Potomitan

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calindromes

 

Michel Ducasse

2004

 

 

 

 

calindromes, Michel Ducasse Éditions Vilaz Métiss • ISBN ? • 2008

calindromes

Préface d'Axel Gauvin

Pas «pa», «ca»: calindrome. Non seulement Michel Ducasse invente l’énigme, mais il en donne le sens: «groupe de mots que l’on peut caresser dans les deux sens» Et s’il ne met pas le circonflexe sur le «a», c’est sûrement pour que ce dernier ne dure juste que le temps qu’il faut, ou bien qu’il ne se réfugie sous la protection d’un toit (ou d’un toi): il n’y a pas d’assurances pour l’amour – fût-il tendresse.

Car ce recueil que vous tenez entre vos mains est avant tout de tendresses. Oui, au pluriel, car ce n’est pas non plus pour rien que Michel Ducasse a mis un «s» à Calindromes. Il y a d’abord sa tendresse pour les mots. Ça, il les aime les mots, les mots de ses langues – le français, l’anglais, le mauricien.

Les mots, il les fait danser, voler au plus haut. Mais il les casse aussi, il les disperse. Ce n’est que pour mieux les rassembler, les réunir. Et cela donne, au bout du vers, la combinaison inouïe, jamais lue, jamais vue; toute neuve et venue au monde au travers de son clavier.

Mais il n’y a pas que les mots que Michel Ducasse aime: il y a la poésie, en général et celle de Senghor en particulier. Il y a ses pays: son Île Maurice («l’île est en nous forcément») et son Goodlands, la Garonne et Nancy. Il y a, rimant avec bonheur, ses amis de La Réunion, et de partout: «J’aime Le a de l’Amitié Le b du vrai Bonheur Le c des Camarades...» Il y a la femme aimée, et puis il y a Lisa...

lotus

Tendresse pour le mot. Tendresse dans le verbe. Michel Ducasse se raconte dans «Calindromes».
Il l’entend dans sa tête d’abord. Une musique. Lancinante. Un rythme l’entraînant. Vers plume et papier. Pour croquer vertiges de l’amour, voltiges de parcours.
Calindromes. Du «câlin» au «drame». Du jeu de mot malin à la fleur qui fane. Michel Ducasse fait un tour sur lui, autour de nous. Dans son nouveau recueil de poèmes publiés aux éditions vilaz métiss.

Aline GROËME-HARMON
L'express, 14 avril 2008

lotus

cœur océan

Au reflet d’une morne insolence
Le lagon marronne sans alibi
Couleurs insulées brisant le silence

Tu dis que l’île est un désir
Un caillou déposé à l’envers d’un défi
Présence opaline à l’ombre d’un sourire

Le vent déshabille l’horizon frileux
Emporte en sourdine l’écho de la pluie
Le sable emprisonne nos pas amoureux

Tu dis que l’île est un secret
Une énigme incertaine au verso de l’oubli
Un soleil indécis au souffle d’un regret

Dans le reflet du Morne insolent
Lorsque la brise rallume la nuit
L’île est en nous, forcément…

boule   boule   boule

Cœur océan
Au désir d’un estuaire
Rivière fragile
Pour dégriser la mer

Et le vent m’emporte au rivage de tes yeux

Cœur océan
Au port de mes silences
Nuit de pirogue
Sur le sable éteint

Et la mer m’emporte en colère de ses lieux

Cœur océan
Au défi d’un regard
Silhouette fragile
Pour dépriser le ciel

Et le vent qui se lève au soleil incertain

Cœur océan
Brise câline
Souffle d’enfance
Sur le temps défunt

Je te désais déjà pour t’avoir tant cherché…

boule   boule   boule

Je te cherche
Dans l’ombre de mes mots
Pour solder impuissant ton compte de silences

Je te cherche
Impatient de ton cœur
Dans l’impasse sombre de nos pas séparés

Je te cherche
En prison de tes lèvres
Sur les portes closes d’un désert crucifié

Je te cherche
Dans l’attente implorée
Au souffle incandescent d’un désir foudroyé

Je te cherche
Et mendie ta présence
Dans la nuit immobile où ton corps disparaît…

