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Élites haïtiennes, prenez maintenant vos responsabilités!

(NB: ce texte ne contient pas de propositions subordonnées.)

Luc Rémy

«Aux Ames d’Élite des Responsabilités plus Grandes» (Alexandre Dumas)

Chers compatriotes,

1. Les Enjeux de la Mobilisation autour d’Haïti

1.1. Une diplomatie tous azimuts

La présente mobilisation de la Communauté Internationale (CI) autour d’Haïti nous interpelle tous. Elle ne doit nullement nous laisser indifférents. Sa diplomatie bilatérale et multilatérale sur le dossier se déroule au sommet; elle se révèle intense, massive et rapide. Rappelons-nous en quelques temps forts: rencontre du Président René Préval à Washington avec la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton, des membres du Congrès, des officiels de la Banque Mondiale et du FMI (2-6 février), entretiens du président Barack Obama au Canada avec la Gouverneure et le Premier Ministre canadiens, Michaelle Jean et Stephen Harper (19 février), visite à New York de Harper au Secrétaire Général de l’ONU Ban Ki-Moon (23 février), visite à Washington du ministre des Affaires étrangères du Canada, Lawrence Cannon, à la Secrétaire d’Etat, Mme Hillary Clinton (24 février), rencontre de l’ancien président Bill Clinton et du Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon à Port-au-Prince avec des  autorités haïtiennes (9 mars), visite d’une délégation relais du Conseil de Sécurité de l’ONU en Haïti le jour même du départ de Clinton et Ki-Moon (10 mars) et comprenant, entre autres, l’ambassadeur des Etats-Unis à l’ONU, Mme Susan Rice, rencontre entre le  Secrétaire général Ban Ki-Moon et le président Obama à la Maison Blanche ce même 10, présentation par Paul Collier de son rapport au gouvernement, à certains autres importants acteurs de la Classe (12 mars), visite à des officiels et entrepreneurs haïtiens d’une délégation d’universitaires et d’hommes d’affaires du Commonwealth du Massachusetts présidée par madame Marie St-Fleur, députée dudit état (18 mars). À cela s’ajoutent probablement de nombreux mouvements souterrains ou moins visibles d’experts, de techniciens, hommes d’affaires et politiciens travaillant inlassablement sur notre destin et produisant des documents décisifs comme ce rapport préparé par l’économiste Paul Collier pour le compte de Ban Ki-Moon. De toute évidence, notre Haïti est, pour le meilleur ou pour le pire, un enjeu central, et quelque chose de très important va être décidé pour nous. Nous faut-il une fois de plus laisser l’histoire s’écrire pour nous sans prendre l’engagement de nous engager dans l’action,  et sans de fait nous lancer dans l’action patriotique et constructive pour l’écrire nous-mêmes aussi?

De toute façon, notre avenir et celui des prochaines générations d’haïtiens et d’haïtiennes dépendront beaucoup des grandes manœuvres actuelles, des décisions et actions de la CI se rapportant à notre pays. En vérité, laisser les événements se dérouler sans nous, c’est nous rendre nettement responsables de nos malheurs de demain. Pour la même raison, nous serons coupables aux yeux de nos enfants et petits-enfants. Car, avec ou sans nous, quelque plan sera mis en application; quelque orientation nouvelle sera imprimée à notre vie et à notre pays.

Certes, c’est un lieu commun en Haïti et dans notre cerveau de rendre l’international (surtout le blanc) responsable de tous nos malheurs; c’est un réflexe classique chez nous de l’accuser de conspiration permanente contre Haïti. Entre-temps, dans les faits, et en contraste honteux, nous nous livrons, volontairement, les pieds, les mains et l’esprit enchaînés, à son bon vouloir et à sa générosité, espérant, de manière béate et insatiable, bénéficier de sa part de quelque miracle politique et économique pour nous développer. Face aux dommageables erreurs en cascades de nos aînés et de nous-mêmes dans nos échanges internationaux récents, nous avons aujourd’hui l’obligation d’opérer une Révolution pacifique en nous-mêmes pour rejeter ce paradigme central, mais erroné et improductif, de la responsabilité absolue de l’international. Il nous appartient de nous élever à la hauteur des règles du jeu des Relations Internationales (RI), bilatérales et multilatérales; bref, il nous faut faire de la politique internationale (PI) pour introduire dans la vie socio-économique d’Haïti le maillon central toujours manquant. Ce maillon se compose de deux segments distincts solidement soudés entre eux; l’un, c’est l’obligation pour les acteurs de rendre régulièrement compte à la Nation pour être tenus responsables; l’autre, c’est l’obligation d’introduire et faire peser l’apport national haïtien dans tous les dossiers concernant notre pays. 

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1.2 Rendre compte pour être tenu responsable et apport national: deux piliers centraux

Rendre compte pour être tenu responsable, c’est utiliser les fonds nationaux, publics ou privés, et les fonds  alloués par la CI pour créer effectivement des richesses, de l’emploi et pour fournir des services adéquats et de qualité à tous, sans considération de couleur, de religion, de sexe, de résidence, de richesse, de niveau d’éducation, etc. C’est éviter de faire du business presque exclusivement extraverti ou tourné vers l’extérieur ou dans un esprit mercantile faisant fi de la misère profonde du pays et des demandes de service répétées  de la Nation. En ce sens, rendre compte pour être tenus responsables, c’est, pour les fournisseurs de services, donner aux contribuables, aux clients et aux demandeurs de services satisfaction pleine, évidente ou tangible, et concerne donc, et l’État et le secteur privé. En termes d’administration publique, rendre compte, c’est fournir, sur l’utilisation des fonds publics, des justifications écrites facilement vérifiables par des vérificateurs qualifiés et autorisés. Dans tous les cas, rendre compte, c’est faire preuve de transparence, d’un sens élevé de service public et de responsabilité vis-à-vis des administrés et des clients haïtiens pour bâtir Haïti sur la paix, l’esthétique, la  grandeur, la solidité et la pérennité.

Introduire l’apport national, c’est nous affirmer, nous exprimer en toute clarté et sans «marronnage», pour défendre nos valeurs, admettre nos faiblesses, faire connaître nos réels besoins, nos revendications, nos principales options, nos capacités, nos apports, notre engagement, notre ferme volonté de participer, et d’assumer notre prise en charge. Faire état de l’apport national, c’est aussi réclamer et prendre, pour le secteur public et le secteur privé national, une part toujours plus active et toujours plus grande dans les prises de décision et l’exécution des taches. Fournir l’apport national, c’est, en définitive, affirmer le leadership national, public et privé, individuel ou collectif, en pilotant,  analysant, contrôlant, évaluant, redessinant, corrigeant, retranchant, ajoutant, coordonnant, en infléchissant au besoin, en exécutant et en faisant exécuter tout plan élaboré pour Haïti. Notre action constructive, du début à la fin, influera sur la CI; elle lui fera changer sa perception traditionnelle de nous; elle la portera à finalement nous prendre au sérieux, et très au sérieux. Tout cela décuplera notre pouvoir de marchandage et contribuera à changer pour le mieux les règles du jeu traditionnelles d’exclusion ou de non participation active des forces nationales. Nous fortifierons ainsi la diplomatie et les relations extérieures haïtiennes, avec des gains de plus en plus croissants et importants pour l’État, les entreprises privées et publiques, les groupes organisés et les citoyennes et citoyens haïtiens. L’émergence d’une Haïti faite de progrès, de paix, d’équilibre social et pesant réellement dans les (RI) passe par là.

En l’absence de ce maillon appelé règlement de compte à la nation et apport national réel, tout effort de la CI en Haïti s’apparentera très probablement à un jeu de dupes, toujours au nom du peuple haïtien, mais toujours sans aucun bénéfice substantiel et durable pour ce peuple. Dans ce cadre là, une fraction de l’équipe gouvernementale, des ONG, des individus puissants et des groupuscules privés se partageront toujours la portion congrue de tel ou projet étranger élaboré pour Haïti; mais la part léonine restera ou retournera toujours à l’étranger. Quelques noms s’ajouteront probablement, peut-être en secret, à la liste des millionnaires et milliardaires haïtiens et étrangers impliqués dans tel ou tel projet pour Haïti, mais le pays ne s’en portera pas mieux. Les malheurs collectifs (catastrophes naturelles ou provoquées par notre démission collective) s’aggraveront ou frapperont tragiquement toute la Communauté haïtienne, faibles et puissants,  pauvres et riches.

1.3 Rappel de l’importance de l’action diplomatique et de la politique internationale

En conséquence, gardons-nous de banaliser le présent ballet diplomatique autour d’Haïti. En PI, comme en politique intérieure d’ailleurs, tout a sens: les actes, les dits, les non dits, les gestes, les symboles…Rappelons-nous sans cesse le fondement et les objectifs de la PI: la recherche et la défense d’intérêts d’Etat, d’organisations, de groupes privés, d’entreprises, etc. Ces intérêts sont de tous ordres, matériels, non matériels, culturels, moraux, affectifs,  religieux, politiques, militaires, géographiques, économiques, raciaux, linguistiques, etc. N’oublions pas les méthodes et les moyens de la  PI: le charme ou la séduction, la persuasion, le leurre, le mensonge, la propagande, la dénonciation, la publication de nouvelles ou de notes embarrassantes ou compromettantes, les offres fallacieuses ou réelles d’avantages divers, la cessation d’aides ou de services, la rupture de contrats, la corruption des négociateurs et/ou des dirigeants, la division du camp adverse, les menaces de sanctions diverses, les démonstrations de force, l’embargo, le blocus, le recours à la force militaire, etc.

