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Entretien avec Patrick CHAMOISEAU
Le Petit Lexique Colonial
L'entretien audio peut être entendu à l'adresse ci-dessous:
http://lepetitlexiquecolonial.blogspace.fr/689196/Un-entretien-avec-Patrick-Chamoiseau/
Voici la transciption d'un entretien réalisé lors de la signature de son dernier roman Un dimanche au cachot, samedi 17 novembre 2007 à la Librairie Générale Jasor à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe).
Entretien où Patrick Chamoiseau contribue à notre petit lexique avec les mots oubli, liberté et cachot. Où il nous parle d’imagination, de littérature et des histoires que l’on se raconte et où il se prête avec beaucoup de gentillesse et d’amabilité au jeu de l’entretien pour mon baptême de reporter. Je l’en remercie grandement.
Le Petit Lexique Colonial : Alors Patrick Chamoiseau le mot oubli?
Patrick Chamoiseau : Alors pour moi, l’oubli, c’est la somme de tous les souvenirs que l’on a réussi à traiter (Rires).
— Mais, il faudrait développer un peu.
— C’est-à-dire en matière d’esclavage, ce que nous avons pratiqué collectivement ou individuellement, c’est une sorte de refoulé mémoriel, total, global, sous prétexte d’oubli. On va dire à un Martiniquais ou à un Guadeloupéen, on va faire un truc sur l’esclavage, il va dire encore, machin, oh. Il faut dépasser ça, il faut oublier, etc. Ils sont persuadés que l’oubli, c’est se fermer l’esprit sur un phénomène quelconque. Alors que paradoxalement, l’oubli c’est un souvenir. C’est-à-dire que la mémoire a besoin de se souvenir pour élaborer des processus de classification, de rangement, d’atténuation, d’effacement. Mais, ça, ça passe par le souvenir, donc par le traitement de la mémoire. Donc, bien comprendre ce qu’est l’oubli. L’oubli, ce n’est pas oublier, c’est se souvenir. C’est à partir de ce souvenir-là qu’on parvient à transformer un souvenir en expérience, quoi. Si on entre simplement dans une mécanique d’opposition, de rejet, de crispation, de fermeture, on n’oublie jamais et le passé ne passe pas.
— Le passé ne passe pas. Et là, le personnage, L’Oubliée, ce n’est pas un hasard non plus?
— Ah, c’est pas L’Oubliée… C’est tout l’esclavage que nous avons essayé d’oublier. C’est plein, plein, plein d’éléments. C’est l’humanité qui a été oubliée dans ce système. Enfin, bon, on peut vraiment délirer un maximum sur le nom de L’Oubliée.
— Le personnage donc est Caroline. Ce serait en fait nos sociétés qui seraient dans un cachot.
— Ah ouais ! Voilà ! Tout à fait. Un cachot. Ça peut être un cachot… Bien sûr il y a le cachot, le prétexte du cachot de l’esclavage, mais dans tous les cachots, quelques soient les cachots dans lesquels on se trouve, ça peut être une souffrance qu’on a vécu, qu’on n’arrive pas à dépasser, ça peut être un handicap quelconque. Ça peut être n’importe quoi. Il y a toujours un processus de libération intérieure qui précède l’éclatement même du cachot, c’est-à-dire qu’il faut penser à soi, se construire soi-même pour se libérer vraiment.
— Mais dans votre texte il y a plusieurs entrées. Il y a l’entrée historique. Il y a carrément l’entrée philosophique lorsque vous posez, il me semble… avec le cachot ça pourrait presque être un concept…
— Ah bien sûr ! On peut… Oui !
