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L’Agenda 2008 : les libérateurs

Pour son édition 2008, l’agenda du «Monde diplomatique» a choisi comme fil conducteur les libérateurs et acteurs des luttes politiques et sociales qui ont façonné l’histoire de l’Amérique latine et des Caraïbes. Une histoire qui, aujourd’hui, avec les processus de transformation sociale en cours dans plusieurs pays, a un impact sur le débat public dans d’autres régions du monde et notamment en Europe.

Chaque semaine un texte écrit par (ou portant sur) une des quelque 50 figures historiques retenues.

2008 agenda

De Simon Bolivar à Che Guevara, de José Marti à César Augusto Sandino, de Bernardo O’Higgins à Salvador Allende, de Toussaint Louverture à Emiliano Zapata....

Des textes d’une actualité intacte pour tous les mouvements d’émancipation de la planète !

Nous vous proposons de découvrir ci-dessous le texte d'Ignacio Ramonet, directeur du Monde diplomatique, qui préface l'agenda 2008.

Libertadors

Dans un dyptique sublime, composé de deux des plus célèbres toiles de la peinture romantique espagnole - le Dos de Mayo 1808 et le Tres de Mayo 1808 -, Goya rend un puissant hommage à la révolte patriotique des Madrilènes, et à l'amour universel de la liberté. Tragiques, immenses et ténébreux, ces tableaux illustrent aussi le début de la longue et cruelle guerre d'indépendance des Espagnols contre les forces d'occupation de Napoléon.

C'était donc il y a deux siècles exactement. Et, par ricochet, cette guerre d'indépendance (1808-1812) allait favoriser le déclenchement des luttes de libération en Amérique latine. Car, en occupant l'Espagne, en renversant le roi Charles IV, en confinant la famille royale à Bayonne, et en plaçant sur le trône son frère José, Napoléon isole ce pays de ses colonies américaines que Madrid administre depuis trois siècles.

Or cette rupture des liens administratifs va encourager, dans une Amérique espagnole désormais livrée à elle-même, la formation de juntes patriotiques qui refusent de reconnaître les nouvelles autorités d'occupation à Madrid. Ce faisant, elles imitent, dans un premier temps, ce qui s'estgénéralisé dans l'ensemble des provinces espagnoles où fleurissent des juntes qui, avec l'aide intéressée des Anglais (Wellington lui-même combat en Espagne), organisent la dévastatrice guerre de guérillas contre les troupes napoléoniennes.

En Amérique, ces juntes, qui assument la charge de gouverner des territoires immensément riches et parfois vastes comme dix fois la métropole, vont bientôt s'interroger sur leur dépendance coloniale à l'égard de l'Espagne. D'autant que, depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle, les esprits s'agitent dans un monde bouleversé par le progrès des techniques, les idées des Lumières, l'expansion de la franc-maçonnerie et le démarrage de la révolution industrielle. Des esprits fascinés aussi par l'exemple des colonies britanniques d'Amérique du Nord qui ont proclamé leur indépendance dès 1776, et ont défait, sous la conduite de George Washington, la puissante Angleterre pour fonder la première démocratie moderne, sans couronne, ni trône, ni roi. et Rochambeau, pour aider les insurgés américains, l'Espagne de Charles III envoie, en soutien des forces de Washington, une expédition militaire commandée par Bernardo de Gálvez dont l'un des principaux officiers n'est autre que le Vénézuélien Francisco de Miranda.

La vie de Miranda, surnommé le «Précurseur», est l'une des plus passionnantes de son temps. Sa fabuleuse destinée le conduira à participer aux trois plus grands événements politiques de l'époque: la guerre d'indépendance des Etats-Unis, la Révolution française, et les guerres d'indépendance de l'Amérique latine.

Après avoir personnellement connu George Washington et s'être imprégné de la philosophie éclairée des Pères de l'indépendance nord-américaine, Miranda, profondément attaché à l'idéal républicain, arrive à Paris en mai 1789, à la veille de la Révolution dans laquelle il se jette à corps perdu. Aux côtés de Dumouriez et de Kellermann, il contribue comme officier, et de manière décisive, à la victoire de Valmy (1792). Napoléon le nomme maréchal de France.

