Potomitan

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le 27 Septembre 2003
Dany Bébel-Gisler
nous a quittés...

Interview d'Elie Shitalou

Dany Bebel: la grande âme n'était pas l’esclave de la négritude.

Elie Shitalou
Il serait simpliste et périlleux de se limiter à penser, et d'aucuns pourraient en être tentés, qu'une personne de l'envergure intellectuelle et de la stature humaine de Dany Bébel n'ait combattu qu'avec en tête une mythique «cosa negra», ou une fougue purement «afro-gwada».

Certes, elle témoignait un respect exemplaire à l'Afrique de ses origines, et savait se parer avec goût de ces tissus qui lui allaient si bien.

Mais l'union de Dany Bébel avec Monsieur Gisler, d'origine belge, et l’interview-scoop que voici sur ses échanges avec le guadeloupéen d’origine indienne Elie Shitalou sont là pour prouver que Dany Bébel visait, comme tous les grands êtres, à la dimension universelle de l'homme: elle avait commencé avec Elie et quelques autres indo-créoles (Jacques Sidambarom, Jocelyn Nagapin), un travail que sa disparition ne saura empêcher, et dont le fruit est à paraître bientôt.

Jean Sahaï: Elie Shitalou tu es hindou guadeloupéen, ingénieur en agriculture connu de tous les éleveurs pour immense travail au service du pays. Tu es aussi un ardent défenseur de la reconnaissance de l'apport indien à la culture et au développement, à l'évolution de l'ensemble des habitants de notre Guadeloupe.

Elie Shitalou: Nous venons d'apprendre la disparition de Dany Bébel-Gisler, militante, combattante. Aux yeux de beaucoup elle incarnait la défense d'une culture nègre. Cependant tes contacts avec elle montrent tout l'intérêt particulier qu'elle portait également à la présence indienne en Guadeloupe.

Comment l'as-tu rencontrée?

J'ai rencontré Dany dans le cadre de la formation «DULCR» (Diplôme Universitaire de Langues et Cultures Régionales) à l'UAG. Ce fût l'occasion pour nous de partager de longues discussions sur nos combats culturels. Une motivation permanente d'aller à l'essentiel et à l'essence de nos racines propres, diverses. Comprendre, apprendre à comprendre, et agir pour ne plus être des spectateurs jugulés de notre propre anéantissement.

Avez-vous ensuite maintenu le contact, envisagé de comparer votre vision?

Nous en avons gardé d'excellents souvenirs et nous avons poursuivi des collaborations dans des domaines divers, notamment sur «La Route de l'Esclave». Son projet sur lequel nous étions en train de travailler était de produire, dans le cadre de cette manifestation, une idée, une action de collaboration forte entre le groupe culturel indien de Guadeloupe et celui des guadeloupéens d'origine africaine.

Au début de cette année 2003, Dany m'as contacté pour me faire part de son projet d'écrire un ouvrage destiné aux enfants sur «l'Histoire de l'Arrivée des indiens en Guadeloupe».

Cela a du te surprendre... Dany ne manifestait pas publiquement d'intérêt pour un tel sujet.
Etait-ce une prise de conscience nouvelle?

Sur le coup, j'ai été assez perplexe, en me disant qu'il s'agissait d'une idée «en l'air» et en me demandant pourquoi elle allait s'intéresser aux indiens. Le temps passa et en milieu d'année, à l'occasion d'une fête à Capesterre Belle Eau, elle me relança sur son projet.

Là encore, ma réaction fut la même. Le 1er août dernier (dernier jour de travail pour un repos mérité depuis près de 15 ans), elle me recontacte en souhaitant m'interviewer le lendemain.

Hélas, prenant l'avion, j'ai décliné son invitation en lui promettant malgré tout qu'à mon retour le 25 août, j'allais pouvoir lui consacrer du temps.

Quel était ton point de vue sur une telle collaboration?

Durant ces congés, il m'est apparu capital d'aider Dany dans son projet, car son statut, sa stature et ses origines allaient donner plus de force à cette part de notre Histoire qui a été occultée. Il était préférable, et c'était mon point de vue à ce moment là, que ce travail soit fait par Dany BEBEL-GISLER plutôt que par quelqu'un d'origine indienne. J'en étais arrivé à cette conclusion. Et le jour prévu, nous avons passé de longues heures chez elle, à Chartreux.

En est-il résulté du positif?

Le 22 septembre dernier, elle me rappelle pour faire le point et solliciter des informations de dernière minute, des détails, comme par exemple le prénom à donner à son héroïne de petit indienne. Lorsque j'ai prononcé le nom de Sundari, ses yeux ont pétillé de joie et de bonheur !

«Oh, Sundari, tu aurais dû présente ce jour là pour partager ce moment d'émotion...»

Elle vivait donc intensément ce projet! De quoi avez-vous encore parlé? Connaissant-elle bien l'histoire des indiens de Guadeloupe, leurs apports à l'ensemble du pays?

Dany était à la recherche d'anecdotes. Elle fût très surprise d'apprendre que les indiens prêtaient de
l'argent aux planteurs-usiniers pour faire tourner leurs usines. Quand je lui ai raconté l'histoire de cet hindou de RAMSAMY qui a offert une portion de terre pour construire la très catholique église de Saint-François, elle m'a déclaré «ce qui a guidé les indiens et leur a permis de survivre dans cet environnement hostile, c'est bien leur FOI en Dieu».

En effet, comment peut-on le nier. Mais encore?

Elle a poursuivi, «c'est un autre indien, Mario RAMASSAMY qui a nous donné les 5.000 m2 pour bâtir le projet Bwa-Doubout».

C'est un fait peu connu, un exemple de l'oubli, de l'occultation, conscient et inconsciente, qui sont le lot d'une importante contribution à notre pays. 2004 sera une bonne occasion de mieux faire connaître et apprécier le rôle positif de la présence indienne en terre créole.

L'Histoire est peut-être cyclique...

Et tu n'as plus revu Dany...

Avec un programme de travail très chargé et devant quitter le département le 27 pour une semaine, je l'ai contactée le jour même de mon départ. Nous avons, à différents moments de la journée, échangé au téléphone, sur les détails qu'elle souhaitait avoir pour boucler le projet qui était déjà, à ce moment-là chez son éditeur.

Et ce fut votre dernier entretien...

Et ce fut le dernier contact...

Merci de nous avoir révélé un des derniers gestes de cœur de Dany Bébel-Gisler: tout en travaillant à l’orée de 2004 sur la Route de l’Esclave, penser rendre aussi hommage à ce sang indien qui, avec d'autres, coule dans les veines du pays qu’elle aimait…

Qui sait, la grande âme, puisque ce fut son désir inachevé d’en savoir plus, renaîtra peut-être dans le Coromandel!

Merci Elie, merci Dany.

Entretien: Jean-S. Sahaï.

Dya

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