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Réinventer le soleil avec Ernest Pépin
Le soleil pleurait, Ernest Pépin • Vent d'ailleurs • Avril 2011 • |
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Le soleil pleurait, le tout dernier roman de l’écrivain guadeloupéen Ernest Pépin, évoque avec force l’Haïti du chaos post-duvalieriste, où chaque nouveau président se comporte en apprenti sorcier dans une société elle-même minée par la violence criminogène devenue spectacle apocalyptique.
C’est de ce paradoxe macabre dont il s’agit quand on rentre dans l’intimité du récit de Pépin, travaillé par l’écho et rythmé tantôt par le «je», tantôt par le «tu».
Le narrateur se présente comme un conteur-scribe et vit comme un requiem, ou plutôt comme une investigation policière, la mort de la jeune mulâtresse Régina, fille de Marie-Soleil, elle-même torturée par la vie.
Chez Pépin, le conte, la fable, l’enquête se côtoient avec brio. De son écriture souvent saccadée et envoûtante, l’auteur campe un Port-au-Prince kafkaïen, celui des crimes organisés au passage de chaque messie au Palais National.
Texte hallucinant et presque dénonciateur, Le soleil pleurait montre comment Pépin, depuis Tambour Babel, se projette comme auteur habité, armé de la science de l’oral que seconde la puissance tellurique des driveurs!
Il est ici question d’un kidnapping sordide. L’auteur rapporte ainsi ce rapt peu ordinaire:
«Cela fait deux semaines que Regina a été kidnappée. Marie-Soleil est sortie de sa torpeur. Elle doit sauver sa fille! Elle tournoie avec ses ailes cassées et soudain, elle plonge dans la rue. Elle prend la direction du Palais National. Longtemps, elle a médité sa décision.
Lorsqu’elle arrive devant l’esplanade, elle s’agenouille devant chacune des statues. Elle salue le général Toussaint. Elle salue Dessalines. Elle salue le roi Christophe. Elle salue le Marron inconnu. Elle leur demande, «t’en prie s’il te plait», de sortir sa fille Regina de cet enfer. Elle leur demande de revenir voir l’état des héros d’aujourd’hui, la maldonne du pays. Elle leur demande de revenir remettre Haïti debout.
Péyi la chalviré ! Péyi la chalviré !»
L’histoire telle que racontée, pousse le lecteur à s’accrocher jusqu’au bout. L’imaginaire de Pépin se trouve en convergence avec le merveilleux haïtien, et par moments, les légendes guadeloupéennes se greffent sur les fables populaires haïtiennes.
Sexe, sang, argent sale, insalubrité, autres rives et dérives irriguent cette œuvre dont le titre nous ramène à des publications antérieures, romanesques ou poétiques, sur Haïti: Compère général soleil de Jacques Stephen Alexis, La reine soleil levée de Gérard Etienne, Soleil caillou blessé de Marc Exavier, Et le soleil se souvient de Louis-Philippe Dalembert, Vin de soleil de Pierre Clitandre.
Le roman se termine dans un silence à peine interrompu par le narrateur. Et le jour devient ainsi insomnie sans fin:
«Le raconteur-écriveur ne raconte plus, il porte la charge de Marie-Soleil avec elle. Pierre de tristesse! Il pense à tous ces lieux du monde où chagrin, pitié, patience, colère démarrent tant de monstres. Il accompagne Marie-Soleil dans le royaume des morts. Baron Samedi est là aussi avec son haut-de-forme et sa redingote noire. On ne le voit pas mais il est là. Il est toujours là. La ville grouille de vies mortes et la fronde du soleil lance une boule de sang. Personne ne sait où elle va s’arrêter.»
Cette chronique d’une ville assassine comptera parmi les plus beaux récits sur Port-au-Prince, tant par son déploiement narratif que par son dispositif, baroque par endroits. L’écriture et la manière de raconter de Pépin dénotent sa santé, sa voyance. Et aussi son éclat de folie.
Dominique Batraville