Dans ce jeu d’influence et de pressions douces ou violentes, les gains dépendent presque exclusivement:

a) de notre capacité  d’identifier nos intérêts supérieurs
b) de notre capacité et volonté de les défendre
c) des compétences et des moyens investis dans la défense de tels intérêts
d) du cadre de déroulement des négociations
e) de la capacité des acteurs d’appliquer les pressions à l’adversaire ou de résister aux siennes
f) du rôle de la presse) de l’action des citoyens, des groupes organisés et de la société civile
h) de la capacité des acteurs de faire sentir, parfois, sur la «table de négociation», le pois ou l’implication de forces externes de soutien et de pression. Ces forces peuvent être des groupes professionnels de pression, des entreprises, l’armée, des États, des alliés, une nation entière, etc.

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2. Le Paradigme actuel des Relations Internationales d’Haïti: une accumulation d’efforts et d’échecs tragiques

2.1 L’œuvre obérée de la Classe

Pour faire court, appelons la Classe l’ensemble des Haïtiens et étrangers, organisations internationales et pays puissants prenant en permanence les décisions pour Haïti. C’est un raccourci pour Classe Traditionnelle d’Etat des Décideurs Nationaux et Etrangers au nom d’Haïti et de la Nation haïtienne. Au dessus de la constitution et des lois haïtiennes, la Classe n’a jamais été  normalement liée à des principes de responsabilités et de fait n’a jamais rendu compte à la Nation.

Pendant ces 20 dernières années, la Classe a énormément investi en Haïti en ressources diverses et en bonne volonté: prêts, aides, dons, assistance technique, missions internationales d’observation d’élections, ballets diplomatiques interminables, interventions militaires internationales, missions spéciales des Nations Unies et/ou de l’OEA, etc.…Entre 1993 et 2009, la Communauté Internationale a dépêché en Haïti, entre autres, 9 imposantes missions civiles ou forces armées spéciales: la MICIVIH (1993-1995), la MINUAH (septembre 1993-juin 1996) la Force Multinationale (Septembre 1994-Mars 1995), la MANUH  (juin 1996-juillet 1997),  la MITNUH (août-novembre 1997), la MIPONUH (décembre1997- mars 2000), la  MICAH (mars 2000-février 2001), la Force Intérimaire Multinationale (février-juin 2004), la MINUSTAH (juin 2004 à date). En moins de 10 ans, entre octobre 1994 et février 2004, la CI  a offert à Haïti deux interventions de l’armée la plus puissante du monde, celle des Etats-Unis, et une intervention de l’armée de France.

L’aile locale de la Classe n’a pas été non plus inactive: elle a assumé de hautes responsabilités dans le gouvernement et a pleinement coopéré avec son homologue étranger. En seulement 23 ans, plus de 20 personnes (près d’une trentaine en comptant séparément les différents membres de CNG I, CNG II et CNG III) ont occupé le pouvoir suprême; pour la même période, plus de 15 Premiers Ministres se sont portés au chevet du malade.

Toutes sortes de formules politiques ont été essayées: présidence collégiale exclusivement masculine (Conseil National de Gouvernement, de 6 membres à l’origine), présidence d’une femme (Ertha P.Trouillot) flanquée d’un «Conseil d’Etat»  en plus de son cabinet, présidence mâle exclusivement militaire (Namphy, Avril), ou exclusivement civile (Manigat, Aristide, Nérette, Jonassaint, Préval, Boniface), ou à la fois civile et militaire (Henry Namphy, William Régala, Prosper Avril, Max Valès, Alix Cinéas, Gérard Gourgue). La Classe a essayé l’Exécutif monocéphale, le bicéphale et même le pluricéphale. En moins de quatre ans, entre novembre 1987 et septembre 1991, la Classe a organisé trois  élections présidentielles et a aussi exécuté trois coups d’état contre elles, l’un dans les bureaux de vote même (1987), les deux autres contre les présidents au pouvoir (juin 1988, Septembre 1991). La Classe a opéré le recyclage de certains des plus hauts dirigeants de l’Etat (Namphy I et II, Avril I, II, Préval I, II, III, Aristide I, II, III, Alexis I, II, III). Elle a même réussi le tour de force de mettre simultanément au pouvoir deux présidents, l’un en Haïti, l’autre en exil (Aristide vs Nérette, puis Bazin et finalement Jonassaint). Elle a produit un Premier Ministre-Président (Bazin) et deux Présidents-Premiers Ministres (Emile Jonassaint, et René Préval au départ du PM Rosny Smarth en 1997 jusqu'à l’arrivée du PM Alexis en 1999).

La Classe a trouvé l’armée nationale budgétivore et responsable de tous les maux du pays et l’a détruite; elle a décidé la «modernisation» de la Police Nationale haïtienne pour la rendre totalement différente de l’ancienne police haïtienne et de l’Armée détruite, et pour assurer à la fois la sécurité et la défense de la Nation. Et pour tenter de rompre définitivement avec l’idée d’une armée nationale hattienne «inutile» et coûteuse, elle a maintenu ou fait le recyclage dans le pays des forces armées de près de 70 Etats étrangers, bouffant pour Haïti, et par mission, une moyenne de 500 millions de dollars1. Et pour le seul exercice fiscal 2008-2009, le budget de la MINUSTAH «s’élève à US$ 601 580 100 (601,58 M$), soit 27,3% du projet de budget de l’État haïtien pour la même année»2. Au même moment, à court de solutions face à la crise sur le terrain, la CI  en a appelé à «un effort régional accru pour aider Haïti à contrecarrer des groupes criminels transnationaux basant des opérations dans le pays.3»

Face à toutes nos villes et à tous nos services publics sous-administrés et manquant cruellement de ressources humaines, et face au taux national de chômage très élevé, elle a trouvé l’Etat un véritable « mammouth » et a décidé de le «dégraisser»; et de fait, elle a «réformé l’Administration publique», poussant au «départ volontaire» ou à la «retraite anticipée» bon nombre de fonctionnaires, parmi les plus expérimentés, compétents et plus ou moins respectueux des principes administratifs. A défaut d’un programme, même minimal, de création d’emplois, et sans jamais établir un cadre sain pour le démarrage, le fonctionnement et le développement des entreprises privées et la  protection des consommateurs, elle a décrété «l’Etat haïtien mauvais gestionnaire», les entreprises publiques «mal gérées», et les a en grande partie privatisées ou fermées (Minoterie, Ciment d’Haïti, Usines sucrières, Loterie de l’Etat Haïtien, Magasin de l’Etat, Cimenterie d’Haïti, etc.).

Dans cette même logique, elle a déclaré l’«Etat haïtien sans capacité d’absorption» des fonds internationaux alloués à Haïti et a confié la gestion de tels fonds à une myriade d’ONGs disparates recherchant leurs intérêts privés et non l’Intérêt Général et fonctionnant en l’absence de toute supervision et de toute législation adéquate et sérieuse. Evitant d’approcher Haïti comme une nation ayant ses propres spécificités, mais la prenant pour un modèle d’économie capitaliste achevé, la Classe a littéralement immergé Haïti dans le néolibéralisme,  ce libéralisme totalement mis à nu aujourd’hui par un niveau intenable et sans précédent de fraude financière, de corruption, de disparité de salaires, d’inégalité et déséquilibre sociaux et de démission des Pouvoirs publics.

Notes

  1. Selon president Préval rapporté in “Haitian President Appeals for Emergency Aid”: http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2009/02/06/AR2009020603309.html
     
  2. Pierre Montès: //Haïti/Économie/Réflexions sur le projet de budget 2008-2009:
    http://jfjpm.blogspot.com/2009/01/haticonomierflexions-sur-le-projet-de.html
     
  3. UPI: MINUSTAH calls for regional support
    http://www.lenouvelliste.com/articles.print/1/68116
     

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2.2 Le Bilan inacceptable de la Classe

Toute la Classe admet l’échec d’Haïti, malgré cette présence active et massive de la Communauté Internationale. La divergence entre son aile nationale et son aile étrangère réside seulement dans l’imputation des responsabilités, c’est-à-dire la détermination des blâmables et des coupables. Élégamment,  l’aile internationale de la Classe arrive, d’un côté, à s’octroyer régulièrement des brevets de satisfecit pour ses réalisations dans le pays, et de l’autre, à présenter Haïti comme un Etat en faillite, corrompu, non gouverné et rongé par le trafic de la drogue, le kidnapping, le chômage, la misère et représentant une menace pour la paix internationale. En clair, elle se distancie carrément de l’aile haïtienne face à l’échec à assumer. Elle en rejette la responsabilité sur ses partenaires haïtiens.

