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Martin Luther King

biographie

Alain Foix

 

 

 

 

 

 

 

Martin Luther King, Alain Foix • 2012 • Éd Folio • ISBN 978-2070445080 •
320 pages • 8.10 €.

Martin Luther King

«La vie dans sa forme optimale est un grand triangle. À un angle se trouve la personne humaine, à l’autre angle se trouve l’autre personne, et au sommet se trouve Dieu. Si ces trois dimensions ne s’enchaînent pas, travaillant harmonieusement ensemble dans une seule vie, alors cette vie est incomplète.» Assassiné le 4 avril 1968, sur le balcon du Lorraine Motel à Memphis dans le Tennessee, Martin Luther King (1929-1968) est un homme multiple. Penseur, poète, disciple de Gandhi appliquant la philosophie de la non-violence dans sa lutte pour les droits civiques des Américains noirs, il a su franchir la «ligne des couleurs» pour s’attaquer à la question plus générale de la pauvreté. Prix Nobel de la paix en 1964, le célèbre pasteur baptiste aux dons d’orateur hors du commun nous a laissé une voix qui, aujourd’hui encore, nous invite à ne pas abandonner nos rêves. Ce livre est l'histoire d'un homme qui pensait que «la justice est toujours debout à côté de l'amour».

Extrait

Les poubelles de Memphis

Quand viendra-t-elle? Car elle viendra, il le sait. Pas l’ombre d’un doute, elle viendra.

La douceur de ce soir de printemps sur Memphis, Tennessee, ne peut apaiser cette angoisse qui depuis quelque temps le tenaille, l’étouffe, agite son sommeil, le rend irritable, lunatique, transforme son humeur à tel point que ses proches s’en sont alarmés. Lui, d’habitude si serein, si prompt au sourire, accessible à l’humour, si bon camarade, si aimable.

Cette ville tout entière est une menace. «Il faut vite nous sortir d’ici», a-t-il soufflé à Ralph Abernathy son ami de toujours, compagnon insatiable de ces luttes qu’ils mènent main dans la main depuis plus de treize ans.

Memphis est un tournant, il le sait, mais aussi un sommet. Et en haut du sommet, une immense solitude, fondamentale, existentielle. Et en haut du sommet un homme seul avec Dieu pour témoin. Il se sent abandonné, vulnérable, harassé, au bout du chemin. Une solitude qui le serre dans les draps moites de l’angoisse. Rien de commun avec celle qu’il a connue si souvent en prison. Moments haïssables, mais nécessaires.

Il déteste plus que quiconque être jeté en cellule, déteste cette inaction forcée qui le rend littéralement fou furieux, lui d’ordinaire si actif et si entouré depuis sa plus tendre enfance. Mais c’est un combat, tout un peuple derrière lui. Tout un peuple enfermé dans une geôle bien plus vaste: celle de la couleur de sa peau, celle des lois racistes et ségrégationnistes. Tout un peuple pour lequel les barreaux des prisons ne sont rien d’autre que l’expression brutale d’une réalité plus profonde, plus tenace. Un peuple dont la couleur de la peau porte l’ombre des cachots. Il va dans les geôles comme on va à la guerre une fleur au fusil, avec la certitude qu’une souffrance passagère ouvrira sur des jours lumineux. L’ombre des prisons est l’alliée douloureuse d’un combat de lumière.

Non, rien de commun avec cette solitude existentielle et si nouvelle qui saisit le Dr Martin Luther King Jr en ce mercredi 3avril 1968, accoudé au balcon du Lorraine Motel. Il jette, au-delà de Mulberry Street, un regard vide, aussi vide que ce vaste terrain vague encombré de buissons et d’herbes folles s’étendant là-bas, aux abords des tristes façades de brique. La sévérité de ce quartier déserté et sans charme, posé au milieu de nulle part, se découpe sur un ciel de lumière orangée. Le couchant, éclairant son visage soucieux, souligne la menace des murs rouges.

Si au moins il avait peur. Si au moins il se méfiait. La peur peut être bonne conseillère. La peur a toujours un objet. On a toujours peur de quelque chose. Mais l’angoisse, elle, n’a pas d’objet. Elle est tout à son sujet. Et le sujet de l’angoisse, le sujet pris d’angoisse, n’a que lui-même pour objet. Lui dans le monde, lui face au monde, lui dans sa solitude première.

Ce quartier déserté, ces immeubles menaçants, il les voit, mais comme une projection de son propre état d’âme. Le décor maussade de son drame intérieur.

Quand viendra-t-elle? À quel instant précis, et d’où? Sans doute à un moment inattendu, sans même crier gare. Au milieu de la foule, ou sur une estrade, l’arrêtant définitivement en plein coeur d’une phrase. Qu’importe, elle viendra, c’est pour lui désormais une certitude. Qui la tirera, cette balleÞ? Cette balle qui gommera ce nègre d’un trait de haine blanche.

Si, au moins, il prêtait attention, une seconde, une seule seconde, à ces curieux mouvements en contrebas. Là, tout près des murs sombres en face, qui cachent de sordides meublés loués dix dollars la semaine. Et s’il levait les yeux vers cette fenêtre à guillotine entrouverte qui semble l’épier depuis quelque temps?

Plongé dans ses pensées, il offre son visage aux douceurs du couchant. Un visage sombre qui se découpe parfaitement au balcon du premier étage sur les rideaux blancs de la baie vitrée, chambre 306. Une cible idéale. Ce ne sera pas pour ce soir. Il rentre dans sa chambre, fatigué. Trop de vols, trop de trains, trop... Suite en pdf ici.

boule

 Viré monté