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La chronique littéraire de Jean Bernabé Autour de Fanon 1. Une parole-torche 12.12.2011 |
La semaine dernière, à la Martinique, divers créneaux ont été consacrés au mémorial Frantz Fanon sur les ondes, sur le campus de Schoelcher, dans la commune de Rivière-Pilote, à l’Atrium et autres lieux. Un demi-siècle après sa mort, on peut déplorer que l’effort de mémoire consenti par les organisateurs de ces manifestations n’ait pas mobilisé le public auquel on pouvait s’attendre. Communication médiatique insuffisante ou manque d’intérêt pour une œuvre pourtant d’une cuisante l’actualité? Il m’est difficile d’en juger, mais il n’importe.
Il n’y a pas lieu de s’émouvoir outre mesure de l’apparent désintérêt du vaste public pour la pensée de Fanon, car tortueux sont les chemins de l’Histoire et, sans nul doute, des pollens auront été disséminés qui, emportés par des souffles aléatoires, pourront féconder la conscience martiniquaise, pour ne parler que d’elle. Car, en ces temps troublés d’une obscure mondialisation, la parole-torche de Fanon ne manquera pas d’être sollicitée par ceux qui, ne serait-ce que par instinct de conservation, souhaitent apporter plus de clarté à leur vision.
Chez cet empêcheur-de-penser-en-rond qu’est Fanon, on ne trouve ni recettes, ni consignes. Sa pensée, corporellement, intellectuellement et moralement inscrite dans le présent, n’est pas pour autant figée dans l’actualité. Elle comporte en effet une force d’anticipation à nulle autre égale qui la rend prophétique dès lors qu’elle aura été ingérée, digérée, voire – pourquoi pas? – régurgitée par celui qui la reçoit. Cet homme-là n’est pas dogmatique, même si son ton, d’un lyrisme incandescent, est déclaratif. Car, pareille modalité d’expression, on le devine, est propre aux gens qui ont la franchise et la droiture chevillées à l’âme.
Le post-colonialisme, une notion fanonienne avant la lettre
Venue des «cultural studies», mouvement intellectuel initié aux USA, la notion de post-colonialisme, de plus en plus en vogue dans les milieux universitaires français, mérite d’être brièvement expliquée: elle ne renvoie pas à une situation postérieure au colonialisme, lequel loin d’être révolu, est encore bien vivace et poursuit sa gangrène. Il faut la comprendre comme une critique de plus en plus formalisée non seulement du colonialisme, mais aussi de ses avatars, cachés sous de multiples oripeaux. Cette démarche intellectuelle a son origine dans l’œuvre de Fanon.
Pour le militant authentique, aujourd’hui éclaire demain
Fanon a courageusement combattu le colonialisme en général et la colonisation de l’Algérie, en particulier et sa trajectoire, aujourd’hui encore et pour longtemps, éclaire d’une lumière opportune les réalités postérieures à la prétendue décolonisation (qui n’est en fait, redisons-le, qu’une nouvelle modalité de la colonisation mise en œuvre par l’Occident à l’aube des temps dits modernes, inaugurés par 1492, date de la découverte de l’Amérique par les Européens). À titre d’exemple, l’évolution actuelle de l’Algérie, dont on peut penser que ses dirigeants n’ont cessé de trahir son idéal révolutionnaire, Fanon l’avait en quelque sorte déjà mise en perspective de façon très lucide à travers une analyse sans complaisance des jeux de pouvoir. Ces derniers, à travers et au-delà des relations colonisateurs-colonisés, concernent, selon lui, oppresseurs et opprimés, quelles que soient leurs appartenances ethniques. Ce point de vue, qui aurait pu freiner ses ardeurs militantes, ne l’a pas empêché de chercher à relever vaillamment le défi de sa génération. La pensée critique de Fanon n’est assurément pas l’antichambre du scepticisme, du pessimisme voire de l’immobilisme!
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