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Le Petit Nicolas en créole

6 histoires en créole et en français

Sempé & Goscinny

Coédition: Imav-Éditions & Caraïbéditions

Date de parution 5 Juillet 2014

 

Le Petit Nicolas en créole Le Petit Nicolas en créole
Le Petit Nicolas en créole de Guadeloupe, Sempé & Goscinny • Trad. Robert Chilin • Caraibeditions • 2014 • 120 pages •
185 x 185 mm • ISBN 9782917623756 •
France métrop. 13,70 € - DOM 15,75 €.
Le Petit Nicolas en créole de Guyane, Sempé & Goscinny •
Trad. Aude Désiré • Caraibeditions • 2014 • 120 pages •
185 x 185 mm • ISBN 9782917623770 •
France métrop. 13,70 € - DOM 15,75 €.
Le Petit Nicolas en créole Le Petit Nicolas en créole
Le Petit Nicolas en créole de Martinique, Sempé & Goscinny • Trad. Marie-José Saint-Louis • Caraibeditions • 2014 •
120 pages • 185 x 185 mm • ISBN 9782917623763 •
France métrop. 13,70 € - DOM 15,75 €.
Le Petit Nicolas en créole de La Réunion, Sempé & Goscinny • Trad. Jocelin Lakia • Caraibeditions • 2014 • 120 pages •
185 x 185 mm • ISBN 9782917623787 •
France métrop. 13,70 € - DOM 15,75 €.

Jean-Jacques Sempé

Jean-Jacques Sempé est né à Bordeaux le 17 août 1932. Élève très indiscipliné, il est renvoyé de son collège et commence à travailler à dix-sept ans. Après avoir été l’assistant malchanceux d’un courtier en vins et s’être engagé dans l’armée, il se lance à dix-neuf ans dans le dessin humoristique. Ses débuts sont difficiles, mais Sempé travaille comme un forcené. Il collabore à de nombreux magazines: Paris Match, L’Express…

En 1959, il «met au monde» la série des Petits Nicolas avec son ami René Goscinny. Sempé, vit à Paris (rêvant de campagne) et à la campagne (rêvant de Paris). Il a, depuis, publié une quarantaine d’albums parus chez Denoël.
En 2009, paraît «Sempé à New York» recueil d’une centaine de couvertures du New Yorker dont Sempé est collaborateur depuis 1978.

Dans la collection Folio Junior, il est l’auteur de Marcellin Caillou (1997) et de Raoul Taburin (1998); il a également illustré Catherine Certitude de Patrick Modiano (1998) et L’Histoire de Monsieur Sommer de Patrick Süskind (1998).

René Goscinny

René Goscinny est né à Paris en 1926 mais il passe son enfance en Argentine. «J’étais en classe un véritable guignol. Comme j’étais aussi plutôt bon élève, on ne me renvoyait pas.»

Après une brillante scolarité au collège français de Buenos Aires, c’est à New York qu’il débute sa carrière au côté d’Harvey Kurtzman, fondateur de Mad. De retour en France dans les années cinquante il collectionne les succès.

Avec Sempé, il imagine le Petit Nicolas, inventant pour lui un langage et un univers qui feront la notoriété du désormais célèbre écolier. Puis Goscinny crée Astérix avec Uderzo. Le triomphe du petit Gaulois sera phénoménal. Auteur prolifique, il est également l’auteur de Lucky Luke avec Morris, d’Iznogoud avec Tabary, des Dingodossiers avec Gotlib…

À la tête du légendaire magazine Pilote, il révolutionne la bande dessinée.

Humoriste de génie, c’est avec le Petit Nicolas que Goscinny donne toute la mesure de son talent d’écrivain. C’est peut-être pour cela qu’il dira: «J’ai une tendresse toute particulière pour ce personnage.»

René Goscinny est mort le 5 novembre 1977, à cinquante et un ans. Il est aujourd’hui l’un des écrivains les plus lus au monde.

Interview de Anne Goscinny

Anne Goscinny, vous êtes l’éditrice du Petit Nicolas mais vous êtes avant tout la fille de son génial créateur;
le Petit Nicolas est donc votre petit frère en quelque sorte?

Chronologiquement, le Petit Nicolas serait plutôt mon grand frère, il est né en 1959 et moi en 1968 ! Mais il est évidemment un éternel petit garçon! Les personnages de mon père et moi-même avons en commun d’être nés du désir du même homme! C’est certain! Et je veille sur eux avec beaucoup de tendresse.

