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Séisme à Haïti - 12 janvier 2010

12 Janvier 2010: Je me souviens...

(écrit par la fille ainée de Gina Porcena)

Haïti: Je me souviens, 12 janvier 2010, à 16 h 53 mn, j'étais toujours ả mon école Sainte-Rose de Lima en train de faire du sport quand j'ai commencé à sentir la terre en train de se mouvoir. Au commencement, je pensais que c'était une tempête de poussière, tellement il y avait de poussière dans l'air, et j'ai commencé à courir dans toutes les directions sur la cour de l'école.
Quelques instants après, je n'ai plus rien senti. Alors, j'ai voulu aller vers la porte d'entrée de l'école pour attendre la personne qui allait venir me chercher, mais le professeur de sport nous a dit: «Couchez-vous sur le sol, c'est un séisme, il peut y avoir d'autres secousses». A ce moment- là j'ai eu très peur, je tremblais, je pleurais parce que je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait et j'avais aussi peur pour mes parents car je ne savais pas où ils se trouvaient.

Après quelques minutes, puisque tout semblait être calme. Sœur Pascale, l'une des directrices de l'école, nous a dit de nous rassembler devant la statue de Sainte-Rose de Lima qui se trouve sur la cour, à l'entrée de l'école. A ce moment-là, j'ai vu arriver la personne qui devait venir me chercher. Je me sentais un peu soulagée, mais j'avais toujours très peur parce que je n'avais pas encore eu les nouvelles de mon papa et de ma maman. J'avais un pressentiment qu'un malheur leur était arrivé. Un instant après, ma soeur et moi sommes parties en compagnie de la personne qui était venue nous chercher.

Sur la route j'ai demandé à la personne qui nous accompagnait de m'emmener rejoindre manmie au bureau, mais elle n'a pas voulu parce qu'elle semblait savoir ce qui était arrivé à manmie. Elle ne voulait pas non plus nous dire pourquoi, alors j'ai pleuré davantage. Ma petite sœur, qui semblait être très forte en ce moment, me disait: «Cesse de pleurer, soit forte ma chère». Nous avons parcouru la route de Lalue à Delmas à pied, j'avais perdu une de mes chaussures, j'ai du prendre la route pieds nus. Tout au long du chemin, nous avons vu et entendu des choses que nous n'avions jamais imaginées.

Sur toute la route, je pensais à papi et à manmie, et j'ai dit ả ma sœur: «Où est ce que tu penses que papi et manmie sont en ce moment?» Elle a répondu: « Laisse-moi, cesse de penser à des choses négatives, Jésus est là.». Puisque j'ai traversé plein de blessés et de morts sur la route menant vers la maison, je me suis demandée, s'ils étaient eux aussi blessés ou morts.

Arrivée à la maison, j'ai demandé aux gens qui se tenaient devant: «Où est papi?», ils m'ont répondu d'une seule voix «Il est allé chercher manmie ainsi que vous». J'ai alors recommencé à pleurer parce que je pensais qu'on ne voulait pas me dire la vérité, que quelque chose est arrivé soit à papi ou à manmie.

Ma sœur et moi sommes restées au dehors, dans la rue, en train d'attendre papi et manmie. Nous les avions attendus. Il était déjà mercredi, plus que deux heures du matin, ils ne sont pas rentrés. Je ne pouvais pas leur parler même au téléphone, donc je pensais qu'ils étaient morts.

