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La saison de l’Ombre

Léonora MIANO

«Si leurs fils ne sont jamais retrouvés, si le ngambi ne révèle pas ce qui leur est arrivé, on ne racontera pas le chagrin de ces mères. La communauté oubliera les dix jeunes initiés, les deux hommes d'âge mûr, évaporés dans l'air au cours du grand incendie. Du feu lui-même, on ne dira plus rien. Qui goûte le souvenir des défaites?»

Nous sommes en Afrique sub-saharienne, quelque part à l'intérieur des terres, dans le clan Mulungo. Les fils aînés ont disparu, leurs mères sont regroupées à l'écart. Quel malheur vient de s'abattre sur le village ? Où sont les garçons ? Au cours d'une quête initiatique et périlleuse, les émissaire du clan, le chef Mukano, et trois mères courageuses, vont comprendre que leurs voisins, les BWele, les ont capturés et vendus aux étrangers venus du Nord par les eaux.

Dans ce roman puissant, Léonora Miano revient sur la traite négrière pour faire entendre la voix de celles et ceux à qui elle a volé un être cher. L'histoire de l'Afrique sub-saharienne s'y drape dans une prose magnifique et mystérieuse, imprégnée du mysticisme, de croyances, et de «l'obligation d'inventer pour survivre.»

 

La saison de l’Ombre, Léonora Miano • Grasset • 2013 • ISBN 9782246801139 •
240 pages
14x21 cm • 17 €.

Léonora Miano

Avec La saison de l’Ombre la camerounaise Léonora Miano entre dans la lumière des récompenses, puisqu’elle vient de recevoir tour à tour: le Grand prix du roman Métis au mois d’octobre  et le Prix Femina 2013 en novembre.

Avec ce roman l’auteur fait précisément la lumière sur la traite mais avec une vision, dirons-nous, afro-centrée. Là où les choses sont intéressantes, c’est que l’histoire est faite de l’intérieur de l’Afrique dans un lieu imaginaire sur le continent en bordure de mer. On imagine l’Afrique subsaharienne quelque part en Afrique Centrale ou Equatoriale.

Nous sommes plongés au sein d’un village, celui du peuple Mulongo avec ses traditions propres.

Le roman débute par un rapt, en effet un incendie éclate la nuit et met le peuple en déroute. Celui-ci qui se replie dans la brousse et au matin constate que douze personnes manquent à l’appel. Dix jeunes initiés et deux sages du village. Les femmes vont subir une douleur terrible. Une femme précisément au sein du Conseil, décide de les isoler. Elles sont donc recluses dans une hutte, était-ce pour ne pas contaminer les autres membres du clan, ou pour mieux supporter leurs douleurs? Vont-elles accepter cela en se repliant. Assurément non. Le lecteur découvrira que l’une d’elle prend la décision de partir à leur recherche et va participer à cette quête.

Mais une ombre vient visiter la hutte des recluses pour leur délivrer un message par le biais d’un songe, quel sera-t-il? Et puis peut-on faire «confiance» à une ombre? Est-ce un génie malfaisant qui joue avec leurs souffrances? Avec cette ombre, le magique est présent.

Le lecteur le découvrira au fil des 234 pages de ce magnifique roman. Il peut y avoir des difficultés pour entrer dans cette douloureuse histoire où les personnages sont nombreux. On remarquera au passage que tous les personnages féminins ont un nom commençant par (E). Eyabe, Ebeise, Ebusi, vont-elles symboliser l’engagement, l’entreprise de la résistance  l’exclusion voire?

Les personnages masculins commencent tous par (M). Mukano, Mutimbo, Mukudi. Est-ce au contraire le mal, le mal-être, voire la méchanceté?

Le roman pose de nombreuses interrogations. Qui organisait les rapts? Est-ce les « méchants » européens contre de «pacifiques» africains? Les captifs sont-ils tous partis? Que sont-ils devenus? Les captifs n’ont-ils pas créés d’autres communautés?

Cette histoire de vie, de vie après la mort car finalement des dix jeunes vont-ils mourir, va assurément vous bouleverser. Elle renvoie à nos propres interrogations. Comment nos ancêtres sont arrivés ici? Dans quelles conditions sont-ils partis? Ont-ils été vendus par leurs propres frères?

Peut-être qu’à l’issue de ce magnifique roman où nous découvriront les meurs des peuples Mulongo, très pacifique et vivant un peu en autarcie en ignorant les territoires voisins; du peuple Bwélé au contraire  belliqueux et conquérant et voulant asseoir sa domination sur un grand territoire va forcément faire des «alliances» contre nature. Ce peuple intégrait diverses communautés et diverses langues, n’a-t-il pas débuté «la créolisation»?

Léonora Miano semble vouloir faire revivre l’histoire des peuples dont il n’existe pas de trace. On constate avec horreur qu’il n’existe pas de fraternité de couleur mais bien des appétits de gains malsains qui créant une grande souffrance parmi les hommes.

Plongez donc allègrement dans ce magnifique roman, un peu difficile au début mais qui réserve un grand moment de littérature au bout de la dernière page. Ce n’est absolument pas par hasard que le jury du Prix Femina a couronné La saison de l’ombre parut chez Grasset.

Jid

boule

 Viré monté