(extrait de “calindromes”, 2008)

lotus

le dernier vers

Les souvenirs et les mots se bousculent dans sa tête. Miss Baby, qui tenait une classe de «bilo», dans sa petite case en tôle à la cité Ste Claire. On ne disait pas encore pré-primaire, mais le crissement de la craie sur le tableau noir est le même pour tous les enfants qui apprennent à déchiffrer les lettres avant de savoir écrire les mots qui les font rêver. Cette dame d’un certain âge déjà avait choisi de consacrer sa vie à transmettre les premiers rudiments de l’alphabet et du savoir compter jusqu’à 10 à des enfants de tous les milieux, qui craignaient par-dessus tout son «rotin bazar», équivalent indiscuté de la règle qui fait mal sur la paume de la main.

Il se souvient de Miss Baby, et ne peut s’empêcher d’avoir à la bouche le goût d’une friandise dont il raffolait à l’époque: le fameux «lapoud maye», une poudre de maïs vendue dans un emballage cylindrique qu’on laissait couler dans la bouche en tapotant l’extrémité avec l’index. Ce geste cent fois recommencé, et ce goût incomparable qu’il n’a jamais retrouvé depuis. C’est cela, l’enfance, se dit-il. Un geste et une odeur qui te collent à la peau trente ans après, dans un taxi qui refait le chemin à l’envers.

Son enfance, il a du mal à l’oublier. Il sait qu’on lui reproche souvent ce regard empreint de tendre nostalgie qu’il pose sur les lieux de ses premières découvertes. C’est vrai qu’il peut parler d’abondance de son école, à Goodlands, celle qui l’a accueilli après Miss Baby. Il se rappelle du premier jour, de sa mère qui ne le quitte pas des yeux, où il croit lire un mélange de crainte et de fierté. Son p’tit-garçon faisant ses premiers pas «dan gran lékol», c’est un moment qu’elle n’aurait raté pour rien au monde.
Elle qui lui a raconté comment elle avait été obligée de ne plus aller en classe à la mort de sa mère, alors qu’elle avait douze ans, et que son marin de père s’en était allé voir si d’autres ports, si d’autres femmes…

A-t-il jamais su si sa maman avait pardonné cette fuite en avant? Elle lui en a peut-être parlé, sa mère ne cachait pas grand-chose de son passé, de ses blessures d’enfance. Elle a dû le lui dire. Il en est presque sûr, mais il n’a pas envie, alors qu’il revient sur ses pas, de se rappeler les mots qu’elle a prononcés à ce sujet. Il préfère se souvenir d’une phrase souvent entendue, lorsqu’il avait le culot de se plaindre des leçons à apprendre, des problèmes d’arithmétique, de je ne sais trop quoi encore: «Tu ne sais pas la chance que tu as.» Pour elle, aller à l’école, c’était une manière de revanche sur son passé, un pied de nez à la vie qui ne lui avait pas fait de cadeau. Il se dit qu’un jour, il faudra bien qu’il finisse par la raconter, cette histoire belle et rebelle. Avec son cœur à elle et ses mots à lui.

Oui, l’école. Pupitres alignés deux par deux, on se bat pour être à côté de la plus jolie fille. Celle de la maîtresse, en l’occurrence. Elle a un an de plus que lui et un sourire qui rend encore plus timides les garçons de la classe. Il a de la chance, mais sa gaucherie naturelle n’est vraiment pas un atout. Elle se moque gentiment de lui et il ne s’en rend même pas compte. Malgré sa timidité maladive, ils sont toujours fourrés ensemble. Inséparables. Dans la cour de récréation, sur la terre ocrée, parmi les enfants chamailleurs aux couleurs chamarrées, il se surpasse aux billes alors qu’on prétend qu’il est un joueur assez médiocre. Elle le regarde avec des yeux rieurs, et se noue les cheveux avec les élastiques qu’il rafle à chaque partie gagnée. Il finit par s’apercevoir qu’elle choisit les couleurs selon son humeur. Ne peut s’empêcher de rougir à chaque fois que recommence ce manège.

