Potomitan

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Annou voyé kreyòl douvan douvan

Chronique du temps présent

Instantanés glissantiens…

Raphaël Confiant

11. Février 2011

Louisiane

En Louisiane.

COURRIER DE L’UNESCO

Dans les années 80, Edouard Glissant accède au poste de directeur du COURRIER DE L’UNESCO, organe qui est publié en pas moins de 47 langues des plus prestigieuses (anglais, français, arabe, chinois etc.) aux plus modestes (basque, berbère, nahualt etc.). Jean Bernabé et moi-même, nous nous rendons au bureau de Glissant, à Paris donc, siège de l’UNESCO, pour lui proposer de réaliser une édition en langue créole. L’auteur de «La Lézarde» accepte avec enthousiasme, mais nous prévient: pour les «petites langues», seule le tout premier numéro est pris en charge financièrement par l’UNESCO. Pour les numéros suivants, c’est aux instances politiques des pays concernés det prendre le relais. Cela ne nous inquiète pas: Camille Darsières vient d’accéder à la tête du Conseil Régional de la Martinique. Un créoliste ne pouvant être chauvin et micro-nationaliste, sauf à être taré, nous réunissons donc une équipe de traducteurs composée de Martiniquais, de Guadeloupéens, de Guyanais, d’Haïtiens, de Saint-Luciens, de Dominiquais, de Réunionnais, de Mauriciens et de Seychellois – à une époque où l’Internet n’existait pas encore! – et, par-delà les océans, nous traduisons le tout dernier numéro du COURRIER intitulé «La Vie dans des conditions extrêmes». Cela sous le titre créole «Lavi nan kondision dènié bout». Chaque numéro étant préfacé par le directeur de la revue, nous traduisons donc en créole le texte de Glissant. La version créole de la revue est publiée. Dans pas moins de 8 créoles! Chaque pays ayant choisi de traduire un ou deux articles.

De retour en Martinique, nous montons un dossier de demande d’aide à la Région en toute confiance. Hé-hé! Lors du débat en commission sur le sujet, alors que la plupart des élus sont d’accord, la somme demandée étant relativement modeste, le secrétaire général du PCM de l’époque déclare que «le peuple ne saura pas lire ça» et qu’il s’agit d’un «gaspillage d’argent». Notre demande est rejetée! Le COURRIER DE L’UNESCO n’aura donc eu en tout et pour tout qu’un seul numéro en langue créole. Pendant ce temps, les éditions en «petites langues» (tagalog des Philippines, nahualt du Mexique, swahili de Tanzanie et autres) fleurissent.

Cette décision du Conseil régional de l’époque a constitué une véritable catastrophe pour la promotion et le devenir du créole, le privant du prestige d’un organisme aussi incontesté que l’UNESCO. C’était aussi un coup de massue derrière la tête asséné aux créolistes et la négation de leur travail acharné et peu reconnu. On nous accuse souvent – en particulier moi – d’être des excités, des polémistes et j’en passe. Or, nous n’avons rien dit à l’époque! Nous n’avons pipé mot. Aucune tribune vengeresse dans la presse, aucune diatribe radiophonique ou télévisée. Nous avons avalé le crachat qui nous était lancé.

Trente ans plus tard, je me vois dans l’obligation de révéler cette affaire et de dire MERCI monsieur Glissant. L’unique exemplaire en créole du COURRIER peut, heureusement, être consulté à la Bibliothèque Schoelcher, à la Bibliothèque Universitaire du campus de Schoelcher et dans diverses autres bibliothèques.

CREOLISATION

Dans le déluge de communiqués célébrant Glissant, émanant de politiciens divers qui pour la plupart n’ont jamais pris sa pensée au sérieux (et sans doute jamais lu), j’ai relevé celle du président du MODEMAS: «La pensée de Glissant constitue un legs immense pour la compréhension de notre temps. Concepteur de l’Antillanité, basé sur le vécu antillais, il invente la théorie du Tout-Monde, à partir du processus de créolisation qui n’est qu’un emmêlement de toutes les cultures, les humanités. Notre pays perd un grand penseur humaniste, un théoricien de l’identité antillaise et caribéenne.»

Or, ce même laudateur de Glissant est président du MIR lequel poursuit ANTILLA devant la justice française pour avoir publié un texte émanant de l’association «Tous Créoles». Motif de la plainte: «la créolisation est un crime contre l’humanité»!!! Comprenne qui pourra!

Glissant est donc tantôt «un grand penseur humaniste» tantôt le concepteur d’une idéologie qui vante un crime contre l’humanité.

C’est tout simplement «komik». J’écris ce dernier mot en créole car «komik» n’a pas le même sens en créole et en français…

DICTON ZOULOU

Nelson Mandela aime à citer ce dicton zoulou: «Umuntu ngumuntu ngabantu». Autrement dit «Une personne n’est une personne qu’à travers d’autres». Je m’en suis rappelé en lisant, dans le quotidien local, ce propos de Marie-Pierre Bousquet, responsable, avec Greg Germain, du théâtre «La Chapelle du verbe incarné», en Avignon, où, chaque année, nos dramaturges peuvent faire leurs preuves: «Sans elle, Edouard serait mort depuis longtemps. Elle surveillait son diabète, était d’une attention et d’une gentillesse permanente et sans faille.» Le «Elle» dont il est question est Sylvie Sémavoine-Glissant, épouse française de l’écrivain et peintre de profession. Je confirme! Sylvie est une Grande Dame. Ou plutôt une Grande Ame pour reprendre l’expression de Gandhi. Plus jeune de trente ans que Glissant, elle l’a accompagné durant ces trente-cinq dernières années! Autrement dit, grâce à elle, nous avons pu durant trois décennies bénéficier des productions intellectuelles de quelqu’un qui, comme tout écrivain, est un peu «fou». Fou dans le sens où, en général, l’écrivain se fiche de sa santé, mange n’importe quoi, boit, fume plus que de raison, passe des nuits blanches à discutailler, brûlant ainsi sa vie par les deux bouts. Merci madame Glissant!

Raphaël Confiant

boule

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