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Lettre à Aimé Césaire

Ernest Pépin

 

16 Octobre 2012

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Balisier, Heliconia caribea. Photo F.Palli.

Heliconia caribea

L’irrémédiable nous défie
La flamme du poinsettia brûle toujours
Tout comme la main ouverte du balisier
Je ne sais plus où tu habites
Peut-être la terre consanguine
Peut-être la rousseur du carême
Mais
Je te vois rocher du petit matin
Et ta couronne d’écume
Je te vois
Epée de la lave tisonnant le mot perdu
Redressant du fond des cales
La falaise effondrée par nos cauchemars
Roi
Tes ornements sont une végétation assermentée
Le libre arbitre du vent a glissé sous la porte basse
Et crache les épines d’une révolte innommable
Roi
Érigé en souffleur du volcan
On dit que vous avez ordonné aux îles d’exister
A la parole de sortir des cachots
A demain de nous regarder
Au rêve de forger la clé
Le petit cheval n’est pas mort
Et sous l’amas des décombres
Guette à portée de main l’arc-en-ciel qui frétille dans l’aquarium du ciel
Et nous avons sorti du ventre des requins les canots de sauvetage d’un soleil inconsolable
Et nous avons taillé dans le magma un trésor de fureur
L’île désormais ouvre ses branchies
Soulève les lourdes paupières métalliques de la mer
Et entend
Entend crépiter
La spirale intègre de votre voix
Ne serait-ce qu’un diamant aux yeux de la mer
Ne serait-ce qu’une poitrine à sacrifier
Ne serait-ce qu’un arbre à inventer
Qu’un écrit crayonné sur le sable
Vous nous avez donné
Et ce fruit fragile
Ce fruit caché dans un feuillage nocturne
Vous nous l’avez donné
Et puis le nid
Et puis la crique
Et puis les armes miraculeuses
Vous nous les avez donnés
Et l’odeur trop vaste des mangroves
Où macèrent les libertés futures
L’odeur de la tribu perdue
L’odeur sans pain des plantations
L’odeur rouillée
L’odeur fouillée
Mais l’odeur neuve des seins de l’espoir
Roi
La parole rallume au bout du petit matin
Toutes les étincelles d’un voyage forcé
Tout le noir d’un soleil avalé
Toute la mémoire des moissons de la mer
Et la belle orchidée qui sort sa tête comme un tour de magie
Roi
Les messages sont clairs
Ils annoncent la réconciliation de l’univers
La conjuration des fœtus d’îles
L’éventail que remue l’arbre du voyageur
L’essaim des songes
Et le baptême des orphelins
Ici et maintenant
Alors dors
Dans ton lit nuptial
Dors avec toi-même dans l’imputrescible sang qui nous guide
Dors
La négraille veille
Le peuple veille
L’humain veille
Tombeau laminaire
Nous habitons cette conscience splendide
Cet orgueil
L’orchestre d’une saison inédite
L’existence
Roi
Nous habitons désormais une pyramide scellée de sel
Un tombeau tutélaire dans l’escale du destin
La fougère souveraine au sceptre vertical
Et le tison bien pris d’un bûcher aux carats prophétiques

ERNEST PEPIN
16 Octobre 2012

boule

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