 Pourtant, la République d’Haïti est techniquement, et de fait, sous contrôle littéral, pour ne pas dire sous occupation, de la CI. Sous le décor d’un Etat haïtien apparemment indépendant, l’aile internationale de la Classe a l’effectivité de contrôle, de décision et d’action sur tout l’appareil d’Etat: la police, l’armée, l’administration, la gestion des fonds internationaux prêtés à Haïti, la définition des priorités, l’élaboration des projets, la passation des marchés importants, la détermination des bons et des mauvais gestionnaires des fonds internationaux investis en Haïti, etc.1

Tout compte fait, l’aile internationale a raison de se démarquer des acteurs haïtiens incapables d’assumer leurs responsabilités, et pour au moins deux raisons: tout d’abord, elle n’a jamais cessé de jouer les règles classiques du jeu des RI avec Haïti; elle a même fait  et continue de faire montre de beaucoup de sympathie vis-à-vis de nous dans nos malheurs et nos échecs; ensuite, elle a eu et aura toujours la possibilité de s’en sortir sans dommages. La CI est en effet un instrument indestructible, à géométrie variable, ou plus exactement, une masse informe, sans unité de lieu, de temps, d’action, d’émotion ou de destin.  Mais il n’en est pas de même pour la Nation et l’Etat haïtiens. La passivité, l’indécision nous conduiront un jour à des humiliations et catastrophes insurmontables et suicidaires, ou plus tragiquement à la destruction de la Nation haïtienne.

Sans prétendre présenter un tableau exhaustif de l’échec des grands moyens déployés par la Classe dans le pays, rappelons quelques indicateurs. Après quelque 15 années de présence ininterrompue, massive et active en Haïti , la Communauté Internationale n’est pas parvenue à faire évoluer  Haïti de son statut de menace pour la paix et la sécurité internationales (aux termes du chapitre VII de la Charte des Nations Unies) à un statut d’Etat normal. Au contraire, les sources de menace contre la paix intérieure et extérieure se sont énormément accrues dans le pays. Les frontières nationales sont devenues extrêmement poreuses et perméables à  toutes sortes d’activités criminelles et déstabilisatrices. A l’intérieur du pays, l’insécurité a triomphé, nourrie, entre autres, par la misère, le trafic de la drogue, le chômage, la corruption, l’absence  de plan d’action, de justice et de service, la non exécution des programmes  et l’inapplication des normes, des lois et de la constitution. Et elle prend des formes très variées: le vol, le viol, le kidnapping, l’assassinat, etc. Sur le plan des échanges externes, le pays est pratiquement mis en quarantaine, car certains membres puissants de la Communauté Internationale tels que les Etats-Unis ont conseillé à leurs ressortissants de ne pas se rendre en Haïti2.

Sur le plan économique, tout a reculé ou stagné aux dépens de la grande majorité des Haïtiens;  le pays est contraint aujourd’hui d’importer au prix fort même des biens de base de la production nationale traditionnelle, autrefois bon marché et à la portée de tous: citron, noix de coco, mais moulu, riz, farine, banane, ciment, etc. Et pourtant,  l’haïtien vit encore, en moyenne, avec seulement environ 250 dollars américains par an et 0,70 dollar américain par jour.  Notre «PIB per capita […] est le 1/5 de la moyenne pour les pays de l’Amérique Latine et de la région des Caraïbes dans leur ensemble et 40% plus bas que le (celui du) deuxième pays le plus pauvre de l’hémisphère, le Nicaragua. Haïti est pauvre depuis des années. Le vrai revenu per capita en Haïti a en fait chuté au cours des quatre dernières décennies3.» Les taux de mortalité infantile, d’analphabétisme et d’autres fléaux, naturels ou provoqués par l’homme, continuent d’être de graves défis au-delà de nos efforts présents. L’eau potable continue d’être une ressource rare pour environ 50% des Haïtiens; et notre eau contaminée utilisée par près de 55% de la population continue de contribuer tragiquement à la malnutrition chronique et à la mortalité beaucoup de nos enfants.

Haïti serait-elle devenue notre Radeau de la Méduse?

En tout cas, un tel bilan est inacceptable, et pour Haïti et pour la CI. L’aile extérieure de la Classe le sait bien: à cette époque de tous les dangers comme le trafic de la drogue, le terrorisme international et la multiplication des catastrophes naturelles en Haïti, et surtout la crise financière internationale, continuer à faire d’Haïti un tonneau de Danaïdes ou à la considérer comme une nation de déshérités et de parias devient inacceptable et risqué. Tôt ou tard, la CI pourrait bien avoir à rendre compte, devant l’histoire, même seulement sur le plan moral. Les autorités haïtiennes pourraient avoir aussi à répondre à la Nation de leur action et inaction. Plus concrètement, des obligations de résultats plus pointues et des conditions plus contraignantes pourraient être imposées aux acteurs et à la classe, aux missions internationales, à leurs projets, et à leur mode de passation des marchés et d’utilisation des fonds publics haïtiens.

En ce sens, l’élaboration du rapport Collier, dans le contexte international actuel, est éloquente: d’abord, c’est un effort pressé de la CI visant à améliorer sa carte de visite dans le dossier haïtien; et pour cette raison, elle nous apparaît ensuite comme une tentative de réponse concrète et ponctuelle à la crise haïtienne récemment aggravée par quatre cyclones dévastateurs. Mais c’est aussi pour la CI un moyen pour tirer parti des nombreux atouts économiques offerts par Haïti. Mais, à l’évidence, il s’agit, là encore, d’une réponse essentiellement économique à un problème global aux causes très diverses. En conséquence, en l’absence de l’apport national indispensable, ce plan ne produira pas vraiment de fruits pour la Nation haïtienne.

A ce tournant critique et tragique d’Haïti faisant face à tous les périls et susceptible d’exporter certains d’entre eux, la  Classe a un grave problème moral, politique et économique à résoudre: ou bien persister à imposer (par sa frange externe) et accepter passivement (par sa composante haïtienne) des modèles d’échecs répétés, ou bien changer de paradigme. Toute la Communauté internationale est capable de cette deuxième option.

Le nœud gordien à trancher réside inexorablement dans l’aile haïtienne de la Classe! L’initiative de l’action bien pensée lui appartient. Il lui revient de se réveiller de sa torpeur, pour ne pas dire de sa léthargie, pour concevoir et établir immédiatement le nouveau paradigme des relations internationales d’Haïti en vue d’une Politique Internationale (PI) ou Politique extérieure (PE) haïtienne réelle et en vue d’une coopération internationale saine et fructueuse pour la Nation.

Notes

  1. Le président Préval a bien prouvé ce fait en allant lui-même demander désespérément une petite aide d’expédient de 100 millions de dollars à Mme Clinton pour approvisionner le budget national et en la priant de cesser de fournir de l’aide à l’Etat haïtien à  travers les ONGs, mais à travers son gouvernement même, mieux géré, selon lui. Ironie ou revanche de l’histoire: hier, M. Aristide a payé d’un mouvement armé réussi, celui de Guy Philippe, sa destruction de l’armée haïtienne; aujourd’hui, M. Préval est en train de faire les frais de sa «politique d’Etat» du tout-au-privé. Voir “Haitian President Appeals for Emergency Aid”:
    http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2009/02/06/AR2009020603309.html
     
  2. United State Department of State: Travel Warning, January 28, 2009-04-02
    http://travel.state.gov/travel/cis_pa_tw/tw/tw_917.html
     
  3. Taylor Griffin: Under Secretary of Treasury for International Affairs: Testimony before the Senate Foreign Relations Committee, July 15, 2003
    http://foreign.senate.gov/testimony/2003/TaylorTestimony030715.pdf

Luc Rémy
luckyten1017@yahoo.com
29 mars 2009
États-Unis d’Amérique

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3. Des Pistes pour le nouveau  paradigme des Relations Internationales d’Haïti

3.1. Fondements culturels, affectifs et historiques du nouveau paradigme indispensable

Elites de Mon Pays,
Rappelons-nous les vérités suivantes. Il appartient d’abord à la Nation haïtienne, seule  victime et seul témoin de Ses souffrances, seul géniteur de Son vécu et de Ses aspirations,  de Se comprendre, de Se faire comprendre. On La comprend seulement à partir de Ses propres efforts pour Se faire comprendre, à l’intérieur  du Pays et à l’extérieur. Elle ne pourra nullement s’acquitter de Ses missions en confiant à l’Autre le soin de La materner  ou même de se substituer à Elle. Comment demander, par exemple, à l’étranger se portant à notre secours de faire preuve, et en permanence, du sens de désintéressement,  d’abnégation et du devoir dans sa mission en Haïti ? Aucune force ne peut lui imposer de tels sentiments au profit d’un pays étranger, et plus précisément en faveur de notre Pays. En lui, ils ne peuvent être que l’exception, qu’occasionnels et s’appellent solidarité, ou même intérêts personnels à l’étranger bien compris; chez nous autres Haïtiens, ils doivent être la règle, le ressort permanent de nos réflexes et s’appellent patriotisme, la sève nourricière de la Nation ou le garant du respect de l’Haïtien dans le monde. Enracinés dans nos biens communs passés, présents ou futurs, c’est-à-dire notre territoire, notre culture, le souvenir de nos gloires et déboires, et notre âme, nos  aspirations et rêves collectifs, de tels sentiments sont et demeurent des vertus et des attributs du national. L’Autre ne pourra fournir facilement que des apports financiers et techniques. Au mieux, il proposera des plans de développement, tiendra des séminaires de formation et lancera des appels à une meilleure et plus grande implication des Elites haïtiennes dans la gestion et le développement de notre Pays. D’ailleurs, de nombreux diplomates et interlocuteurs étrangers n’ont jamais cessé, depuis plusieurs années, de nous inviter à renoncer au maternage et à nous prendre en charge. Et ce 12 mars encore, au cours de la présentation de son rapport à l’Hôtel Montana, M. Collier aussi est revenu, dans un  euphémisme, bien sûr, à cette constante de notre maternage en évoquant le «manque de confiance de l’Haïtien en lui-même1». Mais au pire, face à nos démissions en tant qu’Haïtiens, les étrangers peuvent nous insulter ou nous ridiculiser en nous traitant de «Comédiens», «Elites Moralement Répugnantes», ou même d’individus ayant «un chromosome en moins, celui du consensus et du compromis, et un chromosome de trop, celui du conflit et de la discorde.»2  

Pour bien réagir dans la présente conjoncture, il nous faut bien la comprendre. Depuis environ 25 années, Haïti vit une profonde crise de superstructure. Et toutes les autres crises du Pays, sectorielles et ponctuelles, découlent de cette méga crise. Cette méga crise, essentiellement intellectuelle, se révèle une crise de lisibilité, de compréhension et d’interprétation de la société haïtienne et du fait  historique et social de l’Homme haïtien, adressée aux Elites d’Haïti, toutes couleurs et catégories confondues.

