Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

LAKOUZÉMI

Aprè dé lanné (2007-2009)
Lakouzémi ka pran larèl li LAKOU-A AN MOUVMAN

LAKOUZEMI VII ème édition

SANMDI 15 AOUT 2009, 11H -23H
PITT Thomassin, Barrière La-Croix, SAINTE-ANNE (Direction Cap Chevalier, puis Cap Ferré)

Lakouzémi

«Mêmes les figures primaires de l’asservissement
sont flanquées d’une fable»

Monchoachi

Ce qui est à l’origine de la démarche Lakouzémi, ce qui fonde cette démarche, c’est l’idée selon laquelle nous serions aujourd’hui constitués de discours et qu’en conséquence, ce sont en tout premier lieu les discours qui nous assujettissent. D’où l’impérieuse nécessité d’entreprendre de les locher, voire de les déchouker. Cette idée qui peut sembler étrange à nombre d’esprits accoutumés à voir dans l’asservissement le fait de la dépendance absolue en laquelle se trouve réduit le plus faible par le plus fort, nous pouvons nous l’expliquer de la sorte:

L’homme est un animal qui parle, voilà ce qui le caractérise en propre. De cette seule donnée, il résulte que la moindre de ses conduites (ou inconduites) se trouve flanquée d’une fable qui édifie cette conduite et la justifie. Mêmes les figures primaires de l’asservissement par la contrainte physique, tel l’esclavage des Nègres sur la terre des Peaux-rouges, s’accompagnent d’une fable. Ainsi: «Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes. On ne peut se mettre dans l’idée que Dieu, qui est un être si sage, ait mis une âme surtout une âme bonne dans un corps tout noir» (Montesquieu, De l’esprit des lois). Néanmoins, la figure achevée de l’asservissement réside absolument dans la dépendance absolue de l’homme, non à l’égard d’un autre humain plus fort que lui, mais à l’égard de la fable elle-même, autrement dit que celle-ci en vienne littéralement à lui prendre la tête. Nous sommes ici, dans la fable, à la jonction entre la parole et le discours, au point de divorce entre un bel conte, le récit d’une chose fabuleuse, et une vilaine histoire.  Tant que l’homme destine sa parole au chant, autrement dit à saluer la chose fabuleuse de la présence sur terre, il évolue dans la pleine liberté qui est attachée à sa nature et condition.  Dès lors qu’il lui assigne pour but d’entreprendre d’asservir la nature à des fins artificielles qu’il s’invente, il se retrouve lui-même enchaîné à un projet à la fois insensé et sans bornes, qui enfante sans arrêt des légions de discours dans tous les domaines possibles et imaginables et qui sont comme autant de liens qui l’enserrent, comme autant de geôles dans lesquelles il se trouve cloîtré. Voilà ce qui nous amène à dire que nous sommes en réalité et fondamentalement assujettis à des discours, étant entendu que ces discours sont engendrés ou sous-tendus par un projet.

Mais d’où vient un tel projet? Et comment a-t-il pu ainsi se déployer au point, à notre époque, d’avoir réduit la terre entière, de l’avoir pour ainsi dire amenée à raison, amenée à emboîter cette conduite, à s’abandonner à cet égarement?

La provenance d’un tel projet c’est de façon tout à fait évidente, l’Europe occidentale. C’est ainsi qu’il reviendra au philosophe René Descartes d’énoncer en toute clarté le projet occidental: se rendre «maîtres et possesseurs de la nature.»

Mais les conquistadors n’avaient pas attendu Descartes pour se lancer à la conquête de ce que l’on nommera l’Amérique, à l’extermination des peuples indigènes, à la colonisation et à l’exploitation des richesses. Suivront la traite négrière et l’esclavage, puis la colonisation de vastes territoires de par le monde: Amérique du Nord, Afrique, Australie, Nouvelle Zélande, Asie et jusqu’au Groenland et à l’Alaska. Ce ne sont pas seulement, de ce fait, les richesses de toutes les parties du monde qui seront ainsi exploitées, pillées. Surtout, l’autre parole, aura été recouverte, puis brisée, les peuples dépaysés, désorientés, désemparés avant que l’on ne leur enjoigne de se déshabiller et d’adopter la mode et le modèle occidental afin de se «développer».  Ce qui se poursuit encore de nos jours par la propagande et l’intimidation, voire parfois la commination, il ne peut être omis de dire pour en apprécier l’efficace qu’il s’entreprit et longtemps eut cours au moyen de la terreur. Les résistances Peaux-rouges et les dernières exterminations aux États-unis d’Amérique ne datent, après tout, que de la fin du XIX siècle.

Il ne peut être omis de dire non plus que cette entreprise se poursuit avec l’omniprésente terreur que constitue la possession d’un énorme arsenal nucléaire par les grandes puissances. La menace globale que fait peser l’arme atomique sur la présence de la vie sur terre, en particulier, depuis les bombardements américains d’Hiroshima, constitue un insupportable chantage.