Fort de ces exceptionnelles expériences, Miranda pense alors à libérer l'Amérique du Sud. Déjà, grâce au génie de Toussaint Louverture et de Jean-Jacques Dessalines, Haïti a conquis son indépendance en 1804. Dès 1806, Miranda tente de débarquer au Venezuela pour amorcer sa libération. Il échoue. Mais la semence de la liberté est plantée. Et quand l'Espagne se retrouvera occupée par Napoléon et coupée de ses colonies, les juntes qui se constituent en Amérique du Sud, en principe par loyauté à Madrid, vont être parfois composées de chauds partisans de l'indépendance.

Au Venezuela, Simon Bolivar est précisément l'un d'eux. Dès 1805, sur le Monte Sacro de Rome, ce patriote avait solennellement juré de lutter pour l'émancipation sud-américaine. Jeune officier, il a lui aussi vécu dans le Paris révolutionnaire, et même assisté, en la cathédrale Notre-Dame, au couronnement de Napoléon 1er. Revenu en Amérique, il fait partie de la junte de Caracas qui, dès 1810, est la première des colonies espagnoles à réclamer l'indépendance.

Cette année est d'ailleurs celle de l'insurrection générale. Au Mexique, le curé Hidalgo, sur le parvis de son église de Dolorès, lance le cri - «Vive l'indépendance!» - qui va soulever toute l'Amérique espagnole. Plus rien ne freine le mouvement libérateur lancé par Bolivar. Des juntes révolutionnaires se constituent à Buenos Aires et à Lima, tandis que des soulèvements populaires se multiplient en Equateur, au Chili, au Paraguay, et en Uruguay.

Nourris de l'esprit de 1789, des géants de la liberté comme José de San Martin en Argentine, Bernardo O'Higgins au Chili, et José Artigas en Uruguay achèvent au sud ce que Simon Bolivar et Antonio José de Sucre ont commencé au nord.

En 1830, toutes les colonies espagnoles, à l'exception de Cuba et Porto-Rico, sont libérées.

Libérées de l'Espagne, mais pas des oligarchies créoles locales qui vont très vite, par crainte de leurs populations métissées d'indigènes et de Noirs, brader les richesses de leurs pays aux puissances du moment: la Grande-Bretagne au XIXe siècle, les Etats-Unis au XXe. Une seconde libération sera donc nécessaire qu'entreprennent, dès 1910, au Mexique, Pancho Villa et Emiliano Zapata à la tête de la révolution des pauvres. Et que vont poursuivre, entre autres, au Nicaragua, Augusto Cesar Sandino, le «général des hommes libres, et Luiz Carlos Prestes, le «chevalier de l'espérance», au Brésil.

Viendront ensuite, dans cette même lignée politique:

M. Fidel Castro à Cuba, Che Guevara en Bolivie, Omar Torrijos au Panama, le général Velasco Alvarado au Pérou, le prêtre guérilléro Camilo Torres en Colombie, Raul Sendic et les Tupamaros en Uruguay, Salvador Allende au Chili, et les Sandinistes au Nicaragua.

Dans les années 1990, la flamme des Libertadors est, une fois encore, reprise par le sous-commandant Marcos, au Chiapas, et par le président Hugo Chávez, au Venezuela, qui revendique une filiation directe avec Bolivar. Imprégnés de ce nouvel esprit, d'autres dirigeants, démocratiquement élus, se joignent à cet élan: M. Nestor Kirchner en Argentine, M. Luiz Inacio Lula da Silva au Brésil, M. Tabaré Vazquez en Uruguay, M. Martín Torrijos au Panama, M. René Préval en Haïti, Mme Michelle Bachelet au Chili, M. Daniel Ortega au Nicaragua et M. Rafael Correa en Equateur.

Alors qu'approchent les célébrations du bicentenaire de l'émancipation de l'Amérique latine, cette nouvelle génération de femmes et d'hommes politiques proclame sa volonté de poursuivre l'œuvre, toujours inachevée, des Libertadors.

Ignacio RAMONET.

 

Pour commander en ligne l'agenda 2008 du Monde diplomatique:

http://www.monde-diplomatique.fr/livre/agenda/

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