Aux alentours des deux cents ans d’indépendance d’Haïti, cette crise s’est développée et exprimée comme un réveil tumultueux et trouble, mais parfois aussi troublant de la Conscience Historique Nationale en quête d’une Pensée organisatrice, de Son Unité historique,  de Sa Libération, de Son Ėpanouissement et de la Prise en Charge de la Nation haïtienne par Elle-même, à travers le leadership de ses Elites.   En clair, cette «Crise de Conscience ou d’Identité» est une invitation impérative à refaire l’alliance de Dessalines et de Pétion de 1803 selon les besoins des temps présents, c’est-à-dire corrigée et actualisée. Refuser de répondre à cet appel historique à des changements qualitatifs et quantitatifs profonds en Haïti et pour tous les Haïtiens, c’est continuer de contribuer à la destruction de la Nation et donc d’hypothéquer le patrimoine de nos enfants et des générations futures.   

3.1. L’indispensable Révolution Pacifique (RP) haïtienne

La meilleure thérapie applicable à cette méga crise bien actuelle est une RP. Celle-ci signifie une rupture méthodologique dans le penser, le dire et le faire, dans le cadre d’un projet national bien conçu,  axé sur la participation citoyenne et piloté avec patriotisme, leadership, discipline, ordre, esthétique, savoir-faire, honnêteté, authenticité, désintéressement, abnégation, esprit d’équipe, en vue de résultats démocratiques profonds, grandioses et durables. 

En tout cas, l’important pour nous aujourd’hui, c’est de voir autrement notre rôle vis-à-vis d’Haïti.

Sur le plan personnel et interpersonnel, c’est de renoncer à nos mauvaises querelles ou à nos guerres intestines concernant le sexe des anges, à nos prétentions mal fondées, et à notre mépris pour la Nation et le bien-être collectif. Opérer la rupture méthodologique, c’est aussi accepter de dominer notre pratique séculaire incompressible consistant à tout enlever ou vouloir tout enlever à la Patrie sans jamais rien Lui offrir en retour. C’est cesser d’être  faux et artificiels,  de mentir à nous-mêmes et aux autres, et de toujours mettre en danger et les autres et nous-mêmes. Bref, c’est de rechercher un supplément de lucidité et de sagesse pour contenir nos pulsions irresponsables et comprendre le danger, pour nous tous et pour l’avenir, de toujours vouloir tout pour nous-mêmes et rien pour les autres, rien pour le Pays.

Sur le plan politique, c’est de réduire notre individualisme et notre égoïsme,   de renoncer à notre politique de doublure, à travers la Classe, pour élire nos dirigeants à travers des élections sérieuses et sur la base du mérite et de la compétence, et pour gérer nos structures politiques et administratives nationales et locales avec principe, compétence et responsabilité; c’est aussi d’utiliser toutes les formes intelligentes d’encadrement de la société civile et du secteur privé pour empêcher ces dirigeants de gaspiller leur mandat dans le dilatoire, l’inaction, la corruption et des dépenses inutiles. En résumé, c’est de laisser tomber notre refus d’assumer nos responsabilités pour faire face, courageusement et selon notre capacité, à nos devoirs de citoyens et de patriotes. 

Cette  révolution ne peut être  que nationale. Elle seule contient la vraie semence de démocratie, d’élections sérieuses, de progrès économique, de réhabilitation de nos Elites et de la République d’Haïti. Les États-unis le savent; le groupe d’Ėtats baptisé les Amis d’Haïti le sait; toute la CI le sait. Il appartient à nous autres Haïtiens de nous l’apprendre et d’en tirer les conclusions nécessaires, c’est-à-dire de déclencher immédiatement et bien mener cette RP.

La Révolution Pacifique: Une invitation venant aussi de la Communauté Internationale

L’état d’urgence, ou mieux de priorité, décrété par la CI autour d’Haïti nous offre une occasion en or pour déclencher et réussir cette RP. Malgré la crise financière internationale, le contexte mondial dans son ensemble semble nous être particulièrement favorable. Le Secrétaire Général de l’ONU, Ban Ki-Moon, a déclaré Haïti sa priorité3. Il s’est même proposé de plaider, auprès des donateurs, pour une enveloppe exceptionnelle pour le Pays. Mais il a aussi rappelé la condition sine qua non pour le progrès en Haïti: «Sortir Haïti de l’impasse dépendra de la volonté de l’ensemble des Haïtiens, y compris le Gouvernement, le Parlement, les partis politiques, la société civile et la diaspora, avec le soutien de leurs partenaires, de profiter des opportunités offertes4.» À la séance du 6 avril du Conseil de Sécurité sur Haïti, cette même condition sine qua a été unanimement rappelée. Le Conseil, dans son ensemble,  a exhorté «les institutions haïtiennes à intensifier leurs efforts pour satisfaire les besoins essentiels de la population haïtienne, et à coopérer en vue de promouvoir le dialogue, l’état de droit et la bonne gouvernance». Et tous les intervenants, une quarantaine de représentants d’Etats, d’institutions et d’organismes du système des Nations Unies, ont rappelé aussi d’une façon ou d’une autre, l’importance clé d’un engagement ferme de la part des acteurs haïtiens. L’ambassadeur Liu Zhenmin de Chine, par exemple, a encouragé «le Gouvernement, le Parlement, le secteur privé et la société civile à renforcer leur dialogue et à faire leur possible pour atteindre la stabilité et le développement durables.» Le représentant du Japon, l’ambassadeur M. Yukio Takasu, nous a rappelé ou appris:“ Pour parvenir à un développement durable, le Gouvernement d’Haïti doit afficher une claire vision de l’auto-développement et la volonté [d’en] assumer la responsabilité […] Il doit faire de sa stratégie du développement une priorité essentielle”. L’ambassadeur costaricain, Jorge Urbina, nous a réappris l’incontournable Vérité: «Les élites politiques, économiques et culturelles d’Haïti ont l’obligation première de conduire le pays à un meilleur niveau  de progrès.  Le pouvoir législatif et les partis politiques doivent assumer leur responsabilité d’établir un cadre politique et institutionnel5» capable de promouvoir «la modernisation et le développement».  L’ambassadeur des Etats-Unis, Susan Rice, a trouvé aussi une formule exacte pour rappeler la responsabilité inhérente aux Haïtiens dans tout projet visant à améliorer la situation de leur Pays. Elle a souligné ceci: “Haïti choisira sa propre voie en fin de compte, mais nous devons tous contribuer pour aider le peuple haïtien à réussir6En outre, entre le Secrétaire Général de l’ONU, Ban Ki-moon, et le président des Etats-Unis, Barack Obama, il semble exister une très grande compréhension et une remarquable complicité positive concernant Haïti. Sous ce rapport, il nous faut rappeler leur tête-à-tête tenu à Washington sur le dossier d’Haïti, immédiatement après le retour du Secrétaire Général d’Haïti. Ce même 10 mars, en effet, ils ont tenu à faire le point sur la situation du Pays. Ce geste diplomatique était éloquent;  peut-être la diplomatie et les Elites haïtiennes n’en ont-elles pas saisi la signification.

A l’évidence, Haïti et la CI sont en train de vivre un tournant décisif sans précédent. De vraies fenêtres d’opportunité peuvent s’offrir pour notre Pays: tout dépend de nous. Il nous faut finalement répondre aujourd’hui à cet appel pour la RP venu à la fois de la Nation haïtienne et de la CI. A cause du poids écrasant de la CI sur nous, il nous faut prendre des mesures pratiques et décisives pour alléger ce fardeau et le transformer en une vraie force productive pour le Pays, au lieu de continuer simplement à blâmer l’International. Nous devons plutôt  prendre très au sérieux et les autorités de la CI et toute la CI; et il faut les prendre au mot. Ne réduisons pas leur élan et leur enthousiasme pour Haïti au seul sommet de Washington du 14 avril écoulé, malgré les maigres résultats de ce forum de prêteurs/donateurs. Car, l’actuel gouvernement haïtien, par sa très mauvaise gestion et ses graves fautes diplomatiques, a complètement ruiné notre crédit et notre pouvoir de négociation sur la scène internationale. Misons sur le moyen terme;  continuons d’accorder aux officiels de la CI la présomption de bonne foi et mettons constamment cette bonne foi à l’épreuve en les poussant intelligemment à tenir complètement leur engagement vis-à-vis d’Haïti et nous aider à concrétiser notre vision en tant que Nation. Il s’agit là de l’axe fondamental de la nouvelle stratégie diplomatique à adopter immédiatement par Haïti.