— Parce que en fait à un moment le personnage rentre dans le cachot, elle ne veut pas en sortir. Mais on peut penser que, elle, son cachot c’est sa liberté et que la plantation c’est un autre cachot mais que les autres ne savent pas qu’ils sont…
— Tout à fait. Elle le dit d’ailleurs, quand ils viennent et qu’ils commencent à se lamenter sur elle. Elle leur dit à tous les autres esclaves: «ne pleurez pas sur moi, c’est vous qui êtes dans le cachot, parce que moi, j’ai commencé un processus de libération». Et c’est ça qui m’a paru intéressant pour bien montrer où se situait la vraie liberté. Quand elle sort du cachot, elle reste dans la plantation. Elle revient à son poste et c’est ça que beaucoup gens n’ont pas compris. Mais pourquoi elle revient C’est quoi? Parce qu’ils ont l’impression que la liberté est simplement une posture. La liberté n’est pas une posture. La liberté, c’est un état. C’est d’abord un état. Et, c’est l’état qui donne la posture. Alors que très souvent, on a l’impression que c’est la posture qui donne l’état. Donc actuellement, nous sommes dans beaucoup de cachots, à tous niveaux et nous avons à faire ce travail d’introspection très particulier, de construction de soi. Tout passe par la construction de soi. Et la liberté notamment, c’est une construction de soi.
— Donc, on a le mot oubli mais le mot liberté aussi que vous avez défini pour Le petit lexique colonial.
— Ah oui, la liberté, bon Dieu. Ah oui! Ça c’est la grande misère de nos temps contemporains. La liberté qui a représenté tant de choses pour toutes les humanités, aujourd’hui est en train d’être pervertie par le système libéral financier. Un libéral, financier, capitaliste est en train d’utiliser le mot à tout bout de champs. Et ce qui était pour nous un soleil, un phare s’est transformé en une mécanique d’enfermement et d’encachotement, je dirais. C’est ça qui est effrayant. Je pense que le problème que nous avons nous… lorsqu’on veut… Moi, je suis indépendantiste, plutôt marxisant et socialiste, plutôt du coté du progrès humain, de mécanismes de solidarité, de partage, d’échange, de justice, d’équité, enfin toutes les vieilles valeurs pour lesquelles toutes les humanités se sont battues dans les moments les plus glorieux, mais le problème que nous avons c’est que nous n’arrivons pas encore à associer la liberté à la solidarité. Et la liberté est devenue un processus de développement individuel. Pourquoi c’est d’avoir…
— Mais conditionnée en plus, complètement conditionnée…
— Mais l’idée de liberté c’est traduit par le fait d’échapper aux communautés traditionnelles parce que au départ les hommes sont des groupes humains. Et, tout le travail de libération a été progressivement prendre son extension par rapport à ce corset communautaire qui d’une certaine manière comprimait les libertés individuelles. Donc, nous sommes parvenus à ce degré de liberté individuel à peu près acceptable, mais seulement cette liberté est empoignée par un système d’exploitation très insidieux qui transforme la liberté en système. Et cette liberté transformée en système se transforme en cachot. Donc, c’est un mot qu’il nous faut récupérer. A la fois trouver un socialisme de liberté, un communisme de liberté, un progrès humain qui respecte les libertés individuelles. Ça, se sont de nouvelles élaborations que nous auront à faire. Donc, il nous faut trouver de nouvelles définitions pour la liberté. Ne pas laisser aux capitalistes financiers la seule définition qui soit encore en cours.
— Et est-ce que dans les rencontres que vous avez pu avoir avec les scolaires ou les enfants en fait, à qui vous racontez cette histoire, est-ce que ça a été un moyen de leur permettre de se réapproprier notre histoire ; quand on sait que jusqu’à présent tout le monde préfère dire, on veut rien savoir, on veut oublier. Est-ce que c’est un moyen?
— Ah oui ! C’est-à-dire que les enfants n’avaient pas encore lu. J’ai juste évoqué un petit peu le thème du roman. Je sais que ce n’est pas un roman évident, c’est un roman un peu déroutant, très particulier, parce que c’est un roman qui pose la question de la littérature. C’est un peu comme lorsqu’on écrit du théâtre. On ne peut pas faire du théâtre aujourd’hui si on ne questionne pas l’art théâtral. Ça, c’est une des règles de l’esthétique contemporaine, que tout art dit ce qu’il peut dire de manière essentielle mais se questionne lui-même. Et à travers l’art que l’on pratique, on questionne la question. Moi, je dis souvent, moi… Ma pratique de la littérature me sert à mieux comprendre ce qu’est la littérature, c’est ça ; indépendamment des urgences que je peux avoir dans mon pays, etc., tout le militantisme annexe. Mais fondamentalement, j’essaye de comprendre ce qu’est la littérature.