Aux environs de trois heures du matin, j'ai vu arriver papi avec le visage fatigué et triste. J'ai tout de suite accouru vers lui un peu soulagée en lui donnant un gros câlin, alors je lui ai demandé: «Où est manmie?» Il m'a répondu: «Tu sais chérie, la route est bloquée, manmie à eu une fracture à la jambe, elle ne peut pas monter ce soir». En regardant son visage qui était très triste et affaissé, j'ai soudainement douté. Nous avons passé toute la nuit sur des chaises et papi était sans position, il ne faisait que le va-et-vient toute la nuit. Moi non plus, je n'ai pas pu dormir. Vers 5 heures du matin, papi est reparti et m'a dit qu'il allait voir manmie à l'hôpital. En ce moment, il appelle une bonne amie de manmie pour venir chercher ma sœur et moi. Il ne voulait pas nous laisser passer la journée dans les rues sans la présence d'une personne de confiance. En plus, nous étions jusqu'à mercredi après midi vêtues de l'uniforme de l'école, nous a-t-il expliqué. Papi ne pouvait pénétrer dans la maison pour prendre d'autres vêtements pour nous que Jeudi matin
 
Quand la personne est arrivée je ne voulais pas partir parce que je ne voulais pas passer la nuit sans mon père et ne pas voir l'arrivée de ma mère. Dans l'après-midi de mercredi, papi est venu nous voir chez la personne, je lui ai redemandé: « Papi, où est manmie?» il m'a répondu: «elle est ả l'hôpital». Je lui ai demandé si elle était plus gravement blessée que quand il avait lui-même son accident? Il a répondu d'une voix faible «Oui, elle a perdu beaucoup de sang. » Il est reparti puis retourné quelques heures plus tard. Je lui ai demandé «Où est manmie? Elle va mieux?» Après nous avoir raconté tout un tas d'histoires pour nous préparer psychologiquement, ce que j'ai bien compris aujourd'hui, il a répondu «Elle a perdu beaucoup de sang et le médecin a dit qu'elle n'a pas beaucoup de chance pour survivre...» Il est parti, puis est revenu le lendemain matin très tôt, c'était jeudi et je lui ai reposé la même question «Manmie va mieux, pas vrai papi?» Il nous a regardées un instant, et j'ai tout de suite compris qu'elle était morte. Il m'a répondu «Non, elle ne va pas mieux...» j'ai dit «Qu'est ce que le médecin a dit?» Il a répondu d'un air triste tout en pleurant «Elle n'a pas survécu».Alors j'ai pleuré, beaucoup, j'imaginais la vie comme devenue noire pour nous.

En pleurant, j'ai dit que «Cela ne devait pas arriver à manmie, elle n'a pas de chance». Soudainement, j'ai senti une force venir en moi comme une voix me disant «Soyez fortes, mes filles, allez essuyer le visage de papi et dites-lui de ne pas pleurer et d'être fort» donc je lui ai dit ce que la voix me disait «sois fort papi, ne pleure plus; manmie est là». Ma petite soeur se tenait à côté de papi en lui caressant la tête et lui dit: «Oui c'est vrai Papi, manmie est là avec nous, soit fort. Elle n'aurait jamais aimé que nous soyons tristes».

J'ai passé toute la nuit comme si je sentais la présence de manmie. Le lendemain, soit deux jours après, alors que manmie était déjà enterrée le jeudi qui suivait ce 12 janvier 2010, papi nous a accompagnées sur sa tombe, le dimanche qui était 17 janvier 2010. Je n'avais pas voulu regarder la tombe, et c'est comme si j'ai entendu sa voix qui me disait «Je vous aime mes chéries». Alors, je me sentais comme frémissante et j'ai dit à papi: «Écoute manmie qui nous parle. » Pendant que papi s'apprêtait à écouter, je n'ai plus entendu la voix. En sortant du cimetière, mon père nous a raconté que tout ce qu'il nous disait: Que manmie avait eu une fracture à la jambe ; qu'elle était blessée ; que le docteur a dit qu'elle n'a pas beaucoup de chances pour survivre...etc. Tout cela n'était qu'une façon de nous préparer psychologiquement afin que nous ne soyons pas choquées de cette perte brutale, puisque nous avions déjà survécu au tremblement de terre qui était déjà traumatisant. Mais en réalité manmie Gina était morte sur le coup le même jour.

