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Chronique du temps présent

Jeff Joseph, la voix créole dominquaise...

Raphaël Confiant

24. Novembre 2011

Il y a des êtres que l’on ne fait que croiser et qui pourtant imprègnent votre existence de manière d’abord imperceptible jusqu’à, au fil du temps, l’investir de manière durable. Le chanteur, l’immense chanteur dominiquais Jeff Joseph, faisait pour moi partie de ceux-ci.

Nous ne nous sommes jamais rencontrés que dans des salles d’attente d’aéroport. Dix fois, vingt fois. Un peu partout : en Martinique, bien sûr, mais aussi à Barbade ou encore à Miami. Chaque fois, il venait vers moi, très chaleureux, me parlant dans son créole dominiquais moins rude que le nôtre. Nous n’échangions que des mots de tous les jours, des paroles banales pourrait-on dire, mais cela avec une chaleur et une sincérité qui ne cessaient de m’étonner.

Si je savais très bien qui il était et ce qu’il représentait, moi, l’analphabète en matière musicale, je me demandais toujours ce qu’il savait vraiment de moi et pourquoi il faisait preuve de tant d’amitié à mon endroit.

La première fois que j’ai entendu les Grammacks, j’étais encore étudiant à Aix-en-Provence et quoique relativement insensible à la chose musicale, sa voix un peu rauque, son créole profond, m’avaient transporté. Je m’imaginais à l’époque le créole de la Dominique déjà mort de sa belle mort comme celui de Grenade ou de Trinidad. Il n’en était rien et Jeff en était la preuve vivante.

Outre, que Jeff et les autres grands musiciens dominiquais (je pense à Gordon Henderson) ont quasiment inventé la musique créole moderne en la mixant, je suppose, avec les rythmes noirs américains, ils ont imprimé un balan extraordinaire à la langue créole, balan que Kassav et d’autres groupes, tout aussi extraordinaires, ont amplifié par la suite. Mieux, Jeff et les siens ont transporté le créole dans des pays où il n’avait jamais été entendu. Ainsi, lors d’une de nos rencontres aéroportuaires, je lui ai appris que son fameux tube «Woy-Woy-Woy mi déba!» était joué sans arrêt à…Georgetown, capitale du Guyana, pays dont je revenais. Pays anglophone où l’on sait peu de choses de la Dominique, pratiquement rien de la Martinique ou de la Guadeloupe, et où la plupart des gens n’ont jamais entendu du créole. Jeff a éclaté de rire, ce rire sonore et communicatif qui vous mettait tout de suit à l’aise et m’a répondu: «Gason, fout sa bon!»

Grâce à l’impulsion donnée par lui, la Dominique a instauré chaque 28 octobre la «Journée Internationale du Créole» et a mis sur pied le «Festival Mondial de Musique Créole» qui, chaque année, attire des dizaines de milliers de visiteurs, prouvant s’il en était besoin que le développement touristique de nos îles doit s’appuyer sur notre culture et non sur les seules plages ou la forêt préservée comme en Dominique. On n’a nul besoin d’organiser des transats dispendieuses pour cela!

Jeff a donc tiré sa révérence. Frappé, paraît-il, par ce mal – l’attaque cardio-vasculaire – qui devient si fréquent dans nos pays qu’on en vient à se poser des questions sur notre mode de vie et surtout notre alimentation. Et forcément à les remettre en cause. Encore que dans le cas de Jeff, il y ait aussi la vie de ces artistes internationalement reconnus qui passent la moitié de leur vie dans les avions.

Jeff est parti, mais sa voix demeure. Elle continuera longtemps à nous enchanter. Comme celle de Paulo Rosine ou de Patrick Saint-Eloi. Ces voix sont des dissipatrices de ténèbres. Des enchanteurs de vie. Des adoucisseurs de soucis.

Désormais, dans chaque aéroport, je guetterai sa démarche féline et ses locks discrets qui égayaient son visage un peu sévère…

Raphaël Confiant

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