Pourriez-vous nous décrire le Petit Nicolas en quelques mots?

Le Petit Nicolas est un enfant qui doit avoir entre 8 et 10 ans. Il n’est pas encore au Collège, je le situerais en classe de CM1, que l’on nommait, de mon temps, 8ème.

Il est l’enfant de toutes les enfances. Et il vit une enfance dénuée d’angoisse: quand ses parents se disputent, il n’y a pas de menace de divorce, mais à la clef, une tarte aux pommes qui vient sceller la réconciliation. Il évolue dans un monde sur lequel l’Histoire n’est pas passée. Un monde exempt de médias et donc d’information. Il vit dans un monde clos où les murs, loin de représenter un enfermement, sont mis là pour renforcer le sentiment de sécurité indispensable à la bonne construction d’un enfant.

Qui est le public du Petit Nicolas?

C’est un lectorat d’enfants bien sûr mais pas seulement! Je dirais volontiers, même si cela semble absurde, que c’est un lectorat d’anciens enfants! Les parents d’aujourd’hui ont eu dans les mains ces livres-là, ils ont ri, ont découvert les joies de la lecture et sont heureux de les transmettre à leurs enfants, et même à leurs petits-enfants. Ce sont des contes, et on connaît la vertu du conte: il permet à celui qui le lit à la fois de s’identifier, de réfléchir, de s’opposer. Il y a du Marcel Aymé dans les aventures du Petit Nicolas! Il faudrait d’ailleurs imaginer une rencontre au sommet entre Delphine et Marinette et Nicolas et ses copains!

Le second volet des aventures du Petit Nicolas au cinéma va bientôt sortir en salle. Est-ce que le premier film a touché un autre public que le public des fidèles lecteurs?

Le cinéma touche nécessairement un public différent de celui des livres, bien sûr. Je crois cependant que ce ne sont pas deux publics distincts mais plutôt un seul public qui grâce au cinéma a découvert une oeuvre littéraire. Mais les amoureux de l’oeuvre originale sont allés voir le film, curieux de voir ce que le cinéma avait fait de son petit héros, et ont eu la bonne surprise de retrouver le héros dont ils aiment lire les histoires. Mais je crois que cette façon de voir les choses s’applique à toutes les adaptations. De toutes façons, on a tous en nous la voix de notre Petit Nicolas, qui n’est de fait pas la même voix que celle de Maxime Godart (l’acteur qui joue dans le premier film). Une adaptation au cinéma nécessite pour les lecteurs également une grande faculté d’adaptation!

Le Petit Nicolas a été traduit en combien de langues à ce jour?

Une quarantaine. Sachez que le Petit Nicolas est un best-seller dans certains pays comme en Pologne en Allemagne ou en République Tchèque. Il remporte même un certain succès en Chine.

Ces traductions confirment la dimension intemporelle et universelle de ce personnage et de ses aventures. Dans toutes les classes du monde il y a un premier de la classe (Agnan) et un dernier (Clotaire)...

Imav a créé une collection du Petit Nicolas en langues régionales, comment se porte cette collection?

Officiellement le terme pour les langues régionales est «Langue de France». Savez-vous qu’il existe 75 langues de France référencées par le ministère de la culture? Nous avons pour projet dans les années à venir de faire traduire et publier
le Petit Nicolas dans toutes ces langues. Nous avons commencé en 2013 par quatre titres, le corse et le breton qui ont connu un vif succès. À notre grande surprise le yiddish et l’arabe de France font partie de cette inventaire. Ce sont des langues non territoriales n’étant la langue officielle d’aucun pays et c’est à ce titre qu’elles ont en quelque sorte le même statut que les autres langues dites régionales. Après les quatre créoles que nous publions cet été en co-édition avec Caraïbéditions nous ferons paraître l’alsacien et le picard à Noël prochain.

À propos de cette co-édition «Imav-Caraïbéditions» en créole de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane et de La Réunion. Comment est né ce projet?

