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Jean-Claude CHARLES ou ce corps noir

Saint-John Kauss

Jean-Claude Charles, né à Port-au-Prince le 20 octobre 1949. Après des études à la Faculté d'ethnologie de Port-au-Prince, puis des études de médecine qu’il a abandonnées à l’Université Autonome de Guadalajara (Mexique), Jean-Claude Charles a finalement étudié le journalisme en France où il demeura.

En Haïti, il avait collaboré au Nouvelliste et à Radio Haïti où il animait des émissions culturelles et de variétés. Jean-Claude Charles a publié, entre autres, en France: Négociations (P.J. Oswald, 1972), Sainte-Dérive des cochons (Nouvelle Optique, 1977), Le corps noir (Hachette, 1980), De si jolies petites plages (Nouvelle Optique/Stock, 1983), Bamboola Bamboche (Barrault, 1984), Manhattan blues (Barrault, 1985), Ferdinand, je suis à Paris (Barrault, 1987).

Jean-Claude Charles est décédé à Paris le 7 mai 2008 à l’âge de 59 ans.

 

LA LÉGENDE D’UN HOMME SANS LÉGENDE

(…)
Je suis un homme sans légende
n’ayez point crainte de me nommer barque de larmes
l’enfance s’en est allée avec la métaphysique de la perpétuelle tranquillité
l’enfance demeure introuvable depuis le tocsin de ce premier soir
où j’ai cessé de fignoler des étoiles dans la mer
cessé de nouer des serpentins de lumière autour de nos banjos
les trous du malheur
j’y mettais à la fois trop d’inhumaine ferveur et trop d’espérance
aujourd’hui je bois un alcool maléfique
nos décors nos masques sont épiques et de verre
on a cassé les antennes de nos désirs
je dois donc me rassembler dans la patience
pour qu’en plein mitan de cette rue où j’ai vécu ballon bécane
et chat botté
renaissant mon enfance je vous retrouve vous aussi perdus dans votre histoire
assis dans vos légendes de pois de riz matin midi soir et tous les jours de la semaine
vous direz que ma jeunesse menait au marché son âne d’innocence
tout chargé d’arbres nains d’herbes à venins

(…)

Je suis un homme sans légende
je suis venu au monde  par un temps de fatigues et d’espérance
à Port-au-Prince aux environs de midi
la souffrance faisait tournoyer ses lanternes dans nos châteaux
de seconde main
ma mère accouchait d’un langage transpirant  de curare
son fœtus devenait cri
et la radio m’apportait un cortège immense de joujoux
il faut battre l’enfant tandis qu’il naît chaud
un peu plus tôt d’autres enfants imprimaient leurs ombres
sur l’asphalte à Hiroshima
comment mon père pouvait-il savoir
lui qui ne lisait sans doute jamais les journaux
lui qui ne connaissait que le clairon de huit heures
chassant nos tourments tous les jours de l’année
par un magistral déploiement de drapeau…

                           (Négociations)

 

 

  • CHARLES (Jean Claude): Négociations, P.J. Oswald, Paris, 1972; Free (1977-19997),  Sapriphage 33, Paris, 1998; Sainte dérive des cochons, Nouvelle Optique, Montréal, 1977;  Le corps noir, Hachette / P.O.L., Paris, 1980; De si jolies petites plages, Stock, Paris, 1982 ; Bamboola Bamboche, Barrault, Paris, 1984;  Presses Nationales d'Haïti, Port-au-Prince, 2007; Manhattan Blues, Barrault, Paris, 1985; Ferdinand je suis à Paris, Barrault, Paris, 1987;  Les treize morts d'Albert Ayler, Gallimard, Paris, 1996; Quelle fiction faire? Que faire?; Notes sur la question littéraire haïtienne, Mémoire, Port-au-Prince, 1999.

 

3.1.2012

Viré monté