Il faut toutefois ajouter que le projet occidental s’est propagé en raison aussi de la diabolique efficacité immédiate  de ses œuvres (avant décompte), et pour la fascination exercée par son art de se jouer du réel et de la nature, (là encore avant bilan). Ainsi, l’Occident a-t-il contrefait l’idée de liberté au point de la faire reposer sur le contre-nature, ce qui a pour effet de convertir du même coup le travail, compris comme entreprise de dévastation de la nature, en exercice de liberté.

Quelles sont à présent les manifestations de cet assujettissement à un tel projet?

La manifestation majeure de cet assujettissement au projet occidental réside dans le fait du déracinement. Cet état affecte tout autant les hommes que les lieux, les activités autant que les œuvres, les opinions tout comme les discours. Il est avant tout la marque d’un effacement de la présence, d’un effacement d’une manière chaque fois d’habiter le monde, d’une manière d’habiter le monde en vérité. L’autre face de ce déracinement, c’est qu’il met à disposition les hommes qui, dès lors, sont pleinement requis en vue de l’entreprise de provocation de la nature. Cette mise à disposition se fait par l’entremise de dispositifs de plus en plus normés, de plus en plus formatés, de plus en plus automatisés, générant une surveillance accrue de tous les aspects de l’existence de chacun dans le but d’en optimiser la rationalisation.

Deux choses importantes sont à considérer à ce stade:

La première c’est ce que cette domestication est à la fois globale et généralisée. Elle est globale d’abord au sens où elle englobe tous les aspects de l’existence sans exception et opère de la naissance à la mort. Elle est généralisée ensuite, cela signifie qu’elle n’est pas dirigée contre une catégorie particulière de la population, à savoir les ouvriers et les travailleurs, et qu’elle en épargnerait une autre, à savoir les capitalistes et les nantis. Tous sont pleinement requis et mis à disposition de l’entreprise de provocation de la nature, quand bien même ils le seraient à des titres divers et en recevraient en retour des compensations diversifiées. Cette considération d’une domestication généralisée rompt avec la vision marxiste déjà obsolète dans les faits. Elle permet en outre de mettre en lumière la fonction des Droits de l’Homme dans le projet occidental. Ils sont, ni plus ni moins, le pendant du Code noir pour l’esclavage des Nègres: une réglementation de la domestication.

La deuxième chose importante à considérer est la suivante: penser que la politique, quelle qu’elle soit, puisse être en mesure de contrecarrer un tel projet, c’est entretenir une attente vaine. La raison en est que la politique est totalement incorporée au processus de domestication qu’elle a en charge de maintenir sur les rails et d’activer. A titre d’exemple, l’idée de «protection de la nature» par la mise en œuvre du «développement durable», idée reçue en partage depuis les écologistes jusqu’aux politiciens libéraux et au-delà, ne remet en cause ni la conception de la nature comme objet, (et comme objet minoré qu’il conviendrait aujourd’hui de «protéger»), ni la vision d’un « développement », l’une comme l’autre à la racine même du projet productiviste occidental. Il en ressort que la conception écologique de la nature est, dans son fondement, à la fois antinomique et dérisoire.

Dans ces conditions, quels sont les positionnements à avoir et les pistes à explorer?

L’urgence c’est la Résistance à l’Occupation que nous subissons quelque peu impuissants et démunis en raison même du fait  que nous n’avons pas à ce jour rejeté la dépendance politique qui l’autorise, étant entendu que celle-ci est subordonnée à la dépendance de nos manières de penser et de vivre. L’Occupation est le péril des périls puisqu’elle menace notre existence même en tant que peuple, dissout notre identité et renforce le poids de notre assujettissent au modèle occidental, rendant plus problématique encore l’éventualité d’un rejet de ce modèle. La Résistance à l’Occupation doit prendre toutes les formes pacifiques imaginables sans se laisser intimider par quelque prise à partie que ce soit, quelque imputation d’où qu’elle vienne.

Ceci dit, certaines manières de faire, certaines manières de positionner ses actes, voire certaines modalités d’existence, traduisant une autre manière de pensée en quête d’un accord avec l’esprit des lieux, cherchant à révéler, parfois à réveiller un monde et une présence, peuvent être mises en œuvre sans plus tarder. Elles constitueraient un puissant ferment apte à contrecarrer le modèle occidental et à nous ouvrir à l’idée d’une autre façon de vivre et de penser. Sans qu’il soit approprié d’en faire un catalogue qui n’aboutirait qu’à en abaisser la visée, on peut citer pour exemple le problème de l’autosuffisance alimentaire d’une grande sensibilité depuis le mouvement de février. Cette exigence raccorde fortement à l’esprit des lieux (jardin créole, pratiques d’entraide, une façon de s’alimenter, l’usage de nos plantes médicinales) autrement dit au monde sensible et aux forces invisibles qui le traversent. On voit bien, qu’en tout état de cause, cette quête devrait se déployer à l’articulation entre autonomie d’existence, autonomie de création et solidarité.

Échapper à la domesticité du travail pour faire œuvre, s’ouvrir à la présence, faire l’apprentissage de vivre dans la beauté, voilà la subversion à laquelle nous appelons.

 

Mandé pou sav: 06 96 82 14 42 - lakouzemi@wanadoo.fr

 

Viré monté