Comme c’est souvent le cas pour ce type de projet, c’est une rencontre qui a été le déclencheur. Florent qui dirige Caraïbéditions souhaitait publier le Petit Nicolas en créoles après le succès qu’il avait obtenu avec Astérix, Tintin, Titeuf,
Le Petit Prince ou l’Etranger. René Goscinny étant le co-créateur d’Astérix et l’auteur des textes il nous a semblé que le cousin du célèbre gaulois aurait sa place dans cette galerie des grands classiques. Ces traductions en créoles trouvent une place légitime dans notre collection des Langues de France et dans la collection des ouvrages d’oeuvres célèbres traduites en créole de Caraïbéditions.

Où pourra t’on trouver Le Petit Nicolas en créole?

Dans toutes les librairies des Départements d’Outre-Mer et dans un grand nombre de librairies de l’Hexagone, notamment dans les librairies afro-caribéennes ou les librairies spécialisées en linguistique. À noter que l’ouvrage pourra être commandé chez n’importe quel libraire français sur simple demande et sur internet.

Caraïbéditions a déjà publié «Le petit Prince» de Sain-Exupéry en quatre créoles. Comment ces deux héros mondialement connus et du même âge cohabitent-ils en général dans les bacs des libraires?

Tous deux sont «petits» par la taille à cause de leur âge, ce sont des enfants, mais grands par leur qualité littéraire et leur intemporalité.

Ce sont des contes pour enfants appréciés des adultes et tous deux illustrés. Ce sont deux titres prescrit par les professeurs des écoles et qui contribuent à l’apprentissage de la lecture. Mais là s’ arrête la comparaison. Saint-Exupery était un aviateur et immense écrivain. René Goscinny un humoriste de génie qui collectionnait les succès: Astérix, Lucky Luke, Iznogoud et bien sûr le Petit Nicolas. C¹était un aventurier du rire qui ne pilotait que sa machine à écrire. Il a su s’allier avec les plus grands dessinateurs, Sempé pour le Petit Nicolas, Uderzo pour Astérix, Tabary pour Iznogoud. Il était l’homme des duos magiques. Saint-Ex était l’homme de Citadelle. Pour la petit histoire j’ajouterais que nous sommes en relations étroites et amicales avec les ayants droits de Saint Ex, Olivier d’Agay en particulier et avec qui nous discutons souvent de la gestion de ces œuvres qui nous tiennent tant à cœur.

ROBERT CHILIN (Traducteur du Petit Nicolas en créole de Guadeloupe)

Ça y est! Après Tintin, Astérix, Le Petit prince, un autre personnage célèbre de la BD et de la littérature française a droit à sa version en créole guadeloupéen.

En tant que traducteur, on se sent à la fois fier et enthousiaste d’être celui qui aura permis qu’une telle chose se concrétise et fébrile face à cette énorme responsabilité et à ce numéro d’équilibriste qui consiste à respecter l’œuvre originale tout en la rendant crédible aux yeux de ceux qui découvriront en langue créole cet illustre personnage pour lequel Sempé et Goscinny disaient nourrir une affection particulière.

La principale difficulté, finalement, découle du fait que les enfants et élèves guadeloupéens ne s’expriment pas comme le Petit Nicolas.

D’autre part, comme j’avais déjà pu le constater lors de mes études préalables à la traduction du premier Titeuf en créole et des formations que j’ai pu faire pour des enfants du primaire, les petits guadeloupéens parlent peu le créole. Leur langue maternelle est, pour la grande majorité d’entre eux, la langue française, la langue que parle leur mère. Et, quand ils parlent créole, on est confronté à un créole francisé ou un français créolisé: c’est-à-dire un français avec des expressions créoles ou des tournures issues du créole.

Quoiqu’il en soit, c’est une bonne chose qu’ils puissent disposer d’outils afin de parfaire leur apprentissage du créole non seulement par le biais des sections LCR (Langue et Culture Régionale) mais aussi en dehors des structures scolaires afin de découvrir et de redécouvrir leur patrimoine linguistique.

Cet ouvrage s’adresse aux 7 à 77 ans, à tous ceux qui aiment le créole et qui ont envie qu’il perdure au-delà des générations. Et en cela je tiens à saluer l’excellent travail que fait Florent Charbonnier qui investit sans compter pour faire vivre une littérature créole sous toutes ses formes.

Je salue également au passage tous ceux qui ont milité et qui militent encore pour que le créole soit reconnu par les autorités comme une langue à part entière digne de cohabiter en toute harmonie avec le français dans l’apprentissage scolaire, dans l’administration et les imprimés administratifs et pour qu’un jour on puisse devenir un espace réellement bilingue.

