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Pour un nouveau paradigme
des relations haïtiano-américaines

Luc Rémy

4 mai 2009

Le cadre traditionnel des relations entre Haïti et les États-Unis a volé en éclats, il y a environ vingt ans. Un tel changement et les exigences de la démocratie moderne veulent que les deux diplomaties se redéfinissent pour un meilleur partage des bénéfices et en vue de préserver réellement la paix et la sécurité sur le continent américain.

Quelles sont ces données majeures qui ont bouleversé l’ordre et l'esprit traditionnels des relations des deux États et invitent aujourd’hui à leur réorganisation et à leur mise à jour? J’en vois un très grand nombre, mais je voudrais en signaler seulement quatre pour l’instant.

Mentionnons tout d’abord l’échec des différents plans imposés par les Américains à Haïti. En dépit de leur longue et constante présence dans l’Île (1915-1934), de leur proximité géographique d’Haïti, de leur profonde implication quasi permanente dans le processus de prise de décisions politiques et économiques de ce pays, et en dépit de leur grande influence sur son secteur  privé  et sur son secteur public, ils y ont introduit  très peu de leur “way of life”. Ils n’ont jamais pu introduire et institutionnaliser en Haïti même la caricature de leur système politique et administratif, ni un embryon de leur marché de la bourse.Leur baseball, par exemple, très populaire dans des pays voisins comme Cuba et la République Dominicaine, n’a jamais pu s’implanter dans le pays; l’anglais n’y a pas gagné beaucoup de terrain. Quoique très soumise à leur influence, Port-au-Prince s’est plutôt transformée en un puissant pôle d’attraction, concentrant et décidant tout, suçant le reste du pays et attirant des masses d’Haïtiens espérant, d’une façon ou d’une autre, laisser Haïti un jour et vivre sur la “Terre Promise”. Haïti demeure en très grande partie rurale, arriérée et sans infrastructures adéquates.

Un second facteur plaidant pour un réajustement des relations haïtiano-américaines réside dans  l’impossibilité et l’incapacité des deux Etats de mener leurs échanges sans à-coups et les contenir dans le canal bilatéral. Depuis la décennie 1990, les États-Unis sont incapables de faire passer leur vision et plan traditionnels en Haïti; des cas de force majeure des relations internationales récentes les ont contraints à recourir au multilatéralisme (ONU, OEA, CARICOM, UE et Groupe des Amis d’Haïti).

Troisièmement, il y a eu aussi échec des plans multinationaux ou de la Communauté Internationale, massivement associée, depuis 1990, au leadership américain en Haïti. En quelque 16 années (1993-2009) 7 imposantes missions civiles ou forces armées spéciales -consommant en moyenne 500 millions de dollars1- et deux interventions militaires américaines (l’une conjointement avec des forces française), se sont déroulées en Haïti. Mais, entre-temps, Haïti a été considérée un «Etat en faillite» et déclaré  une «menace pour la paix et la sécurité internationales», aux termes du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Les sources de menace contre la paix intérieure et extérieure se sont tellement accrues dans le pays et ses frontières sont devenues tellement poreuses et perméables aux activités criminelles et déstabilisatrices que le Représentant spécial du Secrétaire Général et chef de la (MINUSTAH)  en a appelé à «un effort régional accru pour aider Haïti à contrecarrer des groupes criminels transnationaux basant des opérations dans le pays.2»
 
Un quatrième paramètre fondamental qui rend urgent le besoin de revoir de manière responsable les relations Haïti-USA est le découpage ou la partition involontaire d’Haïti. Aujourd’hui, Haïti s’est transformée en une tour de Babel sous la forme de zones d’influence partagées entre une myriade d’entités qui, à cause de leurs réalités culturelles et historiques propres, ne regardent pas nécessairement toutes dans la même direction, ne défendent pas les mêmes projets, ni ne conçoivent de la même manière la sécurité sur le continent américain. En l’absence de l’établissement sur tout le territoire national d’un seul et unique leadership, c’est-à-dire d’un leadership haïtien, avec une armée, une police et une administration nationales, il faut s’attendre, en provenance d’Haïti,  aux pires catastrophes, et pour Haïti et pour le reste du continent américain. Dans ce contexte où Haïti est en train de devenir de plus en plus vulnérable, l’un des scénarios très probables pourrait être l’utilisation de son territoire comme une tête de pont idéale pour lancer des attaques très meurtrières et dévastatrices contre les États-Unis et, dans le cas de représailles, contre Haïti elle-même.

Ne l’oublions pas: la haute valeur géostratégique d’un État ne réside pas exclusivement dans sa puissance militaire, politique et économique, ni dans sa position géographique. Le 11 septembre 2001, l’Afghanistan nous a rappelé cette puissante leçon de géostratégