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Simone Schwarz-Bart dans la poétique
du réel merveilleux.

Essai sur l’imaginaire antillais

par Mariella AITA

Note de lecture

par Kathleen Gyssels

 

 

 


Simone Schwarz-Bart dans la poétique du réel merveilleux.
Essai sur l'imaginaire antillais
, Mariella Aïta  • L’Harmattan • 2008
Coll. “Critiques littéraires” • ISBN 9-782296 070059 • 26,50 €

Simone Schwarz-Bart dans la poétique du réel merveilleux. Essai sur l’imaginaire antillais

Dans son essai révélateur Simone Schwarz-Bart et dans la poétique du réel merveilleux, Mariella Aïta retravaille la thèse soutenue à l’Université de Besançon1 en juin 2006.  Elle distingue d’abord rigoureusement le réel magique, le réel merveilleux et le réalisme magique (taxinomie déjà analysée par Scheel).

Elle survole les grands “confrères” de l’écriture réaliste merveilleuse que sont Miguel Angel Asturias (réalisme magique), Luis Borgès et évidemment Alejo Carpentier avec le réel merveilleux, et ses imitateurs caribéens comme Jacques-Stephen Alexis (réalisme merveilleux).  Étonnamment Garcia Marquez ne figure pas dans ce panorama de prestigieux prédécesseurs. Leçon qu’on tire aussi de ce chapitre initial est donc que la Guadeloupéenne serait non seulement la première mais aussi la seule femme à s’être fait siennes ces modalités d’écriture que requiert donc une poétique du réel merveilleux.

Si, comme son titre l’annonce, Mariella Aïta promet d’étudier la poétique du réel merveilleux, elle fait beaucoup plus: son travail comprend deux études en effet indissociables pour la compréhension du réel merveilleux. Il y a d’abord la structure narrative, le style schwarzbartien et la visée que j’appellerais encyclopédique. A vrai dire, Aïta réussit davantage la démonstration du réel merveilleux dans ses aspects sémantico-stylistiques (et thématiques). Un chapitre s’intitule “De l’oralité à l’écriture”, un autre “La présence du créole dans la structure du langage narratif”, c’est-à-dire que la poétique du réel merveilleux repose sur deux composantes principales: la langue et le style, comme l’avait démontré avant elle Alhassane Cissé (dans une excellente thèse impubliée, en 1985), et d’autre part, la composante proprement “anthropologique” que Fanta Toureh2 et Monique Bouchard3 avaient étudiée de plus près. Avec beaucoup d’exemples, les aspects (tels que la proverbialité et les répétitions, les nombreuses transpositions de contes, l’onomastique, et l’arbre généalogique) qui tous convergent vers une poétique du réel merveilleux qui permet ainsi d’unir (c’est le titre du chapitre II.3) le projet idéologique et stylistique sont ici décrits.
 
La poétique du réel merveilleux sur le style qui sous entend une écriture réaliste merveilleuse.  Elle documente son essai par la dimension proprement ethnologique des deux romans de Simone Schwarz Bart (on aimerait savoir pourquoi elle s’arrête aux romans et exclut à la fois la pièce de théâtre et les romans d’André Schwarz-Bart). Aïta a d’ailleurs interviewé l’auteure Simone Schwarz-Bart et souligne, page 134, que “Simone et André Schwarz Bart vont faire partie de l’avant-garde de la nouvelle tendance de la littérature” (Aïssa 2008: 134). On se demande alors pourquoi avoir exclu les romans de l’époux?

Autre problème, l’entretien qu’elle eut avec l’auteure donne une définition de l’identité antillaise qui correspond tout à fait à l’identité rhizomatique telle que la conçoit dans ses différents essais Edouard Glissant:

La question qui se posait était: avons-nous une identité?  Et il fallait répondre (...) On est des mutants, notre réalité est une réalité inachevée, c’est une garantie, une richesse, toujours en quête, à la recherche. (Schwarz-Bart à Aïta, citée p 134).

N’aurait-il pas été indiqué de situer la “poétique du réel merveilleux” davantage dans cette “théorie glissantienne”, voire dans ses “dérivés (celle de la créolité). Car l’auteure n’y prend qu’une place pour le moins ‘problématique’?  N’est-ce pas aussi le devoir de la critique de s’interroger sur la réception et la place qu’accordent les “facteurs” du système littéraire antillais sur une auteure aussi incontournable dont la discrétion arrange certains? Si Aïta a tout à fait raison de nous éclairer sur la “mésentente biographique” (p 77) et sur “les critiques métropolitaine et antillaise” (p 71), n’aurait-il pas davantage fallu s’arrêter à la postérité (soit à un grand silence et donc un vide qu’il faudrait aussi questionner, par rapport à la réception mitigée sous les plumes martiniquaises?

Autre mérite de l’ouvrage, son abondante bibliographie: Mariella Aïta a lu toutes les thèses et la plupart des articles (incluant ceux en anglais, et les rares articles en espagnol, par Helmtrud Rumph4, entre autres) sur l’entreprise romanesque de Simone Schwarz-Bart.  L’étude vient agréablement augmenter la bibliographie secondaire sur l’ouvrage romanesque des Schwarz-Bart et la lecture émerveille”.  Non seulement elle est très bien documentée, mais elle est pourvue d’annexes qui prouvent la passion de chercheure qui a été directement discuter avec Simone Schwarz-Bart de son travail d’écriture. L’Annexe comprend deux entretiens d’autant plus appréciés que l’on connaît la rareté de ces péritextes.

Néanmoins, je signalerais ici deux défauts minimes. D’une part, Aïta a du mal avec la structure qui reprend à plusieurs reprises des questions de la langue, de l’oraliture, du style. Ceci finalement va avoir plus de place que l’étude de ce que promet sa Quatrième de couverture, à savoir:

(...) L’accord entre ses œuvres et cette notion élusive qui surgit de l’intuition spontanée de la réalité américaine. Cette intuition crée une sensation du merveilleux en dévoilant ce qui est inattendu, inhabituel, surréel, insolite, magique et qui caractérise la nature, la vie sociale et la pensée américaines (Quatrième de couverture, italique par Aïta)

D’abord Schwarz-Bart s’étonnera d’être présentée comme une Américaine (soit de l’Amérique latine ou encore de cette Caraïbe étendue qu’est la Colombie d’où est originaire Garcia Marquez) quelqu’un qui travaille de manière intuitive, et si son refus de se faire appeler une “intellectuelle” confirme cette approche intuitive, l’écriture n’est pas générée pour autant tout spontanément: il faut des révisions et des reprises importantes avant de terminer ces deux romans et la these selon laquelle tout surgit par l’intuition spontanée devrait au moins être remise en cause, si ce n’est nuancée.

Ensuite et étrangement, l’auteure signale des conférences de Carpentier à l’Université d’Anvers en 1977: page 22 et page 160. Ce qui est non seulement impossible parce que l’auteur cubain n’a jamais visité mon université, de surcroît trois ans avant sa mort, mais encore que cette référence ne figure pas dans sa bibliographie en fin de volume. De plus, la déclaration qu’aurait donc faite Alejo Carpentier dans son entreprise qui consiste à lier les réalités politico-idéologiques et la vie réelle caribéenne vient contredire l’approche spontanée et l’intuition que Mariella Aïta, tout au long de son étude, croit être la force de l’écriture schwarz-bartienne.

Notes

  1. Celle-ci comptait 417 pages, alors que l’essai en compte 264 (sans la bibliographie et suggère donc un remaniement important). La these est disponible en ligne: http://artur.univ-fcomte.fr/SLHS/LLF/these/_142788_4_html.pdf.
     
  2. Toureh, Fanta. L'Imaginaire dans l'œuvre de Simone Schwarz-Bart. Approche d'une mythologie antillaise. Paris:  L'Harmattan, 1987.
     
  3. Bouchard, Monique. Une lecture de "Pluie et vent sur Télumée Miracle" de Simone Schwarz-Bart. Fort-de-France/Paris: Presses U. Créoles/L'Harmattan, 1990
     
  4. Rumph, Helmtrud. «La Busqueda de la identidad cultural en Guadeloupe. Las novelas Pluie et Vent sur Télumée Miracle y Ti Jean L'horizon de Simone Schwarz-Bart». Revista de Critica Literaria Latinoamericana 15.30 (1989): 231-248.

 Viré monté