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Ayiti

 

Vodou et expédition

Jean Erich René

 

 

 

 

 

 

 

Digitalis purpurea. Photo F.Palli.

Digitalis purpurea

Un verre de Clarin, une cigarette, de la nourriture que vous offre un ami en qui vous avez pleinement confiance suffisent pour faire de vous un zombi. Le contact est indispensable pour administrer la potion nécessaire qui vous mettra dans un sommeil profond proche de la mort. Parfois l’aide d’une domestique est requise. Le plus souvent des cireurs l’introduisent dans vos souliers. Les poisons que prépare le laboratoire du vodou sont administrés non seulement par la voie orale mais aussi par vos pores.

Ainsi on parle de poudre de crapaud, de mauvais air, un poison qui pénètre dans vos tissus sous-cutanés pour gagner votre système lymphatique. Les neuvaines que l’on jette dans nos sentiers ruraux étroits sur votre passage ou sur le seuil de votre porte sont très toxiques. C’est un cas apparemment bénin au départ mais qui peut devenir mortel sans un traitement adéquat. C’est ainsi qu’on donne le gros pied ou éléphantiasis qui généralement affecte les gens aux pieds nus.

En dehors de ces cas ordinaires d’empoisonnement qui supposent une certaine promiscuité il existe aussi des moyens sophistiqués. Lorsqu’on vit dans des conditions d’hygiène strictes tout en évitant d’absorber de la nourriture et d’autres produits comestibles de provenance douteuse on devient moins vulnérable. Malgré tout on n’est pas hors de portée des malfaiteurs.

Ordinairement ils utilisent un procédé hautement sophistiqué qui défie apparemment toute approche rationnelle: L’EXPEDITION. Souvent en Haïti on entend parler de mort subite. Un individu qui ne manifestait aucun signe de maladie, aucune douleur et qui tombe raide mort. Souvent il s’agit d’une crise cardiaque ou d’un anévrisme. Cependant il ne faut pas exclure la main experte des loups-garous. N’en soyons pas dupes! Il ne s’agit nullement d’un tour mystique comme une invocation aux puissances maléfiques de St Expedit. D’où l’origine du mot Expédition.

L’EXPEDITION est souvent utilisée pour atteindre les gens dont le contact est difficile. Dans ce cas les houngans cherchent à récupérer un de ses habits et le plus souvent une chaussette. Le linge sale qui appartient à la personne ciblée est imbibé de sa sueur. On le place dans une boite avec un insecte piqueur tel que: une abeille ou une guêpe qu’on laisse sans nourriture pendant un certain temps. Elle s’habitue à l’odeur sui generis de la personne visée. Au bout d’un certain temps on y introduit quelques pétales de fleurs de la Digitale. Cette plante renferme un poison violent pour l’organisme humain mais insignifiant pour les insectes. À la tombée de la nuit et ordinairement vers les 9 heures du soir l’insecte est lâché dans les environs de l’habitat du sujet ou plus précisément sous sa fenêtre.

Grâce à son odorat très prononcé il finit par flairer son hôte qu’il pique avec son dard en lui inoculant le venin. Au réveil le lendemain matin, on le retrouve mort dans son lit sans aucune effusion de sang ni sans effraction. Il s’agit d’un crime parfait car on ne peut accuser personne.
 
D’ailleurs il ne s’agit pas d’un meurtre puisqu’il manque 2 éléments importants pour dresser un tel constat: l’instrument du crime et le coupable. Pourtant ils sont bien présents sur les lieux du crime mais la justice haïtienne n’est pas suffisamment équipée pour identifier les traces de l’alcaloïde ni la présence de l’insecte dans la chambre. L’entomologie c'est-à-dire la science qui étudie les insectes nous enseigne que l’insecte piqueur meurt après avoir planté son dard et lâché son venin. Nous pouvons donc conclure sans aucun risque de nous tromper qu’une abeille, une guêpe trouvée dans les parages du cadavre d’une personne morte subitement est un témoin authentique d’une Expédition. En Haïti, souvent on entend dire: Se yon madan morèl, yon myèl ou byen yon gèp ki bobo mesye ya ou byen madanm lan epi li tonbe bip li mouri.

