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Pharmaciens de rue et immigrants africains

Saint-John Kauss

Passionné par le “viaduc” qui se projette dans les aires de l’Aéroport Toussaint Louverture / Carrefour Nazon, à Port-au-Prince, nous avons complètement oublié les vendeurs et autres intéresses qui campent dans cette zone. Vendeurs? Vendeurs de cellulaires et de fines camelotes à la merci des petites bourses de gens de la classe moyenne en panne de nouveaux gadgets. L’autoroute de Delmas, n’est-ce pas cette route qui conduit à Pétion-ville ou à Frères (quartier huppé de Pétion-ville). Cette voie, trop étroite de nos jours, n’est plus une autoroute. C’est un long chemin serpente de lampadaires et de panneaux solaires. La route de Delmas aux trottoirs sans fin, lieu des promenades nocturnes d’antan, n’est plus. C’est un espace d’exclusivité pour les “tat-tap” et gros camions qui vont dans les environs de Fermathe et de Kenskoff, autres régions plus éloignées que la ville de Pétion-ville.

Nous disions des marchands et vendeurs. Surtout des vendeurs de produits pharmaceutiques qui ont attiré notre attention. Car les vraies pharmacies sont vides à Port-au-Prince. On y retrouve donc, dans ses rues maquillées, toute la gamme pharmaceutique, allant des analgésiques jusqu’aux pilules pour les anorexiques et les obèses. De l’étranger, surtout de Miami et de New York, on demande aux parents restés dans l’ile l’expédition de ces derniers produits bien souvent inactifs ou périmés. Oui, l’Haïtien est ce qu’il est un être passif d’une activité absolue. Car dans la plupart des hôpitaux, rien ne presse et ne compresse les infirmières et les médecins. Le même professionnel d’hier de Montréal est comme tous les autres qui n’ont jamais voyagé, voire évolué. Arrogant sans empathie, il protège ses avants et arrières dans l’unique but d’être appelé a un Ministère de l’Etat. Changer l’Autre, Haïtien. Lui apprendre les grosses et petites manières. Lui rappeler qu’il est avant tout Africain et fier, n’est pas sans rappel au regard de sa couleur, de la lointaine terre d’Afrique et de toutes les “dynamiques” qui accompagnent ce grand Continent. Il n’en veut pas, point, guère.

En attendant l’Amérique, Haïti est de nos jours envahi par les Européens et les Africains d’origine. Nos Africains, ils ne sont pas aussi misérables que ceux rencontrés à New York, vendant des pacotilles dans les rues, à droite et à gauche, autour des stations de métro, d’autobus et de trains de voyage, à Manhattan. Ces envahisseurs sont enfants ou petits cousins des Haïtiens qui ont séjourné en Afrique durant l’ère duvalerienne. Retraités ces Haïtiens - après avoir occupé des postes alléchants en Afrique, et après des brefs séjours au Canada, ils rentrent au pays, satisfaits, accompagnés de femmes et de marmaille africaines. Un second lot provient de noces Afro-haïtiennes, entre des étudiants au Canada, plus précisément à Montréal (Québec). Pourquoi retourner en Afrique qui est si loin et non prospère? Le calcul est tel que la petite bourgeoise haïtienne mais claire de peau, ramène le cousin africain au bercail après les études. Il sera bien accueilli surtout s’il est “mulâtre africain”. Le dernier lot est nul autre que celui des étudiants africains, boursiers de Cuba ou d’Haïti, fuyant malgré la signature (et les promesses) de l’accord entre leur pays et celui de Castro. Ils s’installent au pays de Toussaint-le-béninois, surtout dans les provinces. Sans papiers légaux – permis de séjour, ils se font engager, tant bien que mal, dans l’administration de l’Etat et ailleurs, en tant qu’experts avec la complicité de farouches intendants sur place. Ils apprennent aussi bien le “créole”, marient des femmes haïtiennes et se font entretenir par la famille. Ils sont aujourd’hui nombreux, forment des associations, ont leur radio, et expédient de l’argent en Afrique, à la famille élargie ou à l’autre femme restée au village et sur le Continent.