L’autre difficulté est purement liée aux contraintes de la traduction et en ce qui concerne la transposition des lieux et des personnages cités dans l’ouvrage original.

Les lieux:

Il n’y a aucune indication dans l’ouvrage de Sempé et Goscinny quant à la localisation de l’endroit où vit le Petit Nicolas. On suppose donc qu’il vit à Paris ou en région parisienne vu les expressions qu’il utilise.

Lors de la traduction en guadeloupéen il en va de même sauf qu’il pourrait très bien vivre à Basse-Terre qu’à Pointe-à-Pitre. C’est pourquoi j’ai opté pour la transposition des lieux suivants qui ont le mérite d’offrir un panorama global de la diversité de l’archipel des îles de Guadeloupe et l’avantage de concerner tout le monde (Grande-Terre, Basse-Terre, Les Saintes et même Marie-Galante par le «bonbon gwo siwo» qui remplace le pain d’épice).

L’Auvergne, région du centre du Massif central où de hautes terres cristallines encadrent des massifs volcaniques et des fossés d’effondrement, est devenue fon kako (Fond Cacao à Capesterre Belle Eau) dans la région volcanique de la Basse-Terre à l’intérieur des terres.

Le métier de charcutier qui n’est pas vraiment une réalité en Guadeloupe a été remplacé par celui de vendeur de tripes et de boyaux qui sont des abats utilisés pour la confection des plats traditionnels que sont les «trip é pòyò» et le «bouden».

La Côte d’Azur, partie orientale du littoral français, baignée par la Méditerranée, station estivale et hivernale bénéficiant d’un climat très doux en hiver, chaud et ensoleillé l’été est devenue «P’asi Sentàn» (aux environs de Sainte-Anne) commune se trouvant sur le littoral oriental de la Guadeloupe et qui fait figure pour beaucoup de notre Saint-Tropez à nous.

Bains-les-Mers ou Mers-les-Bains, station balnéaire et de tourisme de la Somme devient «Lésent» (Les Saintes) que beaucoup considèrent comme la station balnéaire par excellence de la Guadeloupe.

Personnages:

En dehors des personnages centraux de l’histoire, apparaît un héros mythique de la littérature et du cinéma en la personne de Tarzan, roi de la jungle africaine et seigneur des animaux. Dans la traduction créole il devient Chaka ka Senzangakhona aussi appelé Chaka zoulou ou Chaka Zulu. C’est un roi zoulou, un héros africain considéré par beaucoup comme le père fondateur de la nation Zoulou. Nous gardons donc ce clin d’oeil à l’Afrique avec un personnage auquel pourrait vouloir s’identifier un petit guadeloupéen désireux de devenir plus noir ou du moins plus foncé qu’il ne l’est déjà.

Concernant le nom des différents personnages, j’ai fait en sorte de leur attribuer des noms qui ne peuvent être assimilés à des personnes existantes ou ayant existés.

Ce fut un réel plaisir et un honneur de faire vivre le Petit Nicolas dans un environnement créolophone et de vous livrer une oeuvre qui je l’espère vous séduira par sa fraîcheur, son originalité et surtout par son respect et sa fidélité à l’œuvre originale.

AUDE DESIRE (Traductrice du Petit Prince en créole de Guyane)

Son histoire et sa culture, font de la Guyane un espace singulier où «son» créole à base lexicale française vit en présence du parler des divers locuteurs de Sainte-Lucie, de Martinique, de Guadeloupe, d’Haïti jusqu’à la Réunion. Comme le précise Edouard Glissant: «J’écris en présence de toutes les langues du monde».

Évidemment, le créole guyanais bénéficie de ces influences culturelles et linguistiques. Et malgré quelques variations linguistiques, une forte unité relie Saint-Laurent jusqu’aux rives de Saint-Georges de l’Oyapock. La reconnaissance institutionnelle progresse et petit à petit cette langue investit de nombreux champs de l’espace public, propice à la transmission. Que de chemin parcouru dans la promotion de la langue créole en Guyane dès les années 80: une thèse de doctorat de troisième cycle, un Recteur d’origine guyanaise, un accès grandissant à cette langue dans l’école, le tout cadencé au dynamisme du milieu associatif et à la trajectoire du premier lauréat du Capès créole guyanais en 2013.

MARIE-JOSE SAINT-LOUIS (Traductrice du Petit Nicolas en créole de Martinique)

Dans le cas de la traduction français-créole, les langues source et cible n’ont donc pas le même statut. L’une est formidablement équipée (le français) et l’autre manque cruellement d’outils. Le bureau, d’un traducteur de langues acrolectales, d’une manière générale, est chargé de dictionnaires en tout genre: unilingues, bilingues, dictionnaire des synonymes, dictionnaire des citations, dictionnaire étymologique etc…

Celui du traducteur en créole martiniquais est beaucoup moins pourvu en livres (des dictionnaires français, un dictionnaire de créole, un dictionnaire de néologismes, et c’est tout…)

Plus surprenant, peut-être, il n’a pas de diplôme de traducteur, pour l’heure… Il s’appuie juste sur une expérience personnelle et professionnelle de la pratique écrite de la langue…

Ceci devrait cependant changer avec le cursus de traductologie que propose l’Université des Antilles depuis peu.

Il y a quelques années de cela, Ana Lydia Vega, auteur portoricaine (prix Casa de las Americas 1981) m’affirmait que l’histoire tragique des Antillais les liait à un besoin d’écrire, teinté de quête d’identité très forte, que cette histoire les liait à un besoin réitéré de la revisiter - comme si l’histoire n’était pas juste l’histoire, mais une partie de notre identité à réapproprier sans cesse.

À bien y regarder, elle a raison; bon nombre de nos écrits locaux en français et en créole s’inscrivent dans ce cadre.

À cet égard, la traduction offre un champ de lecture élargi. S’il s’agit d’une traduction intra caribéenne, elle met à notre portée le talent de tous ces merveilleux écrivains de la Caraïbe et nous propose ainsi une approche renouvelée des poncifs dont parlait Ana Lydia Vega.

Mais s’il s’agit de traduction extra caribéenne, c’est-à-dire si le texte source n’est pas un texte caribéen, la traduction nous transporte en d’autres lieux, d’autres temps, d’autres problématiques, d’autres intrigues…Le créole se décharge alors de son rôle intrinsèquement lié à l’histoire un grand «h». Rien ne justifie alors l’utilisation du créole, sinon le pur plaisir de la langue. C’est alors un voyage différent qui est proposé!

Il est indéniable que la traduction booste une langue quelle qu‘elle soit. Pour ce qui est du créole, je conçois la traduction comme un espace d’expression supplémentaire du créole, à n’en pas douter, mais aussi comme un formidable «atelier» de cette langue. La question de la graphie est certes réglée (encore que des velléités de remaniement se fassent jour ces temps-ci), il reste à peaufiner la langue littéraire.

Comme pour toute traduction, le traducteur doit bien sûr rester le plus absent, le plus en retrait dans sa traduction.
On peut se poser la question de la part personnelle que le traducteur met dans son travail. Elle est moindre que dans une rédaction, certes, mais il n’en reste pas moins qu’il y a forcément une part de subjectivité guidée par les connaissances et l’expérience du traducteur.

Les mots sont ceux du traducteur, les tournures de phrases sont celles du traducteur, les idées sont celles de l’auteur. L’excès de style n’est pas permis, si le texte source n’en propose pas… Le traducteur a une liberté limitée…

Il me semble que s’agissant du créole, les difficultés sur le plan syntaxique peuvent être plus ou moins circonscrites, et que c’est vraiment dans le domaine lexical que réside le challenge du traducteur.

Le lexique français est le principal pourvoyeur du créole martiniquais et il faut dire que le créole et le français ont des interactions nombreuses compte-tenu de cette proximité; le français créolisé, mais aussi le créole francisé sont des réalités, à n’en pas douter.

Dans de telles conditions, quelles sont les pièges et travers qui menacent le traducteur?

Comme dans toute traduction, il faudra éviter les barbarismes et solécismes, mais aussi les équivoques qui ne sautent pas forcément aux yeux, car en passant d’un texte à l’autre, dans ce continuum linguistique, on peut se laisser aveugler.

Il faudra, par ailleurs, «trahir» le moins possible… ni dire plus, ni dire moins, ni dire à la place… Le texte ainsi traduit doit rester fidèle au texte premier, mais une certaine personnalité ou subjectivité est obligée de transparaître… même a minima.
Les éditions bilingues français/créole ont vocation, notamment, d’aider le lecteur dans sa lecture, si sa maîtrise n’est pas optimale dans l’une des deux langues. D’une manière générale, on pense aux non-créolophones qui s’essaient au créole, mais dans le cas du petit Nicolas, par exemple, on pourrait envisager une lecture par des Haïtiens, qui sont créolophones quasiment uniglottes dans leur grande majorité… (sans oblitérer, bien sûr, le fait qu’une proportion astronomique d’enfants haïtiens n’a pas accès à l’éducation de base). La langue créole servirait alors de béquille à la langue français.

En travaillant à la traduction du Petit Nicolas, je n’ai pu m’empêcher de faire un parallèle avec le Petit Prince (que j’ai traduit en créole martiniquais en 2010). Une fraîcheur et une candeur se dégagent de ces deux textes et le message humaniste caché derrière ne fait que rajouter au plaisir de la lecture et de la traduction. Je ne connaissais d’ailleurs pas vraiment les textes de Goscinny dans la bouche du Petit Nicolas, cela a été une belle opportunité. Pour être dans la logique du parler enfantin adopté par l’auteur, j’ai repris des termes ou expressions créoles que je n’utilise pas personnellement, mais que mes élèves et les enfants autour de moi utilisent, comme «dji!» ou bien «mové!». On ne connaît pas la durée de vie des mots, peut-être disparaîtront-ils comme ils sont apparus, ce qui ne manquera pas d’inscrire cette traduction dans une période précise. Les dessins de Sempé, en revanche, m’étaient familiers pour avoir pu en apprécier la malice dans la presse française, pour avoir lu «L’histoire de Monsieur Sommer» avec mes élèves germanistes et aussi avoir savouré ce beau catalogue des premières de The New Yorker.

Ce travail a été fort plaisant et je crois que la traduction créole est, bien des fois, plus croustillante, parce que le créole est tout simplement plus imagé…

J’en veux pour preuve, un exemple relevé au Chapitre 1 «I ni dan an pié!», littéralement, «ses pieds ont des dents» est bien plus imagé que «ils les mange (les chaussures)». Le nom de certains personnages aussi est assez évocateur (comme en français, du reste). Par exemple «Soup-Pié» pour Le Bouillon ; il s’agit d’une soupe très commune en Martinique, ce n’est pas la plus grasse, mais elle fait tout de même ces yeux de graisse en surface. Mais ce nom de plat associant soupe et pied est assez insolite…

Pour conclure, je vais m’autoriser un dernier exemple. Il concerne le «Frans-Antiy» qui s ‘est imposé comme mot générique pour «journal», car c’est le seul quotidien local et l’on demande facilement une page de France-Antilles, par exemple, alors que l’on a simplement besoin d’une feuille de papier journal. Il m’a semblé audacieux, mais justifié d’oser ce petit clin d’oeil…
Mon espoir, à l’issue de cette traduction, est d’avoir proposé aux lecteurs une palette des saveurs de cette magnifique langue qu’est le créole, et tout ceci à travers la vie de Ti-Nikola.

JOCELIN LAKIA (Traducteur du Petit Prince en créole de la Réunion)

«Lé korèk!»

Même si on est loin du «patois sympathique», fanfaronnade lancée par une élue locale dans les années 90, force est de reconnaître que la reconnaissance du créole réunionnais comme langue à part entière a été (est toujours) laborieuse. Pourtant, les chiffres sont éloquents:

«Plus de la moitié des Réunionnais parlent aujourd’hui encore uniquement le créole, ce qui en fait de loin la langue régionale la plus utilisée dans les départements d’Outre-mer.» (source: INSEE).

Et sur 10 personnes aujourd’hui âgées de 16 à 64 ans, 8 d’entre elles n’ont parlé que créole pendant leur enfance, cette situation ne changeant guère car aujourd’hui près de 80 % des familles le parlent quotidiennement.

Alors, un Ti Nikola créole, quoi de plus authentique, de plus vrai?

Chaque réunionnais peut dire qu’il se reconnaît en ce gamin facétieux, au langage coloré, bien qu’approximatif. Chacun peut aussi se réclamer de cette famille, somme toute identique à toute autre famille du globe, mais aux préoccupations si proches du créole enraciné.

Cette première traduction réunionnaise du célèbre livre de Goscinny et Sempé fait donc la part belle à de juteuses expressions enfantines, ainsi qu’à une série de quiproquos dont le côté burlesque évoque machinalement nos jeux d’enfants. Le traducteur n’a pas eu d’autre choix que de se plonger dans ses souvenirs. Sacré Petit Nicolas qui lui a rappelé des épisodes jusque là bien dissimulés! Comme cette lettre d’excuse durement arrachée au paternel pour un travail non-fait et fièrement arborée à l’entrée de la classe. Ou encore ces intenses moments d’émotion au bord de la piscine qui n’est pas sans rappeler les baignades à la ravine!

Le véritable challenge a plutôt été de ne pas se fourvoyer en respectant la volonté de l’auteur d’utiliser des expressions d’enfant. Ce qui n’a pas été simple, car les mots qui venaient à l’esprit ne correspondaient pas tous à cet à priori. La tâche du traducteur a été facilitée par son métier d’enseignant de collège.

Par ailleurs, le choix de créoliser les patronymes des personnages s’imposait. «Nicolas» est donc naturellement devenu «ti Nikola», comme on connaît localement Ti Zan, Ti Pol ou Ti Zak (pour Jean, Paul ou Jacques). Dans l’ensemble, les prénoms ont été remplacés par leurs équivalents créoles: «Zoakim», «Klotèr», «Bazil», «Mari-Edviz» pour «Jochim», «Clotaire», «Basile», «Marie-Edwige», certains ont été un peu adaptés: «Zofré», «Alside», «Rifik», «Angelo», pour «Geoffroy», «Alceste», «Rufus», «Agnan». Petite entorse pour «Eudes», inexistant en créole et qui devient «Singam», prénom indien signifiant «Lion».

«Courteplaque» change pour «Sinapouralé», tous les deux associations de plusieurs mots («Sinapouralé» = «Si» + «na» + «pou» + «ralé», signifiant: «s’il faut tirer dessus»).

Quand à l’expression «c’est chouette!», plusieurs propositions étaient possibles, mais toutes n’étant pas des locutions enfantines, il a été préféré «Lé korèk!» pour l’éclat et l’émerveillement suscités.

D’autres expressions ont été un peu modifiées en passant au créole.

Ainsi, «les Invincibles» deviennent «bann Kador», le «Kador» étant un homme sans peur, qui affronte avec courage et détermination l’adversité. L’esprit est donc respecté.

«Courage Indomptable» a été traduit par: «Tansion pangar» («Prends garde à nous»), à relier aux «Kador» sans peur.

L’expression «Am Stram Gram…» ne pouvait être remplacée que par «Plouf! Inétikèt kari kanèt trik!» qui a absolument le même sens.

La tentation était forte d’utiliser des surnoms dont les réunionnais sont friands (comme «Ti Kok», «Gran Pate», «Zaran»,…). Ils auraient été hors propos.

Les détracteurs de l’utilisation du créole comme outil pédagogique invoquent souvent une pauvreté orthographique, entre autre dûe à l’insularité, même si la langue sait, comme d’autres, emprunter ce qui lui est nécessaire, surtout à l’ère du numérique et du web planétaire.

Le créole sait aussi s’inventer de nouveaux mots. Ainsi, «Fénéssans» en est un, proposé il y a quelques années par
F. Saint-Omer et plusieurs fois repris ensuite. Il signifie: «donner naissance». Le traducteur l’a utilisé dans ce livre et c’est, par ailleurs, le titre d’une pièce historique alliant musique, théâtre et danse écrite par lui.

Le créole, c’est aussi l’utilisation d’images et lorsqu’un mot, une expression, un nom en révèlent, le plaisir grandit à la lecture: le «Bouyon Larson» est une sauce à base de lentilles, piment et tamarin, servie avec les plats indiens lors des cérémonies, le «Koudsèk» était le petit rhum matinal des ouvriers de chantier ou des coupeurs de cannes pour affronter leur dur labeur.

Alors, le créole, langue des pauvres qui s’est acquise une émancipation ou bien patois réservé au papotage logorrhéique et à l’humour?

Quid de la graphie utilisée?

Depuis les premiers textes connus en créole («Fables créoles dédiées aux dames de l’île Bourbon» de Louis Héry en 1828), de multiples productions ont vu le jour: nouvelles, romans, dictionnaires, bandes dessinées, un catalogue discographique impressionnant pour une si petite ile, etc. autant de signes incompressibles d’une forte volonté d’expression. Une politique culturelle très orientée production locale fait aussi la part belle aux chanteurs et humoristes créolophones, qui s’évertuent à toujours plus de création, avec une qualité certes aléatoire. Il est à noter que des chantres de la musique, auteurs à textes, sont connus et reconnus hors de la Réunion (à l’exemple de Danyèl Waro, Davy Sicard et Ziskakan).