Sans cette option impérative d’une Diplomatie haïtienne dynamique, éclairée, compétente, patiente, techniquement bien équipée et à l’abri des influences désastreuses de tout pouvoir d’État frappé de toutes sortes de déchéance, notre pays restera la risée et la proie facile du monde des relations internationales. En la mettant en œuvre, nous rendrons notre Nation et nous-mêmes forts, respectables, efficaces et utiles à nous-mêmes et aux autres.

Développons donc cette nouvelle école de pensée diplomatique dans nos discours, nos médias, nos écoles, universités et centres de recherche, le secteur privé, la société civile, le Gouvernement, le Parlement et le Pouvoir judiciaire. Formons immédiatement en diplomatie des professionnels de haut niveau capables d’aider et conseiller  ces structures ou institutions susmentionnées. Modernisons nos services diplomatiques. Arrêtons de nous accuser les uns les autres. Commençons plutôt à formuler collectivement des propositions claires, concrètes, progressistes et réalisables et soumettons-les aux pouvoirs publics; faisons aussi collectivement pression sur eux  pour les porter à satisfaire les aspirations de la Nation à la dignité et au bien-être.

Luc Rémy
luckyten1017@yahoo.com
17 avril 2009
États-Unis d’Amérique

Notes

  1. Cyprien L. Gary: Un agenda à court terme pour soulager le pays, Port-au-Prince, Haïti, 13 mars 2009
    http://www.lenouvelliste.com/articles.print/1/68116 
     
  2. Howard W. French: U.S. Sanctions Against Haiti Seem Ineffective, New York Times, April 26, 1992
    http://www.nytimes.com/1992/04/26/world/us-sanctions-against-haiti-seem-ineffective.html
     
  3. Secretary-General's remarks to the press at Palais National, Port au Prince, Haiti, 9 March 2009
    http://www.un.org/apps/sg/offthecuff.asp?nid=1274
     
  4. Radio Kiskeya: Ban Ki-moon endosse l’habit de porte-parole d’Haïti, Port-au-Prince, 31 mars 2009
    http://www.radiokiskeya.com/spip.php?article5791
     
  5. Security Council S/C 9628, 6101st Meeting, Department of Public Information, April 6 2009
    http://www.un.org/News/Press/docs//2009/sc9628.doc.htm
     
  6. Statement by Ambassador Susan E. Rice on Haiti: U. S. Mission to  The United States, April 6, 2009
    http://www.usunnewyork.usmission.gov/press_releases/20090406_070.html

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4) Vers la définition d’une stratégie pour déclencher et réussir la Révolution Pacifique

4.1 Les fruits de l’inaction: triomphe du statu quo aux élections de 2010 et  formalisation de la tutelle sur Haïti

La prémisse de l’action est la suivante: le contexte national et international actuel (nouveau président à la Maison Blanche, crise mondiale du néolibéralisme, expansion des réseaux criminels et terroristes internationaux…) et tous les événements importants récents et prochains concernant Haïti (plan Collier, élections sénatoriales des 19 avril et 21 juin, performance diplomatique déplorable du gouvernement à Washington, au sommet des Amériques et à Santo Domingo, désignation de l’ancien président Bill Clinton comme Envoyé Spécial de l’ONU en Haïti, catastrophe écologique, saisons cycloniques, élections législatives présidentielles de 2010…) sont de puissants SOS en faveur de la Révolution pacifique indispensable à Haïti. Et les Haïtiens, unis par un projet national fédérateur, sont capables de déclencher et réussir cette révolution. Par contre, notre refus (par insouciance, manque de principe ou conscience politique, par calcul politique ou intérêts économiques immédiats) de reconnaître la gravité de la situation et de nous engager collectivement pour construire le leadership collectif capable de changer immédiatement le cours de l’histoire nous conduira en 2010 à un nouveau coup d’état présidentiel par les urnes, semblable à celui de 2006, à la répétition, durant les prochaines années, de la courante expérience gouvernementale désastreuse. Tout cela se fera au nom de la démocratie et, même avec un peu de gêne passagère, la Communauté internationale criera au triomphe de la démocratie et acceptera le fait accompli, mais la honte et les malheurs des Haïtiens et de la Nation haïtienne s’aggraveront. D’ailleurs, la Communauté Internationale, dépassée en quelque sorte par l’enchevêtrement de la crise haïtienne, s’avance résolument vers l’exécution d’un nouveau test très osé dans ce laboratoire d’essai très prisé appelé Haïti : la mise sous tutelle formelle de la République d’Haïti. Et cette nouvelle infamie, en l’absence d’un agenda national clair, fédérateur et fonctionnel, peut très bien se concrétiser bientôt, peut-être avant même les élections de 2010. La nomination de l’ancien président américain Bill Clinton comme Envoyé Spécial de l’ONU représente, sous ce rapport, un avertissement clair à nous tous.

Et pourtant, - la Communauté Internationale le sait - il n’y a aucune garantie de réussite à cette nouvelle aventure. Les remarques de Don Bohning, reporter sur Haïti pour le Miami Herald de la mi-1960 à 2000, et partisan zélé de cette tutelle témoignent du caractère aventuriste du projet ; au fonctionnement (selon lui hypothétique) d’un Etat haïtien indépendant, “on doit sérieusement envisager des options alternatives-y compris une période de gouvernance internationale-  pour bloquer près de deux décennies de dégradation politique, économique et sociale continue. L’histoire de telles missions (appelées mandats, protectorats,  tutelles ou, plus récemment, administrations transitoires) n’est pas particulièrement heureuse, mais […] rien d’autre n’a réussi en Haïti1.”

4.2 Enclenchement de l’action concertée ou une symphonie à trois mouvements

Dans ces conditions, pleurnicher, invectiver et attendre le salut via des miracles ne sont pas, une fois de plus, des options. Et notre devise nationale, l’union fait la force”, représente aujourd’hui encore la meilleure méthode pour l’action. Cette  démarche dans l’unité s’apparente un peu à une symphonie à trois mouvements. Le premier mouvement s’appelle la concertation ou le dialogue des preneurs d’initiatives, le deuxième la recherche d’options opérationnelles et la détermination d’un  Plan National et le troisième la mobilisation permanente de la société haïtienne autour du Plan en vue de son application graduelle.

4.2.1 Dialogue des preneurs d’initiatives

Cette étape historique, incontournable, est la plus difficile, car elle est, d’un côté, celle de l’apprentissage de réactions et de gestes nouveaux, du dépassement de nos réflexes égocentriques inconscients, de nos intolérances idéologiques, de nos pratiques unilatérales ou de notre laisser-aller commun, et de l’autre côté, celle de la concession, de l’ouverture vers l’autre et vers les autres en vue de  construire un modus vivendi et un modus operandi collectifs. À cette étape, le déclenchement de l’initiative n’appartient à personne en propre: tout citoyen haïtien, blanc, mulâtre ou noir, peut, a priori, s’y essayer, soit pour amorcer lui-même le dialogue, soit pour encourager un autre ou d’autres à le faire. L’important est de ne pas perdre de vue deux faits essentiels: d’abord, on ne devient pas “le leader” par le fait d’initier le dialogue ou d’inviter d’autres à le faire; ensuite, le fait par quelqu’un de faire le premier pas ne disqualifie personne et n’empêchera personne de jouer des rôles importants dans le processus. Virtuellement, Haïti a des places et des rôles importants pour tous les Haïtiens; seule notre exclusive individuelle ou clanique et seule notre soumission au défaitisme peuvent faire perdre presque tout à presque tous. Néanmoins un ensemble de qualités (dialogue, écoute, planification, coordination, discipline,  responsabilité) et de ressources (temps, disponibilité, moyens logistiques) sont nécessaires à tout acteur ou tout groupe d’acteurs voulant offrir ses/leurs services. Autrement dit, le mépris, la méfiance ou même la haine vis-à-vis de l’initiateur (ou vis-à-vis du projet) motivés, par exemple, par la peur de rater son rêve de devenir “l’étoile montante” de la politique haïtienne, ou  à l’inverse, de devoir renoncer à sa conviction déjà bien ancrée d’être le “grand personnage politique” ou même le “futur président d’Haïti, sont des sentiments à refouler, car contreproductifs. De même, les vieux clichés et réflexes noiristes et mulâtristes2 sont à jeter à la poubelle de l’histoire, car ils dégradent et rapetissent leurs défenseurs, et tous les haïtiens peuvent et doivent travailler ensemble pour construire la grande Nation haïtienne.  Il faut plutôt penser et travailler avec enthousiasme et passion à la réussite du projet en se disant simplement: "Dans les grandes actions, il faut uniquement songer à bien faire, et laisser venir la gloire après la vertu"3.   

Cette action initiale a pour objectif de réunir un noyau originel d’acteurs, d’établir une sorte de leadership collectif temporaire en vue de connecter des citoyens autour du projet, favoriser la réflexion en groupes, produire des documents de base, élargir progressivement la base de soutien du projet et arriver à en faire petit à petit le projet de tous ou le projet de la Nation.

