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La peinture en Martinique
Morne sable
par Jean Bernabé

Morne sable

Catherine Théodose – Morne sable, 1996, Huile sur Canson, 40 x 40 cm.
(photo Jean Popincourt)

Faire des Antilles le lieu et le thème de la peinture n’est rien de moins que s’exposer avec courage aux risques que renferme une trop puissante charge historique. En l’occurrence, l’œuvre de Catherine Théodose dément, déjoue, démystifie la dislocation du peinturer et du peindre installée dans les usages linguistiques propres à nos pays. D’où, chez elle, une propension à unifier les deux versants de l’usage social des couleurs: respectivement celui de l’artisan et de l’artiste peintre. Mais l’enjeu, plus que lexical, confine à l’allégorie.

Morne Sable n’échappe pas au tropisme des confrontations intenses. Prolifération colorée de végétation au premier plan (patrie symbolique d’où s’énonce l’artiste), monumentalité des mornes, dramaturgie du ciel d’orage, microclimats chromatiques et lumineux, hauts reliefs bleu noir se détachant sur un ciel de nuages blancs avec inversion dans la partie droite, où l’ocre rose, l’ocre jaune s’arrachent sur le ciel indigo sombre, autant d’intensités et d’immensités propres à minimiser le bâti, l’humain. Le culte du Divers et du paradoxe, en peinture. Mais où donc sont les êtres passés ?

Un village, avec son église placée au centre géométrique du tableau. Du clocher, emblème de la colonisation, tremplin de la créolisation, se reflète, privilège exclusif, l’image diffractée dans un glacis marin. L’eau dort, mais en surface, chahutée qu’elle est, en profondeur, de mille turbulences muselées. Comme chez Gauguin, un discours sans nulle prétention d’exhaustivité. Se devine alors, comme en un palimpseste, la mer océane, où, depuis Colomb, tant d’étraves se sont mêlées et tant de fureurs déployées. Nouveau Monde, non pas! Loin de la chronique coloniale, plutôt le secret fourmillement d’un monde nouveau à recommencer dans le temps neuf d’une aventure inédite, le geste pictural devenant une geste personnelle. Car elles sont bien là, les personnes, enfouies dans les limbes du tableau, mais toujours prêtes à jaillir, pour meubler – sur fond d’étude très documentée – des scènes de genre comme Sortie de messe, un de mes tableaux de prédilection.

Morne Sable, fruit d’un guet? Oui, mais point du tout guet-apens. Vigilance du moment, de la seconde décisive, de ce point extrême où capter – et non point capturer – dans la plus juste lumière, la partie du monde assignée à l’entreprise. Rencontre de l’Autre, sans a priori, avec son bagage propre, forcément modifié par l’objet et l’approche qui en est faite. Sincérité, par quoi la pensée s’accointe à sa cible, l’intention à l’action. Honnêteté aussi, c’est dire, en bonne étymologie, responsabilité, assortie de l’honneur qui lui échoit. Modestie, enfin, comme art de la discrétion, aptitude à mesurer le champ du possible.

Peinture de la Créolité, sans nul doute. Raison pourquoi j’ai, à ce jour, indéfectiblement choisi de recourir au génie de cette artiste pour accompagner, en page de couverture, mon cycle romanesque en cours. Mille et une grâces lui en soient rendues.

Jean Bernabé

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