Outre les alcaloïdes que renferment nos plantes, les loups-garous, dans les cas de vengeance extrême et rapide, utilisent des substances chimiques beaucoup plus violentes qui entraînent la mort définitive du sujet qui ne peut être l’objet d’aucune zombification. Dans la Grand’Anse on parle de Patann Te c'est-à-dire la personne meurt sur le coup sans avoir le temps de boire une tasse de thé. C’est quoi le Patann Te?

Il s’agit tout simplement d’une goutte d’acide formique (HCOOH) qu’on laisse tomber dans un verre de clairin ou de jus, une assiette de nourriture. La personne qui l’absorbe meurt sur le champ. Comment les malfaiteurs qui ne savent ni lire ni écrire sont-ils initiés aux secrets de la toxicité d’une telle substance chimique sans avoir entrepris des études scientifiques? L’acide formique n’est pas en vente dans les pharmacies haïtiennes mais qui a mis ce produit chimique rare à la portée des loups-garous qui d’ailleurs n’ont placé aucune commande à l’étranger?

Pour éclaircir ce mystère apparent il faut faire appel à certaines données historiographiques.

Au cours de la deuxième guerre mondiale et plus précisément en 1941, la Compagnie américaine Ford pour résoudre ses difficultés d’approvisionnement en caoutchouc a implanté en Haïti la Shada. 58.499 hectares de terre, soit 21,55% de la superficie cultivable d’Haïti furent plantés en Hévéa dans diverses régions du pays comme le Département de la Grand’Anse, notamment Marfranc, Dame Marie, Anse d’Hainault. Dans le Nord c’est à Bayeux non loin de Port Margot dans la juridiction du Houngan Ti Boss que furent dressées les plantations d’Hévéa. Cet arbre produit une sève blanche ou latex recueilli dans un coui dont le contenu sera versé dans de gros fûts acheminés vers l’usine de traitement pour en faire d’abord une pâte et ensuite une boule qu’on exportait vers les USA.

Le latex recueilli ordinairement par une saignée pratiquée dans l’écorce de l’hévéa durcit rapidement au contact de l’air. Aussi on distribuait à chaque collecteur une certaine quantité d’acide formique qui permet au latex de garder sa consistance molle avant d’arriver à l’usine.

Recommandation formelle était faite aux usagers sur le degré de toxicité de l’acide formique qu’ils manipulent. Tout de suite après la fin de la guerre ce site a été abandonné mais de nombreux fûts d’acide formique sont restés sur place. Des travaux de nettoyage n’ont jamais été entrepris et les loups-garous s’en servent à gogo. Jusqu’à l’arrivée de la HAMASCOSA, plutôt intéressée à la production de cacao, traînaient dans les environs les barils d’acide formique, ce solvant très puissant qui détruit dans l’espace d’un cillement l’organisme humain.

Ainsi, par un beau dimanche matin, sous le Gouvernement du Général Prosper Avril, on a constaté la mort subite d’un puissant Colonel des FAD’H après avoir bu un bol de soupe au giraumont.

Ce tour d’horizon sur les liens entre l’EXPÉDITION ET LA MORT SUBITE n’a pas pour objectif de démolir les assises culturelles du Vodou. Loin de là notre objectif! Nous voulons seulement soulever le voile sur certaines pratiques malhonnêtes qui tuent beaucoup plus de gens que le Sida et le kidnapping mis ensemble. Une telle anomalie n’est due qu’à la loi de l’omerta que nous impose la Culture Griot que nous récusons de toutes nos forces parce qu’elle n’est pas porteuse de progrès économique ni d’avancement social. Elle est beaucoup plus profitable aux pontes du monde politique qui en font leur cheval de bataille tout en contribuant à l’impunité de l’auteur de certains délits et à perpétrer à travers le temps et l’espace le règne des méchants. Epurons le vodou en dénonçant les séquences rétrogrades de sordides arnaques effectuées sous son couvert pour enrichir les profiteurs. Les méchants sont rusés et puissants. Chassons cette peur viscérale en éclatant par des informations appropriées nos structures mentales régressives responsables du blocage de la machine du développement d’Haïti qui requiert comme préalable indispensable, un changement de mentalité. La lutte ne sera pas facile! La résistance au changement est forte car le sous-développé a la tête dure.

Jean Erich René

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