Les efforts politiques collectifs et concertés pour introduire des changements importants en Haïti n’ont pas manqué, surtout au cours de ces 20 dernières années. Leur grand trait commun a toujours été leur avortement au stade de concertation ou leur incapacité d’engager la majorité de la société haïtienne et de dépasser le stade de vœux pieux ou le renversement d’un gouvernement. La Convergence Démocratique, d’autres partis politiques, le Groupe des 184 et le GNB fournissent les exemples les plus récents d’actions collectives marquées par des entreprises infructueuses ou inachevées.

 L’une des approches fédératrices pourrait bien être aujourd’hui le lancement du dialogue à partir de l’expérience respective des partis politiques et du Groupe des 184. Dans ce cas, les nouveaux initiateurs de l’action – ces vocables ne sont pas l’opposé d’anciens initiateurs - pourraient tout d’abord se pencher ensemble sur les failles de leur expérience pour les éliminer ou en éviter la répétition; ils pourraient ensuite réfléchir ensemble aux apports à introduire dans le schéma pour renforcer le projet, le rendre réellement systématique, national et opérationnel et le faire soutenir par une imposante majorité de la société haïtienne. 

Sans nulle intention de diminuer leur mérite ou de causer du tort aux acteurs des partis politiques, du groupe des 184, il y a lieu déjà de faire les observations suivantes.

Quelques failles de la plupart de nos partis politiques

Parmi les faiblesses rendant les partis politiques pas très  efficaces, signalons:

  • Leur atomisation; ils sont environ 80;
     
  • Leur personnification ou leur identification avec leurs leaders et non avec un programme ou  un projet de société;
     
  • l’inamovibilité de leurs leaders historiques;
     
  • leur manque de contact et de lien avec les citoyens;
     
  • Leur difficulté à se moderniser, attirer des jeunes et de nouvelles ressources humaines;
     
  • leur forte propension à chercher la source du pouvoir et de légitimité du pouvoir à l’étranger ou dans la thaumaturgie, mais non dans le Peuple national;
     
  • leur grande tendance à rechercher des alliances et le rapprochement avec des gouvernements aux dépens des attentes et intérêts de presque toute la société;
     
  • leur incapacité ou leur manque de volonté d’exprimer et faire exécuter par les gouvernements les cahiers de doléances de la majorité écrasante des Haïtiens;
     
  • leur manque de moyens financiers;
     
  • leurs aspirations minimalistes caractérisées par leur tendance à rechercher et se satisfaire de portefeuilles ministériels (1à 3) ou d’une représentation  inférieure, au lieu de rechercher la conquête du pouvoir et l’application de leur projet de société en exprimant avec conviction et clarté les aspirations de la Nation;
     
  • Leur mode de fonctionnement basé sur un modèle de gestion familial;
     
  • Le décalage entre leur idéologie proclamée et leurs pratiques sur le terrain;
     
  • Leur peu ou leur manque d’intérêt pour les grands visionnaires ou théoriciens haïtiens (Louis-Joseph Janvier, Anténor Firmin, Boyer Bazelais, Edmond Paul, Dantès Bellegarde, Price Mars…);
     
  • Leur manque de clarté relativement à leurs positions sur les grandes questions nationales : question éducative, question agraire, vision de politique extérieure, présence de troupes étrangères sur le sol national,  modèle de développement national…

Quelques failles du projet du Groupe des 184

Parmi les failles du projet du Groupe des 184, mentionnons:

  • le caractère exclusif et fallacieux des dénominations du groupe: certes, des secteurs de la société civile ont pris l’initiative de l’action, mais parler de “Groupe de la Société Civile” (avec l’un de ses éléments appelé “Initiative de la Société Civile”), c’est prétendre représenter toute la société et parler en son nom; c’est aussi envoyer le message de la mise à l’écart des partis politiques (structures également privées) et des pouvoirs publics; de même, quantifier l’entité en l’appelant Groupe des 184+, loin d’en créer une impression de force et de cohésion, en a plutôt projeté une image de rapiéçage, de bluff, et donc de fragilité. Cette image s’est agrandie par la présence au sein du groupe d’associations très peu ou pas du tout représentatives à l’échelle nationale ou même locale.
     
  • son expression apparemment circonstancielle et exclusivement électoraliste: au lieu de se construire sur un registre de patrimoine national permanent et institutionnel à introduire dans l’État et à gérer par des gouvernements successifs et toute la société, et au-delà de mandats électoraux, cette expérience a paru plutôt une réponse ponctuelle, un simple mouvement pour remplacer un gouvernement odieux et permettre la tenue de l’élection présidentielle, n’importe comment. La plus grande preuve en est la mise en veilleuse du Groupe des 184, à la chute d’Aristide et à l’arrivée de MM. Latortue et Boniface au pouvoir. La relance aujourd’hui des activités du groupe en l’absence d’une stratégie totalement repensée renforcerait, à ses dépens, les soupçons d’une démarche purement électoraliste et partisane camouflée derrière un soi-disant projet de Nouveau Contrat Social.

Le manque de sincérité, de conviction et de suivi dans la conduite du projet: la présentation officielle et solennelle du Nouveau Contrat Social (NCS) de 12 pages sur la Place du Drapeau, Arcahaie, le 13 novembre 2005, semble avoir exprimé la satisfaction des acteurs d’avoir bien achevé leur mission et d’avoir déposé les armes, sans même une escarmouche avec le nouveau gouvernement. A cet égard, l’incident du drapeau national recousu ce jour-là  par le PM Gérard Latortue et M. Michel Brunache, Chef du Cabinet particulier et représentant du président Alexandre Boniface, est fort symbolique: «le drapeau ne pouvait pas être hissé suite à un petit problème technique.4» Aux yeux des observateurs, les leaders du Groupe 184 ont simplement ramené le NCS à un objet de musée ou d’archives destiné seulement à attester la fin de leur combat. Or, dans ce nouvel espace relativement moins hostile au Groupe, il leur fallait  continuer et même intensifier les efforts; il fallait négocier avec le gouvernement et l’engager vigilamment sur le projet; ils auraient dû accorder la priorité au besoin de poser effectivement les bases du Nouveau Contrat Social mais non à la tenue immédiate d’élections sans conditions. Le programme du gouvernement de transition aurait dû sortir du NCS. Il leur fallait aussi, par exemple, élaborer de concert avec lui un Plan Global de Développement (PGD) ou Plan National de Développement (PND) de 20 ou 25 ans et s’arranger pour en faire la plaque tournante de toutes les prochaines campagnes électorales. Mais l’agenda du Leadership du groupe des 184 n’était pas si ambitieux; il n’était pas national. En fait, aucun effort n’a été fait, entre 2004 et aujourd’hui, pour réviser, augmenter et vulgariser le NCS, et en faire effectivement l’expression de nos aspirations collectives en tant que Nation. A l’évidence, le projet des 184 n’a pas été conduit avec sincérité, conviction et esprit de suivi.  

En tout cas, au-delà de leurs erreurs passées, les partis politiques, le groupe des 184, et aussi d’autres expériences comme les mouvements de paysans, d’étudiants, d’enseignants et du GNB demeurent un très riche cadre de référence à exploiter aujourd’hui pour déclencher et conduire victorieusement la Révolution indispensable à Haïti.

4.2.2 Recherche d’options opérationnelles et détermination d’une vision stratégique et d’un Plan Global de Développement (PGD) avant janvier 2010

À cette étape, il s’agit de mettre sur la table les apports fournis par les différents secteurs engagés dans le projet, les analyser, les discuter, écarter après mûre réflexion, les éléments non désirés et en arriver ainsi à un projet de société. Cette vision fournit la matrice des plans de restructuration et de modernisation du pays. Ces plans pourront être biennaux, triennaux, quadriennaux ou quinquennaux, selon les besoins. Ils seront préparés, sur une base de coopération, par des techniciens choisis pour leur compétence.

Notre attentisme aujourd’hui nous sera suicidaire demain. Il nous est donc éminemment important de planifier collectivement et sérieusement l’action politique entre aujourd’hui et les élections générales de la fin de 2010. Le minutage de l’action est fondamental aujourd’hui pour faire face victorieusement, entre autres, aux éventuels scénarios suivants:

  • Pour une raison quelconque, M. Préval n’achève pas son mandat;
  • M. Préval se prépare, selon son habitude, à entretenir la confusion, le manque d’intérêt et des incertitudes autour des élections de 2010 en vue d’en arriver à son dernier coup d’état par les urnes, mettre son poulain au pouvoir et ouvrir ainsi la perspective de quelque 20 autres années désastreuses pour le pays;
  • La communauté internationale, à court de solutions à la crise haïtienne, mais décidée, de toute façon, à agir,  se prépare à renforcer et prolonger la gouvernance internationale sur Haïti, sans aucune assurance de pouvoir réellement juguler la crise et ramener Haïti à la souveraineté; ce scénario aussi pourrait nous laisser aller à la dérive pour une autre bonne vingtaine d’années;
  • La communauté internationale s’arrange pour nous imposer le président de la République, selon ses propres critères et une méthode déjà testée positivement en 2006; les conséquences négatives d’une telle éventualité non souhaitable sont incommensurables;
  • La communauté internationale, face à notre incapacité de nous donner une alternative politique et économique viable, nous impose un mini plan économique et oriente ainsi le pays vers du bricolage économique, budgétivore, sans effets multiplicateurs, sans réelle création de richesses nationales, et donc très susceptible d’entraver pour longtemps notre décollage politique, économique et social…