Le créole a fait son entrée à l’école, avec l’enseignement des Langues et Cultures Régionales (2001) et la création des classes bilingues (2003). Ce second dispositif, dont l’efficacité est bien réelle, peine cependant à se généraliser, en grande partie à cause d’un manque de reconnaissance.

Jusqu’en 1977, la graphie étymologique (largement empruntée au français) était la seule et incontournable option pour écrire en créole. A cette date, un collectif d’intellectuels et de militants culturels se réunit et propose une graphie phonologique, édictée par le besoin pressenti de se démarquer de la langue française jugée trop proche et source de confusion. Très décriée, cette graphie est pourtant toujours très utilisée et a été revue et modifiée en 1983, avec ajout des fameuses lettres «k, w, z».

En 2001, la graphie Tangol apporte des nuances aux sons et propose de différencier plusieurs prononciations d’un même mot, variances connues d’après l’implantation géographique ou même de l’origine ethnique du locuteur. Une tentative qui rapproche aussi certains mots à leur graphie française lorsqu’il n’y a pas d’équivoque. La jubilation des écrivains et traducteurs qui se l’approprient est de courte durée, car les lecteurs n’en veulent pas: «trop compliquée!».

En 2014, aucune des quatre graphies n’est officielle. Le CCEE (Le Conseil de la Culture, de l’Éducation et de l’Environnement) s’est donnée, il y a quelques mois, comme mission d’entendre toutes les parties et de proposer un consensus. Cette ultime initiative sera-t-elle la bonne, surtout lorsque l’on sait que Maurice, l’île voisine, a adopté une graphie officielle et consensuelle, appelée «grafi larmoni» en 2005, rattrapant d’un seul coup son retard en la matière? Rien n’est moins sûr, car une stérile polémique ralentit considérablement la progression vers ce consensus, opposant les adeptes de l’étymologie à ceux de la phonologie, dans une guerre fratricide par médias interposés.

Chacun campant sur ses positions, ce conflit devrait encore perdurer. Aucune des graphies actuelles ne satisfaisant totalement le lecteur, la graphie 77 a été ici le recours essentiel, avec quelques petites concessions. Le parti a été pris pour le traducteur de rendre aisée la lecture, en empruntant au français des graphèmes complexes déjà assimilés (en écrivant «shien» au lieu de «shyin», «guitar» au lieu de «gitar»), avec un résultat très accessible pour un lecteur habitué et pas trop ardu pour le néophyte.
Ce choix est personnel au traducteur et se situe volontairement en dehors de toute polémique et après avoir testé toutes les graphies.

Cette préférence tient essentiellement dans la nécessité d’éviter au lecteur les pièges de la confusion sémantique et autres faux-amis, les dangers de l’interlecte, chez nos plus jeunes en particulier. Ce n’est pas le meilleur choix, mais le moins mauvais et il est sans doute discutable; c’est cependant celui de l’ensemble des traducteurs réunionnais.

Évidemment, toute cette controverse ne peut qu’embrouiller le réunionnais qui, bien que locuteur créole est encore trop peu lecteur en créole, malgré le foisonnement de productions. Car, même si les shows humoristiques, les émissions radiophoniques ou télévisées en créole (et maintenant les vidéos des réseaux sociaux) jouissent d’une très forte popularité tout public qui ne faiblit pas depuis une vingtaine d’années, l’écriture fait un peu figure de parent pauvre. C’est un état de fait que tous espèrent voir changer, quitte à faire des concessions de part et d’autre et dépasser ces positions belliqueuses préjudiciables.

Les amoureux de la langue sont nombreux et le nombre de lecteurs croit progressivement, en dehors de toutes querelles. C’est un gage de sérénité qui encourage à continuer dans les voies empruntées.

En tout état de cause, le Ti Nikola créolophone est bien loin de ces conflits, si occupé qu’il est à régler ses soucis du quotidien. Et même si d’aventure le néophyte trouve sa lecture du créole un peu laborieuse, sa détermination sera récompensée par le plaisir qu’elle lui procurera, sans doute autant qu’au traducteur!

boule

 Viré monté