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Entretien avec Roger Lurel

 

Propos recueillis par Gerry L’Etang

 

Roger Lurel

Le guitariste classique guadeloupéen Roger Lurel nous parle ici de sa musique, qu’il diffuse de plus en plus sur YouTube, et de son prochain album.

- Vous avez décidé de mettre en ligne sur YouTube votre répertoire et vous y avez placé plus d’une centaine d’interprétations de musiciens principalement européens et sud-américains, depuis les maîtres du XIV e siècle jusqu’à ceux du XXe, mais aussi quelques-unes de vos compositions. Pourquoi cela?

- Je considère ça comme faisant partie de mon travail de musicien. Il s’agit ici de tirer parti d’une opportunité, YouTube, pour faire connaître en toute humilité un travail à des gens qui autrement n’y auraient pas accès. Et je recommande à d’autres musiciens de faire pareil, avec simplicité et dignité.  Mais ce que je mets en ce moment sur YouTube dépasse très largement mon répertoire. Le projet est de contribuer à une présentation de la culture guitaristique, de ses origines jusqu’à nos jours : Renaissance, Baroque, Romantisme, etc. C’est pourquoi je présente aussi des œuvres que je n’ai jamais jouées en concert. À cela s’ajoutent  mes compositions et aussi des interprétations d’inspiration populaire comme des biguines.

- Une centaine d’interprétations, ça fait beaucoup…

- Ça peut paraître beaucoup. En fait, ce n’est qu’un avant-goût. L’objectif, c’est de placer à terme sur YouTube trois ou quatre cents interprétations. Car la culture guitaristique est immense, et pour en avoir un échantillon représentatif, il faut donner à entendre beaucoup d’œuvres. Certaines de celles que j’interprète ne sont jamais jouées, ou alors très peu. Il s’agit d’œuvres anonymes ou de compositeurs lointains, peu connus, comme François Campion, Ernst Baron, Sylvius Léopold Weiss, Balint Bakfark… Quelques-unes n’ont pas été composées pour la guitare, qui n’existait pas encore, mais pour la viole ou le luth. Je les ai donc transposées. Comme je transpose aussi pour guitare des œuvres conçues pour des instruments plus modernes.

- Où dénichez-vous ces compositions?

- Lors de mes voyages un peu partout. Je fouille, je questionne et, servi par des connaissances musicologiques, j’obtiens les partitions que je cherche. J’ai découvert par exemple un talentueux pianiste dont la famille, originaire de Saint–Domingue, s’était réfugiée en Louisiane à la révolution haïtienne: Louis Moreau Gottschalk. Il a composé et joué en Martinique, Guadeloupe, Cuba… Nombre de ses morceaux ont été enregistrés il y a quelques années par le regretté pianiste martiniquais Georges Rabol. J’ai adapté pour la guitare certaines de ses compositions. Je les placerai bientôt sur YouTube. Il y a dans ma démarche des dimensions de recherche, d’érudition, de partage. J’ai de l’émerveillement à  trouver des partitions un peu oubliées mais géniales, à faire résonner ces vieux papiers en les jouant, et à proposer à qui voudra de les écouter en ligne. En espérant que ceux-ci seront autant que moi éblouis par ces musiques.

- Et la musique populaire créole?

- Elle est pour moi très importante, c’est l’émotion de nos peuples. Je travaille en ce moment à l’enregistrement d’un double album qui présentera une cinquantaine de biguines guadeloupéennes et martiniquaises revisitées à travers une interprétation de facture classique. Le but est de montrer toute la profondeur de ces musiques créoles, comme «Adieu foulard..», composée probablement au XIXe par un esclave de salon. J’ai été épaulé pour l’enregistrement de cet album par deux remarquables percussionnistes, un Cubain, Lorenzo Rodriguez, et un Guadeloupéen, Gustave Labeca, auteur par ailleurs d’un ouvrage fameux sur le Gwo-Ka. Mais j’y’interprète aussi des œuvres en solo. Ce type d’enregistrement est assez inédit. Mon rêve, c’est qu’un jour des musiciens japonais, coréens ou autres s’emparent de nos airs populaires et les jouent à la guitare comme ils jouent d’autres morceaux classiques.

- Jouer des morceaux populaires à la manière classique, c’est les sublimer?

- Oui et non. Il faut garder leur rythmique propre, la poésie de leur mélodie, bref, tout ce qui fait leur valeur, leur authenticité. Mais il s’agit d’apporter à leur exécution une technicité plus dense, plus élaborée. Ce ne sera certainement pas mieux que les interprétations traditionnelles de ces musiques, mais ce sera autre chose, qui leur donnera une dimension supplémentaire.

- Venons-en à vos compositions.

- J’ai placé sur YouTube sept de mes compositions, reprises de mes quatre précédents disques. Il y a notamment une suite dédiée à Miguel Angel Estrella, ou un morceau, «Le chameau», clin d’œil à un morne de Terre-de-Haut des Saintes. J’y mettrai aussi un raga d’inspiration nord-indienne dédié à mon maître en sitar, Narendra Bataju. Mais composer n’est pas pour moi une priorité. Il y a tellement d’œuvres extraordinaires de par le monde que composer me parait pouvoir attendre. Par pudeur sans doute, je me dis que je ne m’y investirai véritablement que plus tard. Pour l’instant, je me concentre surtout sur l’arrangement et la technique d’interprétation.

Propos recueillis par Gerry L’Etang

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Exemples d’interprétations de Roger Lurel

Sarabande en ré mineur, de Robert de Visée.

Étude n°1 opus 60, de Matteo Carcassi.

Anonymes du XVIe Siècle - Greenleeves.

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