croirait rêver                  ta langue qui dort sous ma semence Obscénité inventée par l’homme comme l’étoile entre les voyelles comme les mots entre les consonnes de peine           torrents de rêves bousculés par le pain la vie et nos morts trop compliqués

ne partirai-je plus seul seul au loin me glisser dans l’amour parmi les doigts psychiques des dieux silencieux du silence innommé

 

nymphomanie de la vie

 

sexe méconnu de ses proies Vierges folles entre les consonnes de cœur et de trèfle Paroles d’osmose et de sang qui gémissent bées ou asthéniques entre deux saisons pour une poignée d’étoiles en lanternes suprêmes

 

euthanasie des rêves bleus sous les lits sales de l’Occident retenu pour le nirvana des âmes alarmées           torride réponse du poète en rage de rêver et de festoyer à l’adoration des mages des ancêtres
blessure vivante

 

nous nous nourrissons de l’eau du lac et de la mer
nous nous verrouillons                 nos bouches pour entendre d’autres voix qui filent dans l’espace comme une étincelle à perdre haleine

 

je t’ai connu Miguel à San Pedro             tes oeillets en plein dans l’équivoque des cœurs de l’indienne Terre qui t’absorbe en fin d’oraison enfin berceuse des solitudes désordonnées             tu souriais faisais la sentinelle au trépas du soleil Une épaisse tâche de sang aux clavicules de ton être              fébrile fut la lassitude en relisant Nerval et Baudelaire ces deux fêlés du temps des  retrouvailles d’Orphée

 

fémurs à la chaux vive qui assiègent les citadelles d’astres obscurs  poètes du vide infini mais chefs d‘écoles dans l’au-delà des nuits infiniment belles de vue et de tendresse              

 

ultrasexualité des fleurs hyperandroïdes des colombes atteintes de la maladie des sources infectées de la rapacité de l’homme assiégé en flagrant délit

complices de tout meurtre au reportage des étoiles        cadavres dans le lit des amours saintes d’obscurité par l’impossibilité des morts et des vivants
mathématiquement désordonnés

 

tous ces échos bien ordonnés superposés aux aisselles des vivants vaqués à d’autres occupations au-delà des frontières anoblies par l’homme et ses séquelles soudés à une fissure sans écorcher le silence de l’oubli où passe en pieds bots le vent et ses chimères

 

dyspareunie des roses à l’intonation impropre du crime exorbité qui a franchi la frontière des hommes des femmes et des poètes

chansons de sang pour la vie ou la mort des vivants posés l’un bourru à face sévère sur l’autre galet à peine sorti des tavernes et de l’auberge des merveilles de l’amour ardent

 

deux bouches d’oiseaux à nourrir qui dévorent les crêtes du vent              bandes d’assassins que reconnaissent les fantômes de Tolède           d’enfants affamés et maltraités d’un geste en cul-de-sac dans le sang qui m’a aveuglé dans les couloirs de Sevilla

 

soir-essai Soir-Léon Soir-Ghana Soir-Rio aux hennissements des océans superbes consommateurs d’hommes et de femmes nues émérites de la vie à outrager nu-pieds aux ramassis des pierres

 

lipodystrophie de l’amour dans la fraîcheur de l’automne des abcès tristes de l’été pris en congé de lune Obésité des étoiles archanges qui croient rêver du bonheur de rosée et d’autres parenthèses célèbres à chanter dans le silence de l’index Lune grassouillette par asphyxie de la Terre indienne à chaque phase lutéinique et par tranchées inhumaines rendant hommage aux désastres folliculiniques

 

pauses perpendiculaires à l’arrivée des tilleuls domestiqués par le vent l’acier et les mégots souillés des vieillards qui ont traversé le temps de la vie des vivants et des morts bien assis sous les châles

 

nous lisons dans toutes les rubriques invocations populaires au défit des arcanes et voûtes des chansons éruptives                     cérémonies vaudouesques en allées constamment taillées d’ambre et désertiques des premières lettres de l’alphabet de la mort

 

de l’indienne terre habillée de pourpre et de mandolines à regarder sinon les étoiles encloses dans le ciel sans verser une larme à terre Ah!  je sais mon frère que ta vie est hantise au milieu d’un cadastre

 

au pied de chacune d’elles                         héliothérapie de l’amour à l’affût de six baisers sonores             solennité religieuse de héliotropes affamés         vente coiffée d’indigo d’immenses filles à superviser

