Potomitan

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Annou voyé kreyòl douvan douvan

Célébrer Obama  le vertueux,
Avec lui Délyanné et Woulyanné le monde.

Laurent Farrugia

Basse-Terre de Guadeloupe
Février 2009

 

Maintenant que se sont apaisées les trompettes de la renommée,
grisantes à l’envie, propices aux opportunistes
et toujours faciles à enfourcher,
j’autorise ma plume,
affranchie de toute allégeance politique,
imperméable aux clameurs du cirque
et libre de toute servitude médiatique,
à célébrer  Obama.

 

  Illustration de l’ouvrage «Canne, sucre et rhum aux Antilles et Guyane    françaises du XVIIe au XXe siècle» par Joseph René-Corail dit Khokho.

Canne, sucre et rhum aux Antilles et Guyane françaises du XVIIe au XXe siècle

 
Toute  célébration est entachée de méfiance, lorsque le célébrant n’ose s’identifier. Je m’identifie donc. Et voici d’abord ce que je reconnais ne pas être:

  1. Je ne suis pas  obamaniaque. Un vent d’obamania  a déferlé sur le monde. Obamania, c’est ainsi que les journalistes nommèrent cet engouement quasi-universel. Pour connaître un peu le Grec, je sais que les Hellènes appelèrent  mania toute folie. Or,  si j’acceptais d’être fou, je serais fou de Dieu; mais  comme je suis déjà fou du créateur de  Dieu, je me contente d’être  sage.
     
  2. Je ne suis pas un Obama-fan. Je comprends que dans notre système de starisation et de pipolisation universel, Obama qui est jeune, beau, courtois, élégant ait fait chavirer bien des cœurs. J’admire la fraîcheur et la naïveté de ses millions de fans enthousiastes, mais je ne laisserai jamais dégénérer en puérilité, cette vive admiration que je lui porte. Dans tout fan sommeille encore l’enfant .J’ai l’âge de redevenir un enfant, mais plus celui de l’être.
     
  3. Je ne suis pas un Obama businessman. Je comprends que de tels chantres puissent pulluler;  le commerce des effigies, des icônes et des idoles est vieux comme le monde. Et l’idolâtre, qu’il soit hagiographe ou griot, est mercantile. Or je suis iconoclaste.
     
  4. Obama n’est pas mon Président. Il est le Président des États-Unis d’Amérique. Je n’ai voté ni pour lui, ni contre lui ; car je ne suis pas son électeur. Je ne suis pas américain; et je ne fais pas semblant de l’être.
     
  5. Nul n’a le monopole de la célébration. Des milliers de célébrations déjà se sont épanouies, des myriades d’autres surgiront. J’espère qu’elles fleuriront des années durant et que toutes convergeront vers l’éloge. Ma célébration est donc bien un éloge,  un éloge culturel et non point cultuel. D’ailleurs Barack ne supporterait pas qu’il en fût autrement, lui qui ne confond pas baraka et silsila; lui qui n’écrit pas pour les aveugles, mais pour ceux qui voient; lui qui ne parle pas pour les sourds, mais pour ceux qui entendent entendre. Or il n’est pire sourd que le bien entendant qui refuse d’écouter. Prends donc un petit banc; assieds-toi et écoute. Pwan tiban-la. Sizé. Kouté  pou Tann. Tann e Konpwann.

En Obama je célèbre d’abord le triomphe de la volonté  sur tous les déterminismes, sur toutes les  aliénations, sur toutes les turpitudes et toutes les désespérances...

Obama est noir; et je me réjouis qu’un Noir soit devenu par son intelligence, son courage et sa volonté, l’un des hommes les plus puissants du monde. Point n’est besoin d’évoquer ici les horreurs de la traite négrière, les abominations de la transformation de l’homme en bois d’ébène, son infâme  chosification et sa transformation en bête de somme. L’esclavage est aujourd’hui reconnu comme crime contre l’humanité; et il n’y a de pire crime que ce crime-la.Or même après l’abolition, on refusa l’égalité aux Noirs et des générations durent se battre contre le mépris odieux. Certaines batailles furent titanesques. Des Noirs  au comportement  héroïque se sacrifièrent  un peu partout,  mais la reconnaissance de l’égalité et du respect absolu leur était toujours sinistrement refusée. Alors se mit en place ce grand combat pour la reconnaissance des Noirs dans tous les domaines, jusque dans celui de l’exercice du pouvoir suprême. Affrontement terrible, de toutes les heures et de tous les instants. Luttes d’abnégation et souffrances de martyrs. Personne ne savait si ce Combat pourrait finalement  triompher. Vint enfin  Obama qui dit: yes, we can! S’inscrivant dans la lignée des grands résistants, dans le sillage de Malcom X, de Mohamed Ali, de Rosa Park, de Martin  Luther King et de Jesse Jakson, il reprit à son tour le flambeau et mena l’homme noir à la victoire, celle de la reconnaissance par l’univers entier de la valeur de l’homme noir, de sa dignité et de ses droits. Obama n’est pas fier de moi puisqu’il ne me connait pas; mais moi, je suis fier de lui et je lui exprime mon humble gratitude.