4.2.3 Mobilisation permanente autour du Projet de Société et du Plan Global de Développement (PGD)

Il s’agit ici d’accorder la priorité absolue à ces deux outils du changement (Projet de Société et PGD), de déclarer et maintenir la permanence de l’activité pour les vulgariser, leur trouver le plein soutien de la société haïtienne. Cette mobilisation comprend aussi des efforts organisés et soutenus pour en faire le centre des campagnes électorales, les faire adopter et exécuter par les candidats, les élus et toute la société. Assurer le suivi, critiquer, contrôler, proposer des mises à jour font aussi partie de la mobilisation. Celle-ci prend des formes diverses (conférences de presse, conférences, brochures, livres, débats, sit-in, marches) et a lieu dans les médias, les églises, les écoles, les universités, les associations, le gouvernement, les places publiques, les clubs et autres…

luckyten1017@yahoo.com
Luc Rémy
31 mai 2009
Etats-Unis d’Amérique

Notes

  1. An international protectorate could bring stability to Haiti
     
  2. Les noiristes prônent «tout par et pour les noirs» et les mulâtristes «tout par et pour les mulâtres».
     
  3. Oraison funèbre de Louis de Bourbon, prince de Condé (1687), dans Œuvres complètes, Jacques-Bénigne Bossuet, éd. Outhenin-Chalandre fils, 1836, t. II, p. 631
     
  4. Publication officielle du Nouveau Contrat Social

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5) REVENONS A LA LETTRE AUX ELITES HAITIENNES

Elites de Mon Pays,
Un formidable jeu de caprices historiques malfaisants et incontrôlables a creusé ce décalage immense entre la présente et les précédentes portions de cette Lettre aux Elites haïtiennes entamée à la fin du mois de mars écoulé. Heureusement, ce fossé est de temps mais non de vision: il n’affecte en rien la cohérence de ce projet épistolaire fait essentiellement d’exhortations à l’action patriotique collective et de propositions et recommandations stratégiques pour Haïti.

A la vérité, tout le long de cette suspension involontaire du chantier, nous espérions vivement ne pas avoir à le reprendre ni terminer; nous rêvions plutôt, béatement peut-être, du surgissement, dans l’intervalle, de quelque leadership dynamique et fédérateur rendant futile notre démarche et sans objet nos conseils et recommandations de simple citoyen au cœur meurtri par le spectacle de la dérive physique et morale continue de la Nation.

Nous rêvions audacieusement, pour 2009, de  la mise en place de quelques balises politiques rassembleuses, d’une germination d’arrangements politiques audacieusement porteurs, d’une impressionnante recomposition du paysage politique national, et d’une sérieuse mise en commun d’atouts tactiques et stratégiques de groupes organisés, d’institutions diverses et de femmes et d’hommes de terrain (ou nouvellement venus) de la politique haïtienne. A notre sens,  l’année 2009 pouvait être (et peut-être encore, même tirant à sa vie) le début de la macroplanification dans la politique haïtienne, pour structurer et l’Etat et le Paysage politique ; l’élaboration et la promotion d’un ou de deux grands plans nationaux, avant même l’entrée en campagne d’un quelconque candidat à la présidence, la mobilisation de nombreux acteurs pour la construction et la consolidation d’une imposante plate-forme politique, des négociations sérieuses  entre les partis (et aussi les potentiels candidats indépendants) pour limiter au plus à deux ou trois figures de proue la liste des candidats à la présidence, un dialogue collectif profond avec le président de la République et son  gouvernement en vue de les amener, ou mieux persuader, d’établir aujourd’hui même, la composition définitive du CEP pour les élections  de 2010,  et aussi les structures organisationnelles et le calendrier de telles élections, tout cela nous a paru la mission des acteurs politiques haïtiens pour ces 8 mois écoulés et ces quelque 4 prochains.

Rien de tout ça ne s’est encore matérialisé1: notre rêve a survécu à notre indisponibilité ; le temps n’a pas tué nos espérances, et cela nous force maintenant à reprendre le collier pour conclure nos remarques et propositions, continuer notre contribution au relèvement du moral des compatriotes et les exhorter à l’action patriotique intelligente, c’est-à-dire socialement et économiquement juste et progressiste, politiquement intégrée et libératrice. C’est là notre façon de garder la foi dans l’avenir et la capacité d’Haïti à se ressaisir.

En revenant au projet, nous nous faisons le devoir de rappeler à tous, une fois de plus, les enjeux de la présente conjoncture pour Haïti: la nécessité incontournable de la prise en charge immédiate d’Haïti par elle-même. Cette mission passera (avec l’aide d’un leadership naissant, individuel ou collectif) par un réveil collectif immédiat des compatriotes haïtiens, vivant sur le sol national ou à l’étranger, et l’implication effective et permanente des masses dans l’activité politique nationale. Et ce réveil lui-même peut se concrétiser, dans le contexte actuel (2009-2011), à travers, entre autres, la mobilisation, la concertation, l’organisation et la planification pour concevoir et traiter les élections générales de 2010 comme des enjeux stratégiques centraux du Projet de Société et du Plan Global de Développement (PGD), dans le cadre du combat patriotique et démocratique pour la reconquête de l’indépendance nationale et l’avènement d’une ère de progrès socio-économiques réels, substantiels et durables. Cette permanence de l’action collective autour de cette cible aura pour avantage de: 

  1. empêcher l’atomisation et la dispersion des forces de progrès urbaines et paysannes (et aussi des diverses forces électorales) du pays;
     
  2. clarifier de très tôt les grands enjeux des élections pour le pays et les électeurs;
     
  3. permettre aux thèmes de fond ou grandes questions nationales d’avoir, de très tôt,  avant le lancement de la campagne électorale, une résonance nationale mais non partisane;
     
  4. faire prendre très au sérieux les partis politiques ainsi que les hommes et les femmes politiques d’Haïti, dans le pays et à l’étranger;
     
  5. prévenir ou réduire les risques de fraudes électorales et un coup d’état présidentiel par les urnes par des groupes rétrogrades et favorables au statu quo
     
  6. prévenir l’élection d’un démagogue ou d’un incapable ou la victoire d’une plate-forme réactionnaire sans un dessein pour Haïti, sans autonomie de responsabilité ou sans capacité pour incarner la Vision de Société ni conduire l’exécution du Plan Global de Développement;
     
  7. rendre quasi incontournable la victoire électorale de la plate-forme porteuse des meilleures propositions pour l’amélioration d’Haïti et en mesure de les exécuter à travers ses élus;
     
  8. permettre au pays, à partir de 2010,  d’en finir avec les improvisations et sacrilèges politiques et le bricolage institutionnel, et d’entrer dans l’ère des dirigeants respectueux de l’indépendance nationale, soucieux du bien public et de la grandeur du peuple haïtien, et pleinement responsables devant la Nation;
     
  9. clarifier et rendre transparent le paysage politique national et fortifier le débat démocratique national;
     
  10. faciliter et renforcer la cohésion de la plate-forme politique composée des forces sociales de progrès,  et lui permettre d’être un symbole et un véritable catalyseur du changement, au pouvoir ou dans l’opposition;

De telles considérations concernant la mobilisation collective pour le changement politique démocratique et le changement socioéconomique progressiste en Haïti nous amènent à aborder directement la question cruciale et centrale de la mise en place d’un AGENDA STRATEGIQUE HAITIEN pour les 25-30 prochaines années.  

6) VERS L’ETABLISSEMENT D’UN AGENDA STRATEGIQUE HAITIEN POUR DECLENCHER ET REUSSIR LA REVOLUTION PACIFIQUE

L’essence d’un agenda stratégique

En tenant compte de la conjoncture nationale et internationale actuelle et des facteurs historiques, sociologiques, économiques et géographiques appropriés, un Agenda Stratégique National comprendra, entre autres, les actions ou éléments suivants :

  • Une vision et une conviction géopolitiques et géostratégiques d’Haïti;
     
  • Le déclenchement de la volonté politique d’agir bien et collectivement; la mise en place de ce démarreur ou déclencheur de l’action collective ou en équipe passe immanquablement par l’émergence d’un leadership capable et responsable (les points 2 et 4.2 de la troisième partie de la présente lettre suggère un croquis de modèle stratégique du genre);
     
  • Un Code de bonne conduite;
     
  • La recherche, l’obtention et le maintien d’un fort soutien populaire à l’Agenda National Agenda;
     
  • La mise en place d’une direction des initiatives et du suivi et de coordination avec les Pouvoirs publics et d’autres secteurs;
     
  • La détermination des priorités stratégiques et tactiques pour les court et moyen termes et la concentration ou focalisation sur de tels objectifs;
     
  • La détermination des objectifs prioritaires de longue durée;
     
  • L’indication des voies et moyens; un agenda national préparé avec sérieux et responsabilité nous autorisera à rechercher et obtenir plus de 8 milliards de dollars américains de l’international; à cela il faut ajouter les apports nationaux (également exprimables en milliards de dollars) à tirer de la création de nouvelles richesses, d’une meilleure gestion des finances publiques et de l’exploitation rationnelle de nos ressources naturelles minérales et non minérales;
     
  • Les scénarios pour faire face aux impondérables ou moduler les plans …

7) QUELQUES PROPOSITIONS ESSENTIELLES ET PRIORITAIRES À INTRODUIRE DANS L’AGENDA STRATEGIQUE NATIONAL

  1. consigner formellement l’inévitable obligation pour les élites haïtiennes d’assumer, elles aussi, leurs missions et responsabilités historiques;
     
  2. créer ce Starter/déclencheur ou cette Volonté politique et morale de changer réellement Haïti (doit/doivent se manifester un homme/une femme ou un groupe d’hommes et de femmes,  ou un parti/un groupe de partis ou d’organisations à la volonté ferme et inébranlable et à la vision grandiose);
     
  3. convoquer une espèce de mini congrès national politique, mais surtout technique, pour mettre en commun une Vision d’Haïti et un grand Dessein collectif pour la Nation;
     
  4. développer et consolider l’idée d’une Haïti devenue grande par une Diplomatie compétente et forte, des institutions efficaces et stables, un marché national et dynamique, un secteur privé créatif et intégré investissant dans tout le pays et compétitif au plan régional et international, un partenariat transparent entre les secteurs public et  privé, un système éducatif excellent, le respect des principes démocratiques et de nos institutions et organisations publiques et privées, par l’insertion de toute la campagne dans le circuit bénéficiaire  de services publics et privés, etc.
     
