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La chronique littéraire de Jean Bernabé

Autour de Fanon

6. Brève esquisse de l’identitarisme et de son rejeton, le communautarisme.

Jean Bernabé

27.02.2012

Intellectuel radical, Fanon est soucieux d’une perpétuelle remise en cause. C’est par la dynamique de sa pensée que j’ai essayé de me laisser porter dans la confection de cette chronique. Cela dit, la remise en cause ne doit pas être un simple jeu, un exercice convenu, mais l’expression d’une exigence à laquelle nul ne devrait se dérober, même si le fruit des réflexions engagées doit en heurter plus d’un. Je ne crois pas devoir échapper à ce destin, considération qui est pour le moins excitante.

L’esprit communautaire est une valeur positive en raison de la solidarité qu’il génère dans un groupe. En revanche, le communautarisme, rejeton de l’identitarisme, constitue une dangereuse dérive en ce qu’il produit une fermeture à l’Autre, au motif que dernier n’est pas de la même communauté. Par quel mécanisme l’ouverture à l’Autre au sein d’un même groupe peut-il donc, dans les relations d’un groupe humain à un autre, se muer en son contraire, à savoir le rejet, voire la stigmatisation ? Il m’est avis que la réponse à cette question réside dans une opération pernicieuse de transfert qui a consisté à projeter sur les groupes la notion d’identité, alors que cette dernière concerne exclusivement l’individu.

Retour sur les notions d’identité et de personnalité

Identité et personnalité relèvent de deux sphères différentes. L’identité concerne un individu donné à l’exclusion des autres, fussent-ils jumeaux ou clones. Elle est ineffable (indicible), incommensurable (non mesurable), irréductible, spécifique, incomparable et par conséquent close. La personnalité, au contraire, a des contenus concrets, dans leurs dimensions tant intellectuelles qu’émotionnelles et physiques. Un transsexuel, devenu homme ou femme, n’a pas changé d’identité fondamentale, même si la conscience de son identité peut se trouver obscurcie ou obérée à travers une modification de sa personnalité, affectée par cette opération. Cette dernière peut d’ailleurs s’accompagner d’une nouvelle identité purement instrumentale, inscrite dans sa carte d’identité. En effet, sur ses papiers d’identité il apparaîtra comme masculin ou féminin, à l’inverse de la précédente caractérisation. Il est donc clair que l’identité n’est pas susceptible de plus ou de moins. À l’inverse, la personnalité, qui, relèvant du concret, est sujette à toutes les évolutions et modifications d’ordre biologique et social. Elle peut être riche ou pauvre, sévère ou chatoyante, étroite ou vaste.

Redisons-le, l’identité, propre à chaque individu,  se caractérise par deux traits: la spécificité et l’invariabilité. Par contre, la personnalité se caractérise par la spécificité sans l’invariabilité. La personnalité est évolutive. Bref, elle est plastique.

Un rappel étymologique pas inutile

J’ai précédemment rappelé l’origine du terme «persona», remontant au latin et désignant le masque que les comédiens antiques se mettaient sur le visage. Ce masque muni, au niveau de la bouche, d’un dispositif évasé, servait d’amplificateur à la voix, aux sons (latin: «sona») qui le traversaient (latin: «per»), pour atteindre le public et être en contact avec lui. Le masque dit «persona», comme le micro moderne, est un instrument de contact, d’échange, de dialogue, bref, une réalité inscrite dans l’existence concrète de la communauté formée par les acteurs et leur public. On ne s’étonnera pas qu’à partir de ce mot, l’évolution historique ait abouti aux différents mots qui en français sont : personnage, personne, personnel, personnalité, personnification etc.

Un transfert néfaste: la notion d’identité, réalité individuelle appliquée  aux groupes

La conscience a une capacité tout à fait remarquable qui consiste à relier la conscience de soi comme étant soi et pas un autre (source constitutive de l’identité) et la conscience du monde et de soi dans le monde (conscience à travers laquelle se forge la personnalité). L’identité, en tant que fruit de la conscience ne peut émaner en chaque individu que parce que ce dernier est muni d’un organe anatomique, le cerveau. Dès lors, attribuer une identité à une communauté, c’est lui attribuer une conscience, donc un super-cerveau. Ressortissant à une véritable métaphore poétique, un tel transfert est contraire à la réalité des choses et nous situe dans un imaginaire générateur d’une idéologie néfaste.

L’être humain, malgré l’irréductibilité de son identité, qui ne peut être qu’individuelle, n’est pas pour autant enfermé en lui-même, sauf cas pathologique. En effet, autant, redisons-le, la conscience individuelle est capable de gérer la clôture identitaire et l’ouverture personnalitaire, autant l’absence de conscience collective, conséquence de l’absence d’un cerveau collectif ne peut empêcher les dégâts de la clôture identitaire, quand l’identité est appliquée aux groupes.

Un transfert pertinent: la  notion de personnalité appliquée aux communautés

Contrairement au transfert de la notion d’identité de l’individu vers les peuples, celui qui consiste à appliquer aux peuples la notion de personnalité, transférée à la communauté à partir des individus, en raison de sa pertinence,  n’est pas en soi cause de dérive. Pourquoi? Parce que, si l’identité est clôture, la personnalité est ouverture, une ouverture opérant, il faut le préciser, à des degrés divers. Il est heureux que les peuples ne soient pas des instances fermées, même s’il est courant de rencontrer des idéologies de la fermeture que sont précisément les idéologies identitaristes et communautaristes.

Si les groupes humains étaient pourvus d’une identité, jamais, par exemple, une personne d’une communauté donnée ne pourrait choisir et réussir de devenir partie prenante d’une autre communauté. Personnellement, j’ai un excellent ami martiniquais qui, ayant épousé une guadeloupéenne, a complètement épousé son pays, dans toutes ses dimensions les plus subtiles. Il l’a fait librement. Loin d’avoir vu s’obscurcir, voire s’anéantir son identité, en devenant guadeloupéen, il a enrichi sa personnalité martiniquaise initiale.

Nul doute que la xénophobie, fille du communautarisme et petite-fille de l’identitarisme, ne trouve en partie ses racines dans cette conception erronée et, partant, dangereuse, selon laquelle l’identité est transférable de l’individu aux nations. Cela dit, une telle conception a des origines idéologiques relevant notamment des sphères religieuses et politiques.

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7. Sur les racines religieuses et politiques de l’identitarisme.

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