Donc, moi je pense que ce que j’ai essayé de faire avec les enfants dans les lycées, c’est plus frapper les imaginations, parce que je ne crois pas aux explications clarifiantes. Moi, je me souviens que les professeurs qui m’ont le plus marqué, ça a été les professeurs qui avaient des enthousiasmes, des passions. Leurs yeux s’allumaient, brillaient comme ça quand ils parlaient de quelque chose. C’était leur sincérité, c’était tout leur corps qui portait une idée et c’est ce que j’essaye de faire aux enfants. Voir peut-être quelqu’un comme moi écrire sur l’esclavage, me poser des questions sur l’esclavage, ça peut aussi d’une certaine manière frapper leur imagination et leur permettre un jour d’aller eux-mêmes voir ce qu’il y a dans cet espace-là.
Parce que l’esclavage c’est quand même une situation humaine extrême. Et c’est dans les situations humaines extrêmes que l’on peut entrer dans les analyses, les explorations existentielles qui sont précieuses pour nous, pour comprendre l’humaine condition ; parce qu’en fin de compte, c’est ce que nous avons tous à faire, quoi.
— Et, est-ce que vous seriez d’accord si je disais que le Dimanche au cachot c’est à la fois un manuel littéraire pour tout apprenti écrivain, comme moi par exemple…
— Oh, oui !
— J’y ai trouvé vraiment des mines d’or.
— Bien sûr ! Oui !
— Un manuel de développement personnel et de thérapie, d’auto thérapie.
— Oui, oui !
— Et un manuel d’histoire.
— Oui, oui ! C’est-à-dire comme la littérature ne fait pas de l’histoire, ne fait pas de thérapie, ne fait… la littérature fait de la littérature. Mais c’est vrai que, comme on est en train d’explorer des situations existentielles humaines, on touche à toutes les sciences humaines et on mobilise toutes les sciences humaines. Donc, c’est vrai qu’il y a un peu de tout, c’est-à-dire, il y a matière pour un historien, il y a matière pour un sociologue, il y a matière pour un psychanalyste, il y a matière peut-être pour un club d’exercice d’écriture, enfin bon. Mais je ne crois pas à l’idée du manuel de littérature. Il n’y a pas de manuel. Le seul manuel qu’on puisse avoir en littérature, c’est de dire aux gens : écrivez comme vous pouvez. Ecrivez comme vous le sentez, mais sachez simplement qu’il y a un contexte. Le contexte, c’est que la littérature a avancé. Un roman se situe toujours dans une trajectoire. Il y a toujours un avant et il faut tenir compte de l’avant, c’est-à-dire, aujourd’hui écrire un roman du xixe siècle n’a pas d’intérêt. Il faut bien connaître… Avoir cette sensation, cette sensibilité. Non pas être un lettré, ça n’a pas de sens, hein. Mais avoir suffisamment de proximité avec l’esthétique contemporaine et sentir à quel degré de conscience nous sommes pour élaborer de manière très personnelle, très…
— Libre.
— Très libre, ce qu’on a envie de faire. Moi, je crois que la seule chose qu’on puisse donner en matière de manuels d’écriture c’est: sincérité totale. Sincérité totale.
— Et puis la lecture aussi, puisqu’il y a ce duo, l’écrivain et le lecteur.
— Ah oui ! Bon ! Il n’y a pas d’écriture sans lecture.
— Lire et écrire un peu comme une même respiration. Voilà !
— Tout à fait.
— J’ai encore une question. Sur la question des histoires. Là aussi, ce livre démontre qu’il faut raconter des histoires. Un peu comme Shéhérazade…
— Oui, oui !
— Mais là, c’est pareil. Raconter des histoires. Et le mot histoire ?