Obama est aussi un Métis. Je me réjouis qu’il se reconnaisse  comme tel et qu’il fasse de ce métissage une occasion de fierté. Partageons cette fierté, car le métissage posé comme valeur universelle n’est pas une affaire de peau, mais de cœur. La conscience, cessant d’être recroquevillée sur elle-même, s’ouvre à la conscience d’autrui, considère la différence comme une source d’enrichissement. Sa conscience humaniste devient plurielle et s’étend aux confins de l’universel. Obama est le paradigme de l’Anti-race pure. Il parachève le Métissage, dont la longue histoire est celle de l’hominisation .Il est l’aurore de la Créolité.

Qu’en est-il donc de nous, Créoles, par rapport à cette pensée vivante qui soudain nous  interpelle et nous fascine 

  1. Obama qui, n’en déplaise à notre vanité, ne connaît encore que très peu le fétu de paille que nous sommes sur l’océan des âges et des mers, ne nous donne aucun ordre, aucune directive. Il nous demande seulement d’être fiers, authentiques, d’avoir le courage de constater qui nous sommes et  de dire qui nous voulons être. Avoir le courage de constater qui nous sommes et  d’exprimer clairement qui nous voulons être, oui, nous pouvons avoir ce courage; nous l’avons; et nous le montrons; d’abord par la parole; ensuite par les actes.
     
  2. Nous sommes un petit peuple. Pas une population; un  peuple; le peuple guadeloupéen. Oui, nous pouvons en être fiers; nous pouvons le dire;  nous le disons  et nous le montrons...
     
  3. Nous sommes une jeune nation, née de la sueur de nos pères et façonnée par la gloire de nos martyrs, une jeune nation qui prend chaque jour davantage conscience d’elle-même et qui désire s’assumer comme telle. Alors disons-le clairement et sans peur. Oui, nous pouvons proclamer que nous sommes la nation guadeloupéenne. Nous le pouvons;  nous le devons; et nous le faisons.
     
  4. Toute nation a droit à la souveraineté, c'est-à-dire à la possibilité de légiférer. Donnons-nous cette possibilité. Devenons souverains. Oui, nous le pouvons; et nous le devons. Qui pourrait bien nous en empêcher? Personne. Qu’est-ce qui alors nous en empêche? Notre peur. Notre peur de nous-mêmes. Nous  n’osons  dire au grand jour que nous sommes désormais ansanm ansanm (tous ensemble). De terribles démons nous hantent. Des angoisses resurgissent: la peur du communautarisme; la peur de l’anarchie; la peur du racisme; la peur du terrorisme; la peur d’une régression vers le cannibalisme. Allons donc!  Exorcisons ces vieux spectres. Ils sont d’un autre âge. Non, nous ne sommes pas des Hutus et des Tutsis et encore moins de sinistres terroristes masqués Nous pouvons vaincre cette sourde terreur, le plus naturellement du monde, dans le respect de nous mêmes. Soyons nous-mêmes. Soyons nou-menm nou-menm annou, tout simplement, dans la reconnaissance réciproque de notre diversité. Triompher de la frayeur par la confiance; oui nous le pouvons. Regardez bien notre jeunesse. Elle n’entend pas partager nos hantises séculaires. Elle est déjà tournée vers l’avenir. Elle  ne demande qu’ à vivre décemment et à s’aimer. Et c’est un plaisir que de l’entendre chanter avec joie cette évidence profonde: La Gwadloup sé tannou, la Gwadloup sé pa  ta yo… Et à qui voulez-vous qu’elle soit effectivement, la Guadeloupe, si ce n’est à nos enfants? Dans «Autonomie pour la Guadeloupe» et dans «Le fait national guadeloupéen», je revendiquais cette souveraineté nationale voila près d’un demi siècle. Comment ne la revendiquerais-je pas à nouveau aujourd’hui, après que nous ayons parcouru ensemble un aussi long chemin?
     