Il n’a pas dit à sa mère qu’il est amoureux. La belle affaire! Par honte ou par pudeur, il n’en sait strictement rien. Même si elle partage ses serments et ses secrets vite effacés, vite oubliés, il n’a pas le courage de lui avouer ce premier trouble. Ces instants magiques liés aux amours d’enfance et auxquels il repensera à chaque fois qu’une fille aura pour lui le sourire de connivence de sa bienaimée. Il a surtout peur qu’elle ne comprenne pas qu’il lui préfère une autre.

Mais elle l’a su, «on ne trompe pas le cœur d’une mère», et ne cessera de le taquiner à tout propos. Elle n’est pas insensible au pouvoir d’attraction vers l’école, exercé par la mignonne sur son fils, qui s’en va tous les matins sans rechigner, c’est déjà un souci en moins. Mais elle doit parfois le rappeler à l’ordre. «Au lieu de te laisser embobiner par la fille à la récré, tu devrais plutôt écouter attentivement la mère en classe». Cette sentence l’avait assommé. Il se dit que sa mère a toujours eu le sens des formules à l’emporte-pièce. Et encore, celle-là n’était pas trop méchante…

Le «taxi-train» entame le rond-point du Jardin des Pamplemousses, et le vers d’Aragon continue de trotter dans sa tête. Peut-être parce qu’il retrouve dans l’écritoire de la mémoire cette image forte de sa mère consultant le Petit Larousse pour terminer ses grilles de mots croisés. C’est elle qui lui a appris à fouiller dans les pages remplies de mots, à chercher ceux qui pouvaient correspondre aux lettres manquantes horizontalement et verticalement, à se triturer les méninges – il se souvient être allé à tri- et men- pour en savoir le sens exact – avant de parvenir à compléter la grille. Après quelques mois de pratique assidue, le jeu s’était transformé en passion. Il passait des heures à chercher le mot rare ou alors ceux à l’orthographe compliquée, aux sonorités magiques, aux définitions qui le renvoyaient à une autre entrée.

Sa passion pour les mots, il en est persuadé, date de cette époque. Des années plus tard, à Nancy où il poursuit des études de lettres (tu vois, les lettres me poursuivent, écrit-il un jour, fier de sa trouvaille facile, à sa mère), il sera imbattable à un jeu qui consiste à donner les sens les plus extravagants à des noms ou des termes inventés sur l’instant. C’est lui qui a eu l’idée de ce divertissement apprécié de quelques amis et qui met de l’ambiance dans les fins de soirée. Exemple: le Dorbeaufin, «un vin du tiroir que l’on boit en cachette de son beau-frère». Il a une tendresse particulière pour «calindrome», «un groupe de mots que l’on peut caresser dans les deux sens». Il n’a pas eu à chercher loin pour trouver un nom à ce jeu couleur d’enfance: «la pause dictionnaire». Il dit «lapose» comme un clin d’oeil au créole qui lui manque, dans cette ville dont les habitants se targuent de posséder la plus belle place d’Europe.

Dans le tourbillon des temps et des lieux qui s’entremêlent dans sa tête, deux images fortes finissent par se superposer. Sa mère et Miss Baby. Deux femmes qui m’ont appris à aimer les mots. Cette dernière phrase, il la répète plusieurs fois et s’aperçoit, en comptant machinalement, que c’est un alexandrin…

(extrait de la dernière partie de “calindromes”, 2008)

lotus

zwazo albatros

Souvan, pou pran nisa, bann marin dan bato
Trap zwazo albatros, ki plané lor lamer
E swiv, dan enn ti-poz pares kouma matlo
Lakok pistas ki glis-glisé lor vag lanfer

Létan fini donn zot détrwa kout’pié lor plans
Tou bann lérwa lésiel, golmal, mari dékon
Pa sové, nek bouz fix, dan enn mové silans
E les zot gran lézel tréné kom zaviron

Get kouma li paret dan pins sa vwayazer
Ki fek-la ti gayar, get kouma li boufon !
Matlo bril so labek ki népli dan lézer
Lot imit so bataz, déklar kaspat lor pon

Enn poet li parey ar zwazo albatros
Kan li défié siklonn, laper fizi saser
Mé dan sagrin lavi, ler li glisé lor ros
Akoz so bel lézel, li tasé lor later…

Traduction/adaptation
Michel Ducasse

L’albatros

Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

Charles Baudelaire

 

Viré monté