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La chronique littéraire de Jean Bernabé

Autour de Fanon

5. La démarche "Cartes d'identité" du Mouvement International pour la Réparation (Martinique, Guadeloupe, Guyane)

Jean Bernabé

26.02.2012

Il existe assurément une nation martiniquaise,  même si cette dernière souffre encore de ce que les Martiniquais, dans leur ensemble, n’en ont pas une conscience  assez aiguisée et ce, malgré le combat de Frantz Fanon et de ses successeurs. Cette situation tient essentiellement au fait que la Martinique est une nation sans Etat et, par voie de conséquence, sans nationalité.

Dans un esprit très fanonien et dans le cadre de la démarche internationale "Cartes d'identité", il a été décidé de mettre en œuvre dans nos pays, une pédagogie, que, personnellement, je trouve novatrice, pour amener ces derniers à une prise de conscience collective de la nation, dans sa déclinaison spécifique martiniquaise, guadeloupéenne ou guyanaise. Cette conscience collective ne peut résulter que de la convergence et non pas de l’addition arithmétique des consciences individuelles. C’est précisément le rôle et la mission de la politique que de trouver les voies et moyens conduisant à cette indispensable convergence, seul moyen d’un véritable changement. Au-delà de sa fonction pédagogique, la distribution de cartes d’identité revêt aussi une valeur symbolique qui présente l’avantage de viser à reconfigurer l’imaginaire antillais dans le sens d’une responsabilisation. Leur recours à l’identité instrumentale pour ancrer les peuples dans leur authenticité est bienvenu, car il présente un réel intérêt. Après tout, n’est-ce pas là, le fondement du projet indépendantiste?

Soyons logiques !

Si les peuples avaient une identité découlant d'une conscience fonctionnant comme le fait la conscience des individus, ce n'est pas une partie de la population martiniquaise (un petit nombre de consciences individuelles) mais l'ensemble de cette population, qui aurait accédé à la conscience de la nation martiniquaise. C'est bien la preuve que la convergence des consciences n'a pas (encore) été réalisée sur ce sujet. Tout cela étant dit, c’est, paradoxalement, au non d’un mimétisme assimilateur que la plupart des intellectuels de nos pays se montrent choqués par mon opposition à la notion abstraite d’identité des peuples, que je remplace, par celle plus concrète et pertinente de personnalité. Cela étant dit, il est des personnalités de toutes sortes: des sévères et de chatoyantes, d'ouvertes et de fermées. Ces intellectuels préfèrent continuer à penser le Monde à travers les catégories et concepts de la modernité occidentale, qui, la plupart du temps, remontent  à une histoire archaïque de l'humanité.

Eviter toute démobilisation…

Dans un pays où la grande masse peut apparaître comme encore engluée dans une situation que Fanon, dans la lignée de Césaire, qualifie d’aliénée au plan politique et culturel, il est certain que rien ne doit freiner le processus de désaliénation. Il est donc important de ne pas brouiller les repères. Je reconnais volontiers la nécessité d’établir des priorités dans la lutte anticoloniale pour la libération de l’Homme et, singulièrement, des Martiniquais. J’en conviens d’ailleurs aisément, ma remise en cause du concept d’identité des peuples peut être démobilisatrice, parce que pouvant être interprétée, dans notre contexte néo-colonial, comme un retour déguisé, subreptice et rampant vers l’assimilation, dont les effets sont d’ailleurs encore loin de nous avoir quittés. Le Monde est n’est pas simple!…

C’est vrai: ici, de particulières précautions pédagogiques s’imposent afin que soient évités des dérapages idéologiques toujours possibles. Nul doute, en effet, que la pédagogie ne concerne la réalité présente avec nécessité de s’adapter en priorité à l’état actuel du public auquel elle s’adresse. Oui, un pas après l’autre… et c’est un pas de gagné!

mais ne pas insulter l’avenir

Quidonc, ami lecteur d’Antilla, qui m’aurez fait l’honneur de me lire, n’allez pas proclamer tous azimuts  que continuer à promouvoir la notion d’identité martiniquaise est une grave erreur, capable de produire dans une Martinique indépendante, des postures politiques identiques à celles d’une Marine Le Pen ou d’un Besson, zélateurs d’une identité française, tout comme l’était Maurras, le fondateur, en plein cœur de l’Affaire Dreyfus, du mouvement droitier et réactionnaire de l’Action Française. Que ce débat reste pour le moment dans un cercle restreint d’adeptes (je n’en connais guère!) et de contestataires de mon propos, ces derniers fussent-ils d’un esprit ouvert, comme je le souhaite, ou obtus, comme je le crains fort! Par ailleurs, je comprends bien que ceux qui, à la Bourse-des-idées-toutes-faites, spéculent sur le titre «identité», puissent craindre que ma position n’en entraîne la décote. Personne n’accepte de bon gré la perspective de la ruine (y compris idéologique) pour lui et les siens! Mais qu’on se le dise chacun: dans cette époque critique dont l’issue est imprévisible, aucune révolution des esprits et de la société ne peut vraiment réussir si elle ne s’accompagne d’une réflexion animée de l’éthique dont Fanon nous a laissé l’exemple: pour chaque génération, inscrire une part de futur dans le présent, sans nullement récuser les pressantes interpellations de ce dernier.

Nous ne devons donc pas oublier que la «parole-torche» de Fanon dispose d’un faisceau qui balaye aussi l’avenir proche et plus lointain. Gardons-nous aussi de rayer de nos mémoires l’ultime prière de Peau noire, masques blancs: «O mon corps, fais de moi toujours un homme qui interroge!».

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6. Brève esquisse de l’identitarisme et de son rejeton, le communautarisme.

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