  5. dégager un leadership politique et managérial collectif, dynamique, compétent et respectable, à partir de contacts téléphoniques, de rencontres, de productions d’idées et de documents, de négociations, des compromis éclairés, du mini congrès national (suggéré en c) et des concertations de suivi consécutives à ces différentes activités;
     
  6. développer la concertation avec les pouvoirs publics nationaux et locaux établis autour de l’Agenda National et des axes d’action définis;
     
  7. dialoguer et  discuter avec l’actuel Président de la République et son gouvernement pour obtenir leur soutien à l’Agenda National, le faire traduire en Politique Publique et éviter tout dilatoire et toute distraction dans sa mise en œuvre sous forme de plan ou programme gouvernemental;
     
  8. orchestrer une campagne de sensibilisation sur les objectifs  prioritaires;
     
  9. soutenir intelligemment le gouvernement dans l’exécution du programme prioritaire;
     
  10. définir les axes prioritaires et stratégiques du développement national; l’axe des priorités absolues comprend, entre autres, pour les court et moyen termes, c’est-à-dire sur une période d’un à cinq  ans, les actions suivantes:
     
    • la préparation et l’organisation sérieuses des élections de 2010;
    • la mise en œuvre d’un vigoureux plan de lutte contre la corruption et le crime;
    • la mise en place d’un vaste et solide programme agricole destiné, entre autres, à résorber le chômage,  réaliser l’autosuffisance alimentaire, approvisionner le système de cafétérias de nos écoles et hôpitaux,  garantir une saine industrie de la conserve, combattre l’érosion, recréer notre couverture végétale, développer l’éducation agricole et produire en abondance pour la consommation locale et l’exportation;
    • la création d’un réseau national de cafétérias pour résoudre le problème alarmant de la mal/sous-nutrition dans nos écoles et universités privées et publiques et aussi créer de nombreux emplois, à partir d’un système de production agricole et alimentaire public/privé impliquant des étudiants,  des parents et d’autres intervenants, et utilisant des terres privées et/ou de l’Etat;
    • la Modernisation des services de Douanes et d’Impôts pour promouvoir la justice fiscale et accroître les recettes fiscales locales et nationales;
    • La construction, l’équipement et l’ouverture de deux grandes et décentes prisons nationales;
    • l’activation immédiate des mécanismes de fonctionnement du Pouvoir judiciaire pour faire appliquer strictement et également les lois et établir la légalité et la justice dans le pays;
    • la mise en place de mécanismes appropriés garantissant la responsabilité pénale effective des comptables de deniers publics dans le gouvernement  même, des organisations privées ou dans le secteur privé gérant des fonds publics fournis par l’Etat haïtien ou des instances internationales;
    • prendre effectivement contrôle de la Police nationale haïtienne  par l’Etat haïtien et mettre en place un plan de sécurité adapté destiné à la mettre en situation de combattre le vol, la corruption, le kidnapping, le trafic de la drogue, les crimes en général, et créer des conditions propres aux investissements et au déroulement normal de la vie sociale dans le pays;
    • le  rétablissement des Forces Armées d’Haïti sur la base d’un plan de formation et d’entraînement, de déploiement et d’opération à l’échelle du territoire national, y compris nos eaux territoriales, notre zone économique exclusive, nos îles et notre espace aérien;
    • la réouverture de l’Académie Militaire avec l’appui de techniciens haïtiens et étrangers et l’introduction de programmes de formation basés sur notre histoire, nos valeurs et nos besoins et les grands principes et techniques de défense universels;
    • le renvoi planifié dans leur pays des forces armées et de police internationales basées dans le pays;
    • le comptage ou recensement en bonne et due forme de la population haïtienne de l’intérieur et de l’extérieur et l’établissement de la carte d’identité nationale personnalisée et obligatoire pour tous les haïtiens, et tous les étrangers résidant en Haïti;
    • le numérotage de toutes les maisons du pays conformément aux normes  d’urbanisme;
    • la fusion et la modernisation des Services de Poste et de Télécommunications d’Etat  pour assurer des services effectifs et de qualité à tous les agents économiques opérant sur le territoire national ou faisant des échanges avec Haïti;
    • la création d’une banque de données fiables sur les ressources humaines haïtiennes de haut niveau disponibles en Haïti et à l’étranger: agriculteurs, agronomes, économistes, géographes, ingénieurs, géologues, linguistes, polyglottes, enseignants, médecins, infirmières, chimistes, océanographes, cartographes, pêcheurs, pharmaciens, pilotes, urbanistes, architectes, marins, dessinateurs…
    • la mise en place, à partir de la banque de données susmentionnée, d’un vaste programme de formation technique multisectorielle adaptée, accélérée mais en profondeur (Justice, Droit Pénal, Diplomatie et Administration publique, Droit International public, Droit des Affaires, Droit Fiscal, Droit du Travail, Négociation Commerciale, Code Douanier, Code des Investissements, Pisciculture et Pêche, Énergie, Géologie et Ressources Naturelles (en vue de l’exploitation rationnelle et rentable de l’or, du cuivre, de l’argent, de la bauxite, l’iridium du pays, nos produits halieutiques, nos nodules métalliques…), Langues Etrangères, Langues Etrangères, etc.
    • la mise en place d’une couverture énergétique en vue  de rendre possibles des investissements et l’installation d’entreprises à travers tout le pays;
    • la construction d’infrastructures routières prioritaires et d’autres d’infrastructures de base pour résorber le chômage, faciliter des investissements, et des interventions  publiques ou privées à travers tout le territoire national;
    • l’établissement du plan cadastral de la République d’Haïti (pour connaître le statut du sol, identifier les propriétaires publics ou privés et rendre possible une exploitation et une gestion rationnelles et sûres du territoire national);
    • la fermeture des services de l’État créés par légèreté, scissiparité administrative et dédoublement inutiles et budgétivore, en vue de faire des économies d’argent et faciliter la coordination et la dynamisation du travail administratif (Ministère à la Condition Féminine/Affaires Sociales,  Ministère des Haïtiens Vivant à l’Etranger/Ministères des Affaires Etrangères, Poste/Télécommunications…). Le gouvernement prendra les mesures nécessaires pour caser les fonctionnaires et employés de ces services dans d’autres institutions, en fonction des priorités;
    • la modernisation des services des ambassades et consulats haïtiens en vue de les mettre en état de mieux défendre les intérêts d’Haïti et servir, dans tous les cas (promotion de produits haïtiens, vote à partir de l’étranger dans les élections nationales, assistance aux compatriotes en difficultés et en quête d’aide, service aux contribuables et à la clientèle, etc.), les entreprises et citoyens haïtiens, et aussi des entreprises et citoyens étrangers se mettant en contact avec Haïti;
    • l’établissement de la facture pro forma des objectifs prioritaires à court et moyen termes, et aussi des autres objectifs, et des fonds nécessaires à la réalisation des différents points du présent plan d’urgence;
    • l’identification des sources des fonds haïtiens ou étrangers nécessaires à l’exécution de l’Agenda National et négociation compétente et responsable avec les prêteurs ou fournisseurs;
    • la spécification de la nécessité et de l’obligation pour les acteurs haïtiens de rendre régulièrement compte à la Nation et de toujours faire passer  l’apport national dans tous les dossiers concernant prioritairement Haïti…

Luc Rémy
Etats-Unis d’Amérique
4 septembre 2009

  1. Entre la rédaction de cette idée et aujourd’hui, une très légère modification s’est observée avec la formation de la coalition ADRENA, ADEBHA, GREH, MNP-28 ET RDNP, le“Congrès de l’Unité de la Diaspora Haïtienne” (6-9 août 2009), la “Rencontre Patriotique Pour Une Stratégie De Sauvetage National”  de Santo Domingo (28-30 août). Nous encourageons les initiateurs  de ces démarches à les approfondir,  rassembler large et accorder la priorité absolue à l’Agenda National et éviter, dans l’avenir leurs fautes de départ, liées soit à la symbolique du lieu soit à celle de l’incarnation de l’Etat haïtien…

Viré monté