12 janvier 2010, je me souviens d'elle. Je me souviens quand elle me parlait de son cher pays, Haïti. Je me souviens quand elle me disait: «L'école est très importante, c'est le meilleur chemin de la vie.» Je me souviens quand elle me disait en souriant: «Vous devez être des filles modèles». Je me souviens quand elle me racontait l'histoire de sa famille. Je me souviens de la joie qu'elle éprouvait quand elle me racontait l'histoire de son enfance à son mariage. Je me souviens quand elle me disait: «Mes filles adorées» Je me souviens quand elle me disait: «Chérie, tu dois être fière de ton pays». Je me souviens de son sourire.
Manmie ne pouvait pas passer une journée sans mentionner Haïti et tout ce qu'elle aimerait réaliser pour rendre le pays meilleur. Elle m'a appris à être fière de mon identité. Vous n'allez pas y croire, mais j'ai parfois envie de devenir une géographe comme elle pour pouvoir, en sa mémoire, continuer son travail; et cela pour pouvoir tenir son esprit vivant. Je la considère comme une bougie avec laquelle j'éclaire la route de mon avenir. Manmie était tout le temps joyeuse, gentille et positive. Elle était très respectueuse et courageuse. Elle est mon étoile, mon chemin, ma force et mon courage. Elle m'inspire dans tout ce que je fais. Manmie Gina, ma maman adorée, est une femme modèle que le pays ne doit JAMAIS oublier.

À la mémoire de Manmie Gina, à «Tout fanm ak Gason djanm d'Haïti», comme manmie savait dire, je vous souhaite Bonne Année 2011.

Nagiarry Porcéna-Ménéus
nagiarry@yahoo.com
Source: Le Nouvelliste

anis

Mardi 12 janvier 2010. La journée va bientôt s'achever.

Frankétienne

La baie de Port-au-Prince brille encore sous les carats éclatants du soleil caraïbe.
Il est 5h moins 7 minutes au moment où quelques 35 battements de secondes
suffiront à projeter ma ville dans une éternité d'horreurs sous les
palavirés meurtriers d'un séisme sauvagement aveugle en atrocités
dévastatrices. Un dézafi de ravages insupportables. Une orgie de cataclysmes inattendus.
Plus de 300 000 morts. Plus de 10 000 maisons effondrées. Quartiers et
villages affaissés. Bétonvilles déconstombrés. Palais et châteaux
aplatis/défigurés. Plus d'un million d'infortunés sous des tentes fragiles
et malsaines. Un cruel cinéma de culs-de-jatte, de manchots et de cocobés traumatisés.
Brutale initiation à l'art de mourir en silence.
Mourir encore dans la macornerie des corps déchiquetés.
Mourir au ralenti des gestes poussiéreux.
Mourir terriblement sous des tessons d'horloges déraillées.
Mourir en solitaire sous les décombres et les gravats.
Mourir habillé d'ombres folles.
Mourir enfournoyé de ténèbres et de fantômes.
Mourir violemment de fausses lueurs.
Mourir d'asphyxie et de cauchemars lugubres.
Mourir beaucoup.
Mourir toujours.
Mourir à jamais.
Mourir de trop.
Mourir de rien.
Mourir de néant.
Mourir absolument.
Et parfaitement mourir.
Mourir d'un voyage d'encombrement au trépas du temps qui passe et qui
soudain se fige en faux couloir d'impasse.
Tracas, malheurs, désastres en strophes coffrées de catastrophes immondes.
Trois fois, sept fois, cent fois, mille fois les entrailles déchalborées de
ma ville bougent à l'intérieur d'une faille obscure plus gloutonne que la
douleur nocturne sous une myriaderie de tentacules et de ventouses.
La mort nous mange et nous démange impitoyablement.
Caricature d'un destin maquillé en madichonnerie à travers les cassures, les
fissures et les brèches de nos cris distordus de vents apocalyptiques.
Interminablement l'opéra de la mort s'élargit, se prolonge et se dilate
aux contours des récifs ensanglantés.
Comment survivre à la rage du naufrage saturé de pourritures de débris, de déchets et d'artripailles.

anis

 

anis

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