  5. Cette souveraineté est-elle compatible  avec notre appartenance à la République française? Bien entendu, elle l’est; car la république française n’est pas une réalité figée. Seuls sont imprescriptibles et intangibles, les principes de sa devise: Liberté, Egalité, Fraternité, principes à vocation universelle, fondement des diverses Déclarations des Droits de l’homme et du Citoyen,  principes auxquels nous souscrivons. Toutefois, pour survivre dans un monde post-colonial et post-racial, notre Constitution  qui par voie parlementaire  se transforme en permanence devra continuer à le faire. Et le temps est effectivement venu pour notre République d’envisager une nouvelle configuration, celle de régions souveraines et de nations souveraines toutes libres et toutes associées librement dans une seule et même république, la république française. C’est  d’ailleurs en opérant cette métamorphose et en revêtant aux yeux du monde la forme d’un état post- colonial et post-racial que la France restera dans le peloton des grands états capables d’infléchir le cours du monde. La France va devoir se delyanné, se lyanné, et se woulyanné. Elle le peut  et elle le doit. Il y va en effet du Salut de la République et de l’Espérance du Monde. Yes we can pourrait donc bien devenir la devise de tous les Français…

L’assomption de nous-mêmes, et la métamorphose de notre république sont deux itinéraires splendides, réalisables, mais à une seule condition, que nous soyons vertueux.
Aussi l’appel d’Obama est-il essentiellement et avant tout un appel à la vertu.
Rien de grand ne s’est jamais fait sans vertu.
Et je souscris pleinement à chacune des vertus qu’il attend et exige de nous:

  1. La lucidité
    qui est le courage de regarder en soi.
    «In te redi. In interiore  homine habitat  veritas»
    Ce que Saint Augustin le Numide pratiqua et nous recommanda, pourquoi en aurions-nous peur? Oui, prendre le temps pour la réflexion. Osons le silence des passions. Yes we can.
     
  2. L’esprit de Justice
    qui doit être capable de réguler le capitalisme mondial,
    d’en interdire sans ambigüité les effets  mortifères et prévaricateurs,
    de le conserver  dans les limites du travail rémunéré à son juste prix et du profit partagé.
    Cette humanisation du capitalisme est-elle possible?
    Je ne sais pas; souvent j’en doute.
    Il faut pourtant essayer et se battre en ce sens.
    Garder vivace en nous l’esprit de Justice. Yes we can.
     
  3. La Loyauté
    Créer les assises d’une société post-raciale
    où le racisme, monstre rampant toujours renaissant,
    soit dénoncé  avec la plus extrême des vigueurs. Yes we can.
     
  4. L’Equité
    qui fait que nous ne soutiendrons jamais assez les plus pauvres.
     
  5. La Générosité
    qui exige que nous menions un combat radical et définitif contre la faim dans le monde.
     C’est facile, si nous le voulons.
     
  6. La Miséricorde
    qui exige que nous donnions de l’eau pure à l’ensemble de la planète Terre.
    C’est possible et facile. Yes we can
     
  7. La Compassion
    qui fait que devons éradiquer sans plus tarder le sida de la planète terre. C’est possible. Oui nous le pouvons.
     
  8. La citoyenneté écologique
    L’univers y aspire.
     
  9. La tolérance
    Qui doit favoriser le dialogue des religions et veiller à ce que le fanatisme ne l’emporte.
    Yes we can.
     
  10. La perspicacité 
    afin qu’il soit convenu que tous les hommes, où qu’ils se trouvent sur la planète terre, aient le droit de tout remettre en question, de chercher la pierre d’angle, l’assise inébranlable sur laquelle  en travaillant on édifiera un monde nouveau; et si elle est au plus profond de soi, que chacun soit autorisé à aller la découvrir là où elle se terre; et n’ait pas peur de l’enseigner aux nations
    «Visita interiora  terrae, et rectificando inveneris operae lapidem»
    Loin de toutes les chimères sectaires, savoir que construire le monde, c’est le maçonner, sans cesse le rectifier. Rectifions-nous nous même pour rectifier le monde. Le monde est à reconstruire. Tant mieux. C’est au pied du mur qu’on reconnaitra les hommes de bonne volonté. VITRIOL. Yes we can.
     
  11. La Patience
    C’est la vertu de Dieu et celle du génie.
    Oui nous pouvons être patients.
     
  12. L’Agapé.
    Le genre humain y parviendra.
    Oui, nous le pouvons.
Personne n’est parfait. Hormis les Tartuffes et le Pharisiens, nul ne peut se targuer d’être plus vertueux qu’un autre. Chacun à son niveau doit, en son âme et conscience, pratiquer la vertu dont il se sent capable. Et on est capable de toujours plus, si on le veut.

À la Manouba, Frantz Fanon me répétait: «Laurent, L’homme est d’abord une volonté tendue. Je suis devenu algérien, parce que j’ai voulu devenir algérien. On devient qui on veut; et lorsqu’on le veut véritablement, on le peut». Dans le sillage de Sartre et de Fanon, je suis resté volontariste; et c’est en restant fidèle à Fanon qui aurait été heureux de voir tout ce que nous avons vécu ces jours-ci, que je dis: yes , we can.

Quant au mot Nègre, il est sous ma plume un éloge. Cheik Anta Diop fut en effet la première personne à me réveler que l’Humanité venait probablement d’Ethiopie. Au Musée de l’homme, à Paris, on nous enseignait le contraire. J’ai eu l’insigne chance d’avoir pour amis respectés Cheik Anta Diop et Aimé Césaire qui par l’intermédiaire de Jean Paul nous envoya à Basse-Terre René Corail pour y construire une œuvre immémoriale. Peu avant sa mort, Césaire me disait: «Laurent, comprends bien le Négritude. Ce n’est pas une élimination de ce qui n’est pas noir. C’est seulement un grand cri pour dire: le Nègre est digne, le nègre est beau et il est universel.» et je pense qu’aujourd’hui Anta Diop et Césaire auraient dit tous les deux: yes  we can. 

 

 

 

Macouba par Joseph René-Corail dit Khokho.

Canne, sucre et rhum aux Antilles et Guyane françaises du XVIIe au XXe siècle

Quant aux violences et aux massacres dont on fait mine de nous menacer, il est évident qu’il n’y en aura pas. J’étais à Basse-Terre en mars 67, à 20 mètres du magazin de Srnsky, ce raciste anticommuniste lamentable. Et j’ai vécu ces trois jours  douloureux. Chacun sait aujourd’hui que ce sont mes camarades Gerty Archimède et Jérôme Cléry qui, par pitié, ont permis à Srnsky de ne pas être lynché et d’avoir la vie sauve. Et ils ont eu raison, car si nous avions lynché ou pendu Srnsky, Basse -Terre aurait-elle été plus glorieuse  pour cela?… J’étais aussi à Pointe-à-Pitre, aux côtés de mes camarades ouvriers  qui demandaient simplement une toute petite augmentation, lors des sinistres massacres de mai 67. J’étais dans la tourmente. J’ai senti la fumée, la poudre, les balles. J’ai vu couler le sang. J’ai vécu l’enfer. Je ne m’en suis jamais flatté. Je ne vois pas pourquoi j’aurais tiré gloire d’avoir échappé à un massacre et de n’avoir pas vécu le martyre. Par contre, pour avoir vécu  et subi de telles infamies, je suis bien placé pour dire officiellement à l’Etat: Attention. Plus jamais ça. Pas un seul Guadeloupéen ne doit être blessé. Pas une seule larme de sang. Le temps des martyrs est à jamais terminé. La Guadeloupe regorge de martyrs et leur sang imbibe encore les terres du Haut Matouba. Une goutte de sang guadeloupéen serait une goutte de trop .Et la République française  me décevrait à jamais si elle n’en prenait aujourd’hui clairement conscience. Il n’est jamais trop tard pour prendre conscience.

Sur la base de la paix, en accord avec Obama, mais en accord d’abord avec nous-mêmes, nou ke roulyanné un monde nouveau d’où la pwofitasyon sera sinon exclue, il ne faut pas trop rêver, du moins sérieusement endiguée et tenue en permanence en échec. Cette espérance doit nous guider. Espérer, yes we can, et  nous battre  pour la justice et pour la paix, yes  we can.

Laurent Farrugia

Basse-Terre de Guadeloupe
Février 2009.

 Viré monté