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Annou voyé kreyòl douvan douvan

Scènes de la vie ordinaire en Martinique

Raphaël Confiant

25 août 2009

Source: Montray Kréyol

Il y a quelques jours un ami me faisait part de sa crainte devant ce qu'il appela «une jamaicanisation progressive» de la société martiniquaise et de me donner l'exemple de ce mariage au cours duquel six voyous cagoulés ont fait irruption, fusils à pompe à la main. Ils ont alors raflé tous les bijoux des femmes, y compris des vieilles femmes et même de la mariée! Je n'ai guère prêté attention à cette anecdote, de même que je glisse sur les innombrables articles de «France-Antilles» concernant les vols, les coups de coutelas ou de fusil. Sans doute est-ce un tort…

C'est vrai que les intellectuels ou ceux que l'on considère comme tel ne perdent pas leur temps à lire des papiers consacrés aux «chiens écrasés» selon l'expression convenue. Jusqu'au jour où…Car ces faits sont comme des symptômes, des révélateurs de la société, surtout celles qui sont en crise quasi-permanente comme la nôtre. Et ils ne concernent pas forcément des jeunes ou des gens connus des services de police.

Il y a une agressivité grandissante à tous les niveaux de notre société.

C'est ainsi que je me trouvais l'autre samedi matin à la boutique de station d'essence de Case-Pilote en train d'acheter des journaux. Je me range normalement dans la queue. Il y a trois personnes avant moi. La vendeuse sert la première puis nous annonce que sa caisse est fermée et que c'est la relève. Puis elle entreprend de comptabiliser une bonne cinquantaine de tickets de carte bancaire, ce qui provoque un léger agacement chez moi et un «tjip» si discret qu'elle ne l'entend même pas.

Or, ne voilà-t-il pas que le client qui est juste avant moi dans la queue et que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam, m'interpelle rudement:

«Vous auriez fait comment à sa place?»

Surpris, je lui réponds calmement:

«Mais je ne vous ai pas adressé la parole, monsieur.»

«Vous êtes toujours pressés dans ce pays-là. Pour aller où comme ça?» se met-il à gueuler.

«Je ne vous connais pas monsieur. Epi man pa palé ba'w.» (Je ne vous ai pas adressé la parole.)

Et là, il explose:

«Bonda manman'w ! Ay koké manman'w, misié-a!»

Je réplique pareil, mon stock d'injures créoles n'étant pas inférieur au sien même s'il est Noir bon teint et moi Chaben-prel-si. C'est alors que l'énergumène me flanque une bourrade, ce à quoi je riposte par ma main dans la gueule. Stupéfait, il prend les autres clients à témoin et s'écrie:

«Vous voyez! Vous voyez, il m'a frappé… Eh ben, je vais chercher quelque chose pour lui» et il sort de la boutique pour se rendre à sa voiture garée sur le parking mais à un endroit que je ne distingue pas car entre temps la station s'est remplie. Je lance alors:

«Eh bien si c'est comme ça, moi aussi, je vais chercher quelque chose à ma voiture!»

Je sors donc de la boutique et me met à traverser le parking, ma voiture étant garée assez loin. Ce en quoi je commets une erreur capitale qui aurait pu me coûter la vie. Je ne prends pas la peine de regarder derrière moi, or l'énergumène est déjà revenu de sa voiture, brandissant un rasoir et fond sur moi, me flanquant un violent coup derrière la tête. Je suis presqu'à hauteur de ma voiture. Un voile noir obscurcit ma vue et je perds conscience durant trente secondes, tombant comme une souche par terre. Quand je reprends conscience, il est en train de me bourrer de coups de pied au visage, dans les côtes, sur les épaules, son rasoir prêt à frapper au cœur. Mais comme je débats, riposte tant bien que mal avec mes pieds, toujours à moitié groggy sur le sol, il ne trouve pas le bon angle pour me piquer et continue à me frapper avec rage en m'insultant. C'est alors que les trois pompistes de la station font semblant de s'interposer. L'un crie:

«Pa pitjé'y!» (Ne le pique pas!)

Il a fallu finalement l'intervention de clients pour arrêter l'énergumène. Lorsque les gendarmes arriveront sur les lieux, j'étais parti et quand j'ai eu affaire à eux, ils m'ont dit texto:

«La vidéo montre que vous lui avez donné un coup de poing.»

«Ah bo? Et elle ne le montre pas en train de m'insulter d'abord, puis de me flanquer une bourrade ensuite?»

«Heu non, la bourrade n'est pas très visible sur la vidéo. En plus, les pompistes ont déclaré qu'il n'avait pas d'arme. Lui-même a reconnu qu'il est bien allé à sa voiture chercher une arme mais qu'il n'en a pas trouvée.»

J'ai préféré sourire, de mes lèvres tuméfiées, face à ces deux gendarmes blancs. Malheureusement, pendant le passage à tabac, mon passeport contenant mon permis et ma carte grise ainsi que mon porte-carte contenant ma carte bleue, carte Vital etc…sont tombés sur le sol sans que je le réalise. Revenu les chercher à la station une heure plus tard, un pompiste me dit qu'il a vu un client les ramasser. À ce jour, ledit client ne les a ramenés ni à la police ni à la gendarmerie. Je précise que la dizaine de clients qui ont assisté à la scène sans rien dire ni rien faire, hormis deux d'entre eux, n'étaient pas des petits jeunes de 16-18 ans à tête nattée sur des boosters, mais des Martiniquais moyen entre 30 et 60 ans.

Telle est devenue notre Martinique en ce début de XXIè siècle…

Raphaël Confiant

Viré monté