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«Partition Noire et Bleue»
de Monchoachi

Bernard Demandre

 

 

 

 

Partition noire et bleue, Monchoachi • 2016 • Obsidiane • Collection Les Solitudes •
ISBN 978-2-916447-6-74 • ? pages • 17 €.

Partition Noire et bleue

Ce  nouveau livre de poèmes de Monchoachi apparaît comme le prolongement (Lémisté 2) de Lémisté 1Liber America (Obsidiane 2012 ) sur plusieurs niveaux d’écriture, de rythmes, de langue mêlée de français et de créole, cette dernière référant souvent à des cérémonies, des fêtes. Langues masquées s’il en est, capables de faire sinon apparaître, du moins faire sentir l’invisible. Rites que le lecteur de langue française pourra trouver étranges, et non sans ironie. Le titre du livre invite à plusieurs interprétations: Partition noire et bleue, comme classement de nombreux symboles et comme indication de l’importance des musiques, “…une perle bleue entre les lèvres…”,  “…trompes de bois noir…”, lieux des rythmes et de la danse. Ici tout s’ouvre sur ces cérémonies de la langue et autour de la langue, une jubilation , un appel à la vie, multiple et forte à l’instar de ces natures des Caraïbes, “Entends la mesure du sein même de la démesure / Entends le jaillissement, le surgissement  / Entends la parole, connais la jubilation …”. Injonctions à vivre par la danse par tous les flux des corps qui témoignent des présences de l’univers. Car, dans ces lieux de la parole et de la fête, tout entre dans la danse, hommes et bêtes, animaux et poissons, dans cet immense flux de l’eau d’où tout a pu naître et où tout retourne. Comme en un voyage ininterrompu, ce à quoi les vers de Monchoachi nous invitent, “Lait, miel, pierres précieuses  //  colonnes sombres aspergées de lait,  // Ma grande barque racle à la rive …”; et on entre en sonorités naturelles ou étranges, comme le soufle et le grondement du rhombe, “voix des sans-bouches qui sourd“,  propre à éveiller les esprits et à entraîner le lecteur dans des régions de mystères.

Le texte de Monchoachi, comme dans Lémisté 1, est encore à lui-même cette musique qui conjugue des langues diverses et, à l’instar des jeux de l’eau et de ses “miroitements”, “le jeu subtil des reflets, // l’ensorcellement des sons, // l’absolue légéreté…”. Un texte à danser et à produire des rêves. C’est là le “Châme” de ce livre: lieu de langue qui est aussi un lieu de rafraîchissement, d’hésitation sur les sens dans ces évocations qui ne sont pourtant qu’une fête des sens, à profusion, “ah ! préserver intact le grain de lumière  !  //  ah ! garder précieuse la chose qui rutile !”.

Reflets multiples du texte semblables aux jeux de l’eau qui montrent et cachent à la fois, l’invisible dans le visible, tel est aussi le jeu de la parole “ Dire  //  Montrer l’à-paraître  //Appeler lointain encore inapparent “, ce lieu de la poésie où “Tous les chemins sont ouverts”. Une incessante montée et descente, comme dans la vision d’un kaléidoscope, de tous les papillons, des souffles, des graines déposées destinées à monter: ce serait le mouvement incessant de la vie: “ les graines descendent avec les eaux noires  /  elle remontent dans le haricot “, jusqu’aux montagnes du ciel. Lieu où tout est partagé, sans doute celui de l’homme avec ses rites et ses cérémonies mais aussi avec les plantes et les animaux, mondes mêlés et pour tout dire créoles, où les  yeux des hommes  ne sont guère différents des yeux d’un animal “ des nègues zyéux rouges  /  des zyéux chèche  // les yeux comme les nuages   // “les yeux comme la panthère en cage”. Et c’est précisément le rôle de ces masques qui est de travestir en faisant ressembler. Voix masquées pour ainsi dire par définition qui nous font entrevoir les dessous du visible, visages  changeants, reflets multiples, mais “ Seule compte la voix”, ce qui parle ici, c’est le monde, l’univers, il n’y a pas qu’une seule voix et toutes sont métisses: “accaparer les souffles que les plantes // accumulent en respirant“,  Tous, dieux et hommes, ont en commun le commerce, le signe”. Même différents même incongrus dans leurs rapports mutuels, les signes sont “offerts l’un à l’autre / portés - supportés l’un par l’autre  /  rapportés l’un à l’autre  /  collés-déux”,  le contraire des “ barbares séparés de tout”.

Ce que semble synthétiser Monchoachi dans un texte-programme ou art poétique où il témoigne de cette force merveilleuse, “celle qui consiste à être relié par toutes les fibres du corps aux puissances de l’univers“, poésie de “célébration” où sont “magnifiés le rythme et la danse” auxquels il oppose “la rationalité rapetissante”, “l’assujetissement à des réjouissances mesquines”, “le pullulement des langages abjects”.  La langue de cette poésie apparaît comme un combat pour la préservation des mystères et de l’enfoui qui nous révèle ses forces profondes. Écriture conçue comme une prière ou une cérémonie de la relation à plus grand que soi et cependant proche de soi: “ La bouche qui s’ouvre n’est pas la bouche qui parle  /  La bouche qui parle, parle avec le ciel et la terre  /  parle avec les loa et les hommes: avec le lever et le coucher du soleil“. Et malgré la présence des masques et “l’impénétrable arcane” de leurs yeux vides,  ce monde  d’une parole foisonnante et bigarrée est dense, là où “on fait des fêtes au bord du fleuve”, pour “la simple volupté d’être là”.

boule

 Viré monté