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Méchantes mulâtresses

par Saint-John Kauss

Au Québec, il y a des clubs de danse pour l’homme Blanc et des clubs pour le Noir, les Asiatiques ou les Latinos. Ce n’est pas comme aux États-Unis où l’on transcrit au seuil de la porte le mot d’ordre de ne pas rentrer si on est de race noire ou métissée. Tout simplement, on peut ne pas vous servir ou vous demander d’aller danser de ce côté-là. Ils ont pour la plupart deux pistes de danse, et même trois. Cela dit tout. Dans les clubs de danse pour noirs aguerris, une seule piste et des femmes blanches. C’est la marche vers l’amour en blanc, et chacun souhaite dormir ce vendredi ou ce samedi dans les bras d’une femme blanche ou d’un homme noir. Nous comprenons la sensation d’être dans les bras l’un de l’autre, mais noirs ou blancs, quelle différence? La différence réside dans le tabou de l’un à l’autre. On entend souvent nos parents parler de telle race, et dans notre inconscient grandit le besoin de connaître l’autre. L’autre, ce sont, elles, ces belles immigrantes qu’on a l’habitude de voir à la télé; jolie Arménienne, splendide Soudanaise, frêle Éthiopienne, fidèle Sénégalaise, bruyante Haïtienne, scandaleuse Jamaïcaine.

Dans les écoles primaires en Haïti, on entrevoyait les petites filles françaises ou arabes de chez les Sœurs. Mais on ne pouvait pas y toucher. Ces filles-tabou habitaient les banlieues comme Pétion-Ville, le Haut-Delmas,  Furcy ou Kenskoff. À cette époque, il n’y avait pas de Cité Soleil, ni les cités-carton. Si vous habitiez les hauts lieux de la ville de Port-au-Prince, vous seriez chanceux et en mesure de connaître ces filles, puis ces femmes d’un autre monde. C’est toute une sensation de connaître l’autre qui s’affuble de tous les caprices. Ce furent ces filles qui devenaient alors femmes de premier Ministre sous les présidences de Vincent, Lescot ou Magloire. Puis vint Duvalier (père) et ses hordes de macouteaux et macoutes durs. Duvalier exigeait même de ses partisans une maîtresse-mulâtresse, si c’est un homme noir ou bleu, autant qu’un maître-mulâtre, si c’est une femme noire. Le monde à l’envers, que précisaient surtout les mulâtres de Jérémie. Pour en finir, il (Duvalier) les faisait assassiner. Méchant Duvalier.

Certains compatriotes de la diaspora ont gardé ces mêmes réflexes, par instinct de conservation. Il faut les voir, les observer dans les clubs. Ils s’inclinent devant tout ce qui est clair ou blanc. Des québécoises, jeunes et vieilles, fines ou obèses; des divorcées françaises à la manque; des femmes arabes sous recyclage; des dominicaines de tous les matins; des européennes de l’Est, usagées à n’en plus douter. Nos Haïtiennes sont à la maison avec la marmaille.

Les Haïtiens de province avaient et ont jusqu’à maintenant cette mauvaise habitude  de sous-estimer les hommes mulâtres de chez nous. Dans leur esprit, ils (les mulâtres) ont les sous, mais eux, la magie vaudou, les racines ancestrales. Quelle magie! Quel secret! En tout cas, de nos jours, tout le monde se dit Hougan et Mambo, nègre comme mulâtre. Avec le temps,  ont-ils été adoptés par les esprits-vaudou. Un cas d’ethno-clinique nous vient à l’esprit: la famille Benoît venait d’être assassinée par Duvalier. Officier de l’armée haïtienne, le seul héritier des Benoit restant, absent de la maison, profita pour prendre le maquis dans une ambassade à Port-au-Prince. Duvalier fit venir un hougan au palais, et l’exigea de faire revenir Benoit sur la terre ferme afin qu’on l’arrête. Mais comment? Par l’intermédiaire d’un esprit ramasseur. Benoit qui n’était pas si «petit» que cela, effectivement sortit de sa cachette jusqu’à la barrière de l’ambassade, et se mit à gronder, à rugir comme un lion. Les soldats-paysans, si imbus de ces choses mystiques de la campagne, restèrent bouche-bée. L’ange protecteur de Benoit (li monte-l), venant de Jérémie, bascula la populace des malfaiteurs en faveur de son cheval (choual-li). On n’a pas pu le faire sortir pour l’arrêter. Une leçon mystique que nous avons gardée en mémoire, et qui nous fait sourire à chaque fois que nous croisons ou que nous parlons à un de nos frères mulâtres. Oui, faisons danser nos mulâtresses.

boule

 Viré monté