 

sonnets des grands fleuves qui charrient les passions inconnues Croisades en carton de terres saintes au trafic d’acacias Averses violentes constamment à l’affût des amarres de la liberté       

au pied de chaque tronc d’homme de chaque goutte de poète            le pain la vie de Blake l’Écrit de lune de Gongora et d’Holderlin        les figurines de Novalis et de Nerval           brillants stèles aux départs d’extasés et impatients

 

au large de chaque peuple innommé qui bée ----------- Îles rebelles trop longtemps fantaisistes Silences gelés de l’amour au soleil de l’ivresse Éloges cardinaux des minutes symboliques Filles cadettes à la lisière de mes songes inconnus

 

poésie mirifique d’un enfant du Tiers-Monde Rires mimiques d’un arc-en-ciel au passage des oiseaux envolés ------- Fécondité de la vie Surgissement de la mort affamée d’hommes et de femmes allongées

 

des hommes des femmes de tous âges des mains de soleil dans la nuit Mon peuple mal famé (peuple souverain sans pardon dirait-on) s’abandonne aux grands ébats des orchidées

 

bottes de foin Bottes bretonnes Ragoûts d’abats d’humains panés en cafards frais de printemps

poussée d’une mère impatiente de voir son galopin en ébats de corps Peut-être une fille comme elle jetée dans l’atelier du poète

 

je me souviens encore de toi Miguel mon ami et mon frère fabriqué à la lumière du langage Je me souviens anonyme de nos rêves d’hommes de Monterrey -------------- de Temuco le village du poète des poètes Neruda

 

bois de cèdre Bois de chêne Amours de l’Ungava Froidures des Appalaches Légendes de l’Atlantique Sourires de l’Outaouais dans la poussière blasée et les rumeurs momentanées du Brésil

 

je me souviens de ces rires vagues sablés d’Acapulco Des cris d’ardoise et de peur  Ta chevelure aux sorciers                     je me souviens de cette route de l’Histoire sillonnée dans cette page de l’horreur

 

rires des fissures de l’hippocampe qui m’emplissent la bouche jusqu’aux larmes Saisons de sang sans l’écharpe d’amour autour du cou Fleurs qui s’ignorent dans le rond des salpètres musclés de liberté Métal qui se rompt dans la nuit des salamandres

 

saisons du sang qui s’effondrent par instinct d’une vasque fatiguée si petite  Éblouissements des enfants abandonnés au pas des portes Rires des fissures de la pierre à nous tendre la main

imaginons le silence           prisonnier de l’absence et du chiffre

 

mais au pied de chaque tronc d’homme il y a pêle-mêle du présent sans frapper à la porte des besognes

ombre amie qui se cherche dans la nuit rivière -------------- à nos pieds                                             falaises qui caressent mes flancs après désir

 je te salue Miguel à la source des soleils

 

zébrures plus-que-parfaites des soirées ligotées remémorées à la santé du Colon ------- à la danse des conquêtes Paupières à détruire dans les gales évasés au mépris de la loi Soleil couchant mais bombé qu’on recherche au détour de tous ces hommes en fuite

 

coups de matraque dans le dos et l’ordre à l’immoral Cagoules du trappeur sans un mot à la vie Bâillons de retraités sans feindre le volcan Testicules balafrés jusqu’aux canaux déférents Coccyx martelés jusqu’aux accès de frissons                     la voilà perdue à tout jamais perdue l’indienne Terre maculée de regrets au sommet des vivants et des morts

 

rayons de lune aveugle Vibrance de l’air obèse Mensonge du son acromégale  Et pulsation du sang des aphasiques  Rythmiques des rythmes du monde Excès du temps de vierge incendiée Parapluies d’amour  sous la chaleur de l’éclair des insensés

rut de ma mémoire qui danse comme une seule chair de mon silence

 

mon pays (et mon peuple) à genoux en haleine s’éteint au comble des tortures

visages demeurés vieux amis de l’impossible

vitaminose de l’amour à injecter à tous les Che du Tiers-Monde
nausée dans l’asphalte du soir et des avenues à guérir

desquamation de l’ombre en fumée dans le calme des cimetières
poètes qui écorchent ma poitrine dans l’oubli du terroir

pour demain au crible des contrats de morts ou vifs             je me plie à la vie qui bascule mes échanges d’enfant du soleil

 

au centre de chaque homme qui nourrit                     les étoiles qui vomissent sur la ville des fragments de tristesse  Les poèmes infidèles aux visions sans feu  Les soleils qui se prolongent au soleil qui nous unit

 

maquereau étrange d’un étang à chanter Yeux des yeux qui brillent comme une étoile pleine de souvenirs Dorades qui nagent dans le silence de nos silences Battements de cœur de mérous de la mer qui éclatent à la ruée de nos songes Pierres à feu qui roulent fugaces à visiter l’aurore  Coélancanthes qui grandissent immémoriaux dans les bacs  Mon nouveau-né à aimer selon sa couleur plus qu’un martin-pêcheur

 

danses de pureté pour l’indienne Terre au creux de la flamme Néons des illusions aux déchirures de l’amour des femmes au-dessous des pylônes      Phallus dans le ciel qui joue avec le vent

 

je dis Vous par trahison de nos brisures sous le soleil

 

sueurs aux tempes qui se tissent de naïves espérances Arcs tendus en douceur à dix mille mètres d’altitude Douleurs au ventre prisonnières de l’abdomen du désir

je m’efface sans espoir dans la vibrance des douleurs et des larmes à dissoudre

je me noie à l’horizon de vos songes éternels

 

dipsomanie de l’amour pour l’amitié des enfants endormis Vagabonds venus de la fougue dans l’opaque des conquêtes Chiens errants de suicidés autour de mes bras larges de tendresse Grand craquement du tonnerre en chanson d’allégresse Exaltation des frontières à la foulée des hêtres chargés de siècles à chaque goutte d’eau à chaque goutte d’homme

 

diplopie de la parole à prendre le risque mathématisé

diphtérie de la vie entre les doigts et les prétextes de la main entre quatre murs de l’inconscient fossilisé

 

j’ai pris congé de toi Miguel – les fleurs en sont témoins – un certain soir d’automne Nos corps d’eau de cristal d’arc buvaient l’immensité des vers d’une minuscule vie Mais puisque tu veux compter sans un verre les instants criblés de tonnerre  Puisque tu veux rester solidaire et  te mêler à la lutte

 

je rends à ta noirceur les mille et une lunes empilées

j’anime au coin des rues ton ombre comme un enfant

alors tendons aux affamés les glands de l’amitié

 

hémiréduction de ces trophées de verveine que partagent tes larmes où l’oiseau fait halte entre Lucifer et le Ciel            je te vois Miguel - les ombres sous l’aisselle - qui chante et ordonne  Et ces biopsies de l’épiderme de ceux qui entrent dans l’immortalité ces DCA ces baïonnettes au canon ce pont sur cette rivière morte (pourront-ils enfanter des soleils trop près des mousses et pissenlits de  l’Histoire)
les roses d’un cabaret de ton village voyagent entre gratte-ciel et ces cœurs en chômage        je te sens bouger semble-t-il heurter ce mur du siècle ce mur de la présence et de l’absence  Entre l’arbre et l’écorce l’été qui suinte abandonne l’enfant au sadisme des militaires boliviens bottés de corps brûlés dans un bain de feuilles mortes Absolution pour la mort Extrême option pour la vie Chants de vie pour la mort  Chants de mort pour la vie  Yeux des yeux de la Seine à franchir selon les limites et le tracé des casernes de l’horreur Mugissements séculaires au milieu de la braise  Passeports falsifiés partagés au bout des jours Résidences secondaires au cœur des saisons  Départs sans visa aux empreintes d’un pouvoir

 

NOUS SOMMES FAMILIERS
                                                          À CES OMBRES DU QUERCY

Sainte-Thérèse (Québec),
05 septembre 2008

boule   boule   boule

Je suis pour une poésie d’homme qui brille aux flancs des cieux, forte comme une citadelle, souveraine comme tout peuple, costaud comme la vie, née du vécu et du sentir… faite de tension et de tendresse. Je suis pour une poésie gesticulant dans la réalité, qui vise les meilleurs lendemains. Je suis pour une parole-libération libératrice d’hommes. Parole humaine tendue aux carrefours de l’UNIVERSEL.

 

Forteresse d’images sur le soc même de la douleur. Paroles à douceur et de désespérance. Paroles vivantes. Paroles d’ombre et de sang. Parole-Intensité.

 

Poésie anti-suicide. Poésie du vécu dans les couloirs du Dernier Monde. Langage de cratère. Langage qui bouscule. Langage séduisant. Je tends vers une Poésie Solidaire en souvenir de demain.

Parole-Liberté. Parole-Survie face à la violence d’une vie macabre. Parole-Totale chargée comme un fusil. Je tends vers une Poésie vertigineuse à hauteur et aux dimensions de l’Être.

Comme un Mégalithe sous le soleil… Je suis pour une Poésie d’Homme-éclaireur de l’obscur, nécessaire à la vie et facile à conquérir.

L’auteur

Viré monté