— Les histoires… Une histoire pour moi c’est un réagencement du réel. Donc, c’est une déconstruction du réel qui libère, qui rend l’esprit disponible pour entrevoir d’autres possibles réalités, d’autres perspectives. Une vraie histoire défait le regard, le libère, excite l’esprit et l’imagination et permet à l’esprit, non pas de recevoir un sens particulier, mais de réagencer autrement le réel auquel il est confronté. Je crois que c’est précieux pour nous que de raconter des histoires. D’ailleurs, on passe notre temps à nous raconter des histoires. La personne à qui on raconte le plus d’histoires c’est soi-même. Et la personne à qui on ment le plus ou alors qu’on illusionne ou qu’on aveugle le plus avec des histoires, c’est soi-même.
— Hier soir vous avez parlé des personnes âgées. La question de la transmission, qu’on mettait nos aînés dans des maisons de retraite. Est-ce que eux aussi, ils ont probablement des histoires à raconter ?
— Moi, je pense que les aînés sont en train de se raconter une histoire qu’on leur a imposée. Et l’histoire qu’on leur a imposée, c’est de se dire, bon, j’ai soixante-dix ans, soixante-quinze ans, je ne sers plus à rien. Je ne suis plus utile. Je n’ai plus besoin d’avoir de rêve. Tout ce que peut-être je peux faire c’est de m’inscrire dans un groupe pour aller voyager, etc. En fait, on se raconte une histoire, qui nous est donnée, qui nous est imposée et on se conforme à cette lecture-là. Et l’histoire qu’on impose à nos aînés ou qu’ils se racontent eux-mêmes ou qu’ils ont intériorisé est une histoire qui les invalide. Donc, je pense qu’il nous faut aujourd’hui trouver de nouvelles narrations — je ne sais pas si c’est à nous ou à eux de le faire — mais trouver de nouvelles narrations qui nous permettent de réintégrer ces gens, cette expérience inouïe, colossale. Moi, je vois les anciens médecins, les anciens chirurgiens, d’anciens instituteurs qui disposent d’une expérience colossale et qui sont, mais comme ça, mis de coté alors qu’on a tellement besoin d’expérience, tellement besoin de mémoire pour affronter l’imprévisible et l’inconnaissable. Donc ça, c’est des…
— Il y a de nouvelles histoires à écrire.
— D’accord. Merci beaucoup.
Transcription Éric Marthéli
pour Le Petit Lexique Colonial
Créteil, 19 novembre 2007
ANNEXE
Les trois dernières parutions de Patrick Chamoiseau et un essai dont il est le préfacier.
Chamoiseau, Patrick et Chopin, Anne De la Martinique vue du ciel. Trésors cachés et patrimoine naturel Paru le 23/10/2007,
HC Éditions, Rel. 35 € |
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État des lieux du patrimoine naturel de l’île et aperçu depuis le ciel de ses facettes touristiques, urbaines et industrielles. Les auteurs tentent ainsi de faire prendre conscience de la richesse et de la fragilité de l’île. | |
Glissant, Édouard et Chamoiseau, Patrick Paru le 04/10/2007 |
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Appel à résister contre le ministère de l’Identité nationale. Réflexion sur les fondements de cette institution qui risque d’édifier des murs identitaires au sein de la démocratie française. | |
Chamoiseau, Patrick Paru le 04/10/2007
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Prostrée sous une voûte de pierre, Caroline reste dans l'ombre. L'institution qui l’a recueillie s'adresse à P. Chamoiseau, éducateur, pour venir au secours de l’enfant. Comprenant que la voûte n’est rien d'autre que le vestige d’un ancien cachot, il lui raconte alors une histoire de chair et de sang, entre réel et imaginaire mêlant l’enfance bafouée et l'esclave rebelle. | |
Collectif, préfacier Patrick Chamoiseau Paru le : 17/01/2007
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Rares sont les «travailleurs de la prison», qui côtoient les détenus au quotidien, à prendre la parole. Directeur d’établissement pénitentiaire, surveillant, aumônier, médecin psychiatre ou formateur ont accepté d’exprimer leurs préoccupations, leur expérience professionnelle et humaine, nous offrant ainsi une approche concrète, sincère et multiple de l’univers carcéral. |