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«La Jarre d’or» de Raphaël Confiant:
l’or d’une écriture !

 

Ernest Pépin

 

 

 

 

 

La jarre d'or, Raphaël Confiant • Mercure de France
ISBN 978-2715231276 • Sept. 2010 • 18,50 €.

La jarre d'or

Raphaël Confiant marquera l’histoire de la littérature antillaise par l’abondance de sa production littéraire. En 2010, il nous a livré pas moins de trois ouvrages (un roman, La Jarre d’or, un recueil de nouvelles L’Emerveillable chute de Louis Augustin et un roman policier, Citoyens au-dessus de tout soupçon) parmi lesquels La Jarre d’or s’impose comme une œuvre d’une richesse exceptionnelle.

Comme à l’accoutumée, nous ne sommes jamais loin de l’univers du conte avec  une plongée lucide dans les méandres de l’imaginaire et les tourbillons de la société. Cette fois pourtant, Raphaël Confiant a fait le pari de « détourner » le conte de sa vocation habituelle (le dire) pour en faire l’instrument privilégié d’une réflexion sur l’écrire. C’est ce qui fait l’argument d’un roman fascinant où les personnages, l’histoire elle-même, paraissent «décalés» par rapport à une réalité à la fois déroutante, imprévisible et pleine de rebondissements.

Nous sommes emportés dans une quête, celle d’une Jarre (thème bien connu dans nos traditions) qui au lieu de contenir de l’or, recèle comme trésor des livres «bannis». En dehors même de l’aspect métaphorique qui traverse la Jarre d’or, il y a comme une longue et belle méditation sur la condition d’écrivain, le statut du livre dans nos sociétés, le rapport de l’écrit et de l’oral, du sacré au profane. Et c’est dans ces entrelacements, ces profondeurs, ces tourbillons de sens que le récit nous révèle la densité chatoyante et mystérieuse d’une condition antillaise sans texte fondateur, affamée de légitimité, toujours en manque d’une sacralisation. C’est-à-dire d’une Bible ou d’un écrit transcendantal.

Derrière la détresse d’Augustin Valbon, derrière la «science» des fossoyeurs, derrière les scintillements de Lisette (chabine volcanique), derrière, la mise en scène des quimboiseurs, grouille un monde complexe englué dans les préjugés, les non-dits, les manœuvres d’un vivre «empêché» et l’exaltation d’un idéal inconsolé. Le livre, alors apparaît comme le testament d’une solitude existentielle et la clé d’un possible salut.

Sans qu’on y prête attention la jarre d’or est partout. Elle tourmente les cimetières, elle illumine les amours, elle fermente dans la bibliothèque Schœlcher à Fort-de-France, elle taquine les divinités et en même temps, elle traîne dans les romans populaires. C’est comme si l’on cherchait dans d’obscures entrailles, ce qui est là devant nous sur la table de la vie.

D’où une galerie de personnages qui, à leur manière, sont autant de pistes, autant d’ébauches, d’un récit des fondations: le Chinois Huang-Ho, l’industriel (père de Valbon), Man  Edouarlise (la logeuse), Lisette (femme-vampire), Bec-en-or (major de son état), Grand Z’Ongles, les Syriens, l’indien – Kouli Vélaye, etc…etc… Une Martinique-monde se dévoile sans pudeur alors même que tout le monde avance masqué y compris le roman lui-même!

C’est là la force de Raphaël Confiant, d’avoir en des brassées larges, donné naissance au maëlstrom d’une comédie humaine qui ne cesse de le hanter.

Qu’est-ce que le livre sinon une idée de la vérité perchée sur l’épaule d’un parchemin?  Qu’est-ce que le livre sinon une jarre d’or qui se dérobe mais qui se dérobant nous exalte?  Pour une fois, Raphaël Confiant s’est fait philosophe!

Reste un romancier hors pair dont l’écriture éclate comme une grenade mûre et nous traverse de son ballant «déborné». Une poétique est là, vivante, vibrante. Pleine de tendresse malgré tout. Jarre d’or, plus que déterrée, qu’il nous appartient de combler de nos propres richesses de lecteur émerveillé.

Ernest Pépin

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