Nous n’avons pas de problèmes à ce qu’ils vivent sous nos toits ou sous le soleil d’Haïti a perpétuité, puisque des Arabes y sont aussi depuis plus de cent ans. Nous n’avons pas de problèmes à ce qu’ils partagent nos femmes et fondent une seconde, une troisième….une cinquième famille, s’ils sont sincères. Car nous n’avons rien à protéger de ces “nouveaux arrivants” d’après le tremblement de terre (sic). S’ils sont là pour reconstruire le pays avec nous; s’ils y sont pour les ponts et chaussées, pour endiguer nos rivières en crue, apprendre l’alphabet, les contes et des dialectes africains à nos enfants, soigner nos vieillards et nos plus jeunes; s’ils sont présents pour nous rappeler qui nous sommes, ce que nous valions dans le temps en tant que race humaine, nos origines et nos gloires ancestrales. Bref, l’Etat haïtien, les Ministères des Affaires Sociales, des Affaires Etrangères, de la Santé, se doivent de récupérer ces Africains, nouveaux arrivants, de les légaliser comme cela est fait et se fait dans les pays d’outre-mer. Pourquoi, même après le séisme du 12 janvier 2010, continuent-ils de venir? Nos Arabes chrétiens de l’Ancien Empire Ottoman, eurent du flair et ils sont devenus riches en Haïti. Les Africains, présentement perdus dans le vaste et riche Continent qu’est l’Amérique, ont certainement lu l’Histoire d’Haïti. Ils y sont, des milliers et des milliers au pays. Alors offrons ce poème a la mémoire des disparus de l’Esclavage des siècles passes, et lisons:

 

TOTEM

le vide ô solitude             arche des gémeaux en transit sous les pas du pollen
vide de la liberté d’une main dans l’écrit ―――   des deux dans les cassures du cri pendant l’amour             dans le rut des échos / des blessures par souffles de rumeurs
ô vide de l’amitié gagnée sous la léchée des gestes en otages de la joie                 arche du capricorne ――― épaule nue de la blessure
le vide / la solitude du texte              des écritures d’enfants en colonies d’apprentissage sur le chemin du globe
ô pirateries            des cinq points sur ma poitrine              métaphysique langage / l’iris de mon âme            cavalerie de signes et  mots de ma main          codés dans les sous-sols / les fûts de ma source en brouillons de pupilles           ô grimoires que j’ai violés jusqu’au bout de mon plus petit doigt
écrits des forges / fous de la page                    les marges au van des lanières de thyrses et d’anges               suée de belles fleurs pressées en grumeaux infinis              terres d’enfance en couples des cavernes au plus vaste de l’exil
le vide / l’exil             arche des mèches froides en chardons de voyelles
vide de la présence et de l’absence d’une main dans l’écrit       jusqu’au sel de l’as de cœur               jusqu’au ceps de la prochaine victoire sur la langue
jusqu’à mon poème trébuchant au-delà de la folie des cors         jusqu’au chant suprême et jusqu’à l’haleine des yeux je m’installe           par lacis de rêves aux plus hautes tours de vos hanches             Ô femmes de nos veilles
entre trois pelletées de sable et le fou de l’oiseau           les pinçons qui sucent les mots et le sang des syllabes fatiguées des équations sans maîtres ――― lettres et alphabets des lettres jusqu’au faîte de la dernière victime
Villon / Rimbaud / Racine                  grandes orgues du silence des archives et des métamorphoses brutes de l’écriture laminée sous le signe de la danse
par enjambées de rêves hirsutes  nous lirons                                 Hugo / Baudelaire / Eluard / Mallarmé / René Char et Perse              poètes de la liberté du nu au grand désordre de l’humain ――― grands magiciens / envahisseurs chevauchant les mots pour l’écrit de la nuit
par l’écrit de l’ophrys / de l’opaque lierre des ratures  de la giroflée / du pers et du fuchsias / de l’interdit merisier ――― orphées sans mors dans l’outrance des hautes feuilles             d’assauts de mots envisagés par ramées vers le chant
par l’écrit de l’orme du bouleau et du cèdre jusqu’au regard double du pin captif dans l’anse ancillaire de la débauche ――― je me promène dans la vallée des mots et des mésanges en grue sous la supervision formelle de l’homme dans l’écrit de chaque nuit

                                                                                 (Ouanaminthe, 09 mai 2014)

Viré monté