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Lugano Caribbean Conference Re-Conceiving Hispaniola
Jean-Claude Fignolé
Jean-Claude Fignolé. Photo F.Palli. |
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Partir d'une constatation:
L'enfermement du fait littéraire haïtien dans le piège d'un exotisme facile à travers une liturgie thématique: Magie, pauvreté, Dictature. La persistance de cette trilogie en déterminant les tendances et les fluctuations du roman, a fini par imposer aux regards de la critique "une esthétique du délabrement'' pour répéter Lyonel Trouillot.
Souvent consentants sinon complices, les écrivains endossent que des exégètes, aux conclusions expéditives, engluent leur Être et leur Dire dans une humanité ou la seule configuration de l'haïtien reste la misère, assortie des mystifications qu'elle engendre. La croyance au surnaturel entre autres. Exploitée à outrance, dans la mouvance de gouverneurs de la rosée, l'esthétique du délabrement consacre une approche réductrice de l'intention sinon de l'invention romanesque théorisée dans la formule de Jacques Stephen Alexis. Réalisme merveilleux. Approche réductrice en ce sens qu'elle oriente notre inspiration dans l'exploitation de thématiques de malaise. La privant, de ce fait, du droit à revendiquer une présence au monde pour en saisir et en exprimer le mal être. Telle présence obligerait à prendre en charge notre mal être pour le projeter sur celui des autres, le confronter avec celui des autres et l'inscrire dans la trame des angoisses de l'homme existant. Heureusement que des auteures, une nouvelle génération - des femmes toujours la vie naît ou recommence - sont en train de réinventer la littérature haïtienne au dedans et au dehors non en l'opérant - comme la simple représentation de leurs fantasmes mais plutôt en faisant d'elle une aventure par laquelle leur vérité rejoint celle du monde.
Croyance au surnaturel, ai-je dit? C'est-à-dire une saisie de nous-mêmes, de notre être profond, en rapport à un environnement hostile, par la préhension d'une réalité en dehors de nous qui choque les données de nos sens, les fausse, force à les vivre comme une surdétermination de notre propre conscience. Contre toute logique, nous nous gardons de chercher la raison du réel pour nous en tenir à une interprétation simpliste le donnant non pour ce qu'il est mais pour ce que nous voulons qu'il soit. Nous le défaisons pour le refaire en nous, le déréalisant jusqu'à le convertir parfois en lubie, nous le traduisons et l'inscrivons alors dans l'espace d'une vérité qui, relayée par d'autres, modèle et façonne l'inconscient collectif. Le réel cesse d’être réel, sombre dans la représentation que tous s'en font. Progressivement, il culmine à donner corps à des fantasmes. En légitimant, à terme, des mythes. Entre sa négation et son idéalisation. On assiste alors à une déconstruction des schèmes mentaux rationnels qui s'égarent, postulent l'incapacité de réfléchir, d'analyser. Pour comprendre et expliquer. L'intelligence érige le savoir sur la-non lucidité. Une façon, une passion de n'être pas tout en étant.
Schizophrénie? Nous sommes en rupture permanente avec nous-mêmes. Avec le réel alentour. Pris dans son tourbillon, nous nous vivons, nous vivons le monde, double, triple, comme si, égarés dans la précarité et les malheurs du quotidien, nous étions portés par une exagération d'être qui ne nous autorise pas à nous suffire d'une seule vie. Une tentation par quoi, à être double, nous magnifions et privilégions l'envers du réel comme une certitude, une vérité autre, extérieure, qui nous domine. Nous oppresse, nous force à la résignation, faute de vouloir le questionner, à un ordre qui s'appelle fatalité.
La résignation, la sujétion à cet ordre, provoque la tentation du merveilleux, c'est-à-dire l'acceptation d'un réel, pas seulement en dehors de nous, de nos possibilités de connaissance mais au dessus de nous. Dans l'absolu de fantasmes qui finissent en proposant une vision occulte de la réalité, par déréaliser le réel qui devient comme une fiction de soi. Étant sa propre fiction, ce réel merveilleux de Jacques Alexis, alimente avec bonheur l'univers des romanciers et les fantasmes des critiques.
Je ne crois pas avoir échappé à sa capacité d'interpellation tout en me persuadant que la métamorphose du réel en fiction de soi ne saurait être un simple épiphénomène accoté à l'inconscient collectif. Ce que nous prenons pour merveilleux, faut-il se poser la question, n'est-il pas la conséquence d'une connaissance liée à un réel que, pour une raison ou pour une autre, nous nous sommes interdits d'investiguer? La conséquence ou le dévoilement?
La réponse nous allons la chercher ensemble si vous me permettez au départ de vous poser une question: Croyez-vous au surnaturel?