Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

La chronique littéraire de Jean Bernabé

Autour de Fanon

4. Identité et carte d’identité

Jean Bernabé

23.02.2012

L’identité est incommensurable (non mesurable). Elle caractérise chaque être humain, dans sa singularité. Elle est ce qui fait qu’il est lui et pas un autre. Il s’agit là de l’identité fondamentale, qui est le propre de chaque homme. Soyons attentifs à la dynamique fanonienne, pour aborder cette question, sans pour autant imaginer être fidèle à sa pensée, laquelle n’invite à aucune féodalité.

L’identité fondamentale est inscrite dans la continuité psychique, mais elle peut s’accompagner socialement d’une identité purement instrumentale. Cette dernière est, au contraire de la première, mesurable, définissable par des caractéristiques parfaitement discernables, parce que discontinues. Nous sommes alors dans la logique des fiches dites anthropométriques, lesquelles servent de base à l’élaboration des cartes d’identité avec pour composante des données telles que : date et lieu de naissance, taille, couleur des yeux, empreintes digitales, signature, et autres données biométriques, etc., le tout agrémenté d’une photo).

Une instrumentalisation réductrice

L’identité instrumentale fournie par les cartes d’identité et autres passeports concerne aussi bien les humains que les animaux (chats ou chiens fichés par les vétérinaires) ou encore les objets (cartes grises des véhicules). Elle correspond donc à un travestissement réducteur de la notion d’identité. Si, du point de vue de l’identité fondamentale, il y a des aliénés qui ont une personnalité telle qu’ils se prennent pour Napoléon, du point de vue de l’identité instrumentale, il y a aussi des escrocs qui, après avoir volé la carte d’identité d’un tiers, se font passer pour lui, afin, par exemple, de le dépouiller de ses biens. Il n’en reste pas moins vrai que dans aucun de ces deux cas les identités fondamentales ne se sont réellement confondues. Impossibilité radicale, d’ailleurs, vu le caractère spécifique de toute identité, refermée sur l’individu qu’elle concerne. Redisons-le : la notion d’identité close est une redondance et celle d’identité ouverte, une aberration, parce que toute identité fondamentale est close, par nature et par définition. Elle comporte, répétons-le, deux caractéristiques: la spécificité et l’invariabilité. Il ne saurait donc n’exister  d’identité plurielle.

Le passage de la fermeture à l’ouverture

La conscience est ce mécanisme remarquable qui parvient à gérer à la fois la clôture et l’ouverture de l’être humain, c'est-à-dire à établir une passerelle entre identité et personnalité. Et cette gestion n’est possible que parce que les individus ont un cerveau. Les cas pathologiques comme, par exemple, la schizophrénie renvoient à un dédoublement non pas de l’identité, mais de la personnalité. Autrement dit, différents maux d’ordre biologique ou social peuvent affecter la personnalité. Cela dit, s’ils peuvent avoir comme effet d’obscurcir (jusqu’à son anéantissement subjectif) la conscience que le sujet à d’être lui et pas un autre, en revanche, ils ne sauraient modifier l’identité, qui est par définition non modifiable, puisqu’elle opère dans le même et le spécifique. Autrement dit, ce n’est pas parce que Pierre se prend pour Paul qu’il est Paul.

Nationalisme et internationalisme

Un peuple n’est pas muni d’un «Grand cerveau» qui serait l’addition des cerveaux individuels ou qui se mettraient naturellement et spontanément en réseau comme des ordinateurs. Le rôle de la politique consiste, en sa version noble, est de travailler à la convergence des consciences, car, malheureusement, le Saint-Esprit ne les relie pas ces consciences les unes aux autres, comme le suggère le concept chrétien de la «communion des Saints».

On l’aura compris, le rejet, à travers ma présente démarche, de la notion d’identité appliquée aux peuples débouche sur un refus de l’identitarisme qui en découle tout naturellement. S’il s’avère pernicieux de projeter la notion d’identité sur les peuples, en revanche, cette opération appliquée à la personnalité me semble appropriée. Personne, ni vous, lecteur, ni moi, n’arrivera jamais à saturer le concept d’identité, parce qu’il met en œuvre une démarche spéculative débouchant sur une impasse, car je suis incapable de définir une identité martiniquaise, guadeloupéenne. Il existe, par contre, une personnalité martiniquaise que je vis et qui n’est pas objet de spéculation. Je la vis comme différente de la personnalité guadeloupéenne, même si elles comportent toutes deux des composantes proches. Car les personnalités nationales peuvent ou non comporter des affinités. La mise en compatibilité des nations n’est pas donnée, c’est le résultat d’un long et patient effort politique de type internationaliste. Le vrai nationalisme est internationaliste. Et l’internationalisme suppose, au-delà de inégalités de fait, une égalité de principe des nations!

Et les nations pluriethniques?

Le cas de la Guyane est, à cet égard, très éclairant en raison de sa diversité ethnique: longtemps, la personnalité guyanaise s’est affirmée au profit de celle des Créoles et à travers la négation des autres ethnies. Depuis quelques années, elle se reconfigure en intégrant de plus en plus la personnalité des autochtones amérindiens et autres néo-indigènes (Buschi-nengue). Je rappelle que le terme «indigène» n’est péjoratif que pour ceux qui ne le comprennent que dans son acception occidentale. Entre «autochtone» et «indigène», il y a une différence de signification qui n’est pas qu’idéologique.

Dès lors, comment pourrais-je dans le même mouvement accepter la notion d’identité appliquée au peuple auquel j’appartiens (le peuple martiniquais, en l’occurrence) et stigmatiser (ce dont je ne me prive pas!) le caractère réactionnaire et rétrograde de l’«identité  française» promotionnée par le ministre français Besson. Qu’on se rappelle comment ce dernier a tenté, en vain, de vendre sa marchandise idéologique et électoraliste droitière et ce, sous les récriminations montant de pratiquement toute la gauche française!

La Martinique est une nation, comme l’a si brillamment démontré Camille Darsières dans son remarquable essai sur «les origines de la nation martiniquaise». Nation problématique certes, mais nation tout de même! Pour la promouvoir, faut-il lui asséner des médications empoisonnées importées de la pensée qui a permis l’hégémonie prédatrice de l’Occident?


boule  boule  boule

Prochain article

Autour de Fanon

5. La démarche "Cartes d'identité"  du Mouvement International pour la Réparation (Martinique, Guadeloupe, Guyane).

boule  boule  boule

Sommaire de la chronique littéraire

boule

 Viré monté