Potomitan

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Mémoire des amantes

à Marjorie, Line et Francès

«Je confesse, Seigneur, devant Vous, que j’ai fait
Danser mes plus beaux vers devant ce corps d’argile:
Mais c’est vers Vous, l’Auteur du poème fragile,
Que l’hymne eût dû monter de mon cœur imparfait.
»

(Luc Grimard)

Saint-John Kauss

Têtes de femmes

Tête de femmes par Bernard Sejourne. Nader art

capitaines de mes amours et de mes déchirures refoulant l’étoile de l’ombre
jusqu’à mes péchés originaux
jusqu’au défoulement des voiles du ciel
jusqu’à l’humiliation de mes poèmes têtus
jusqu`à l’extrême onction d’un enfant délivré

je vous ai connues
vos grandes mains charnelles
vos longues cuisses de femmes attendries
vos refuges qui portent la vie
ce dernier geste de la mort décédée

et vous êtes de cette douceur sans fardeau ni peine
femmes de faim et cicatrices de mon passé
ô belles assises sur mes paupières
guettant les inconnus de la ville dans des gestes
de prière

vous futes mes affres d’une nuit de supplication
des nuits à la fine pointe de l’amour
le sperme et l’odeur des aisselles
le miel de vos déhanchements parfaits

et nous avons forgé le grand rire jusqu’aux voûtes des matins
ô malheureuses et dignes femmes qui m’indiquaient la route
celle de nos bonheurs et de nos solitudes

naufragées des enfances miraculeuses
dans l’éparpillement des caravelles
déjouées au plus profond des silences de la mer
qui assagit les cœurs
qui refond les souvenirs de mille échos
et du poème

mon poème que je vous livre
végétal
dans l’innocence des corps
nos corps habiles et résignés
entre deux mains
entre nous deux

et malgré les fortes odeurs des villes
dans la couchée des nuits
il y avait quelque part un poète
une prophétie de notre deuil des étoiles
un appel lointain sans l’ombre de sa bien-aimée
une citadelle sans égale dans la plus pure tradition
des échos et des Rois habillés d’éternité

tentées par la gloire de ressusciter mes mille et deux fantômes
de prolonger ma ligature des hommes sans humilité
des femmes sans habits de douceur
pareilles à de vieilles lampes de marins
pendues dans des cathédrales défuntes

mais femmes de toutes couleurs et de tout gabarit
souvenirs d’échos oubliés dans les Antilles
femmes d’Europe plénière
réapparues avec les yeux
de l’aveugle imbu d’amour
femmes enchantées de tous les continents
en chantier d’aimer
voilées kabyles ou turques inanimées
femmes nues femmes noires ou femmes de neige

… il n’y a que vos soupirs qui m’enfoncent dans la vie

 

Mont-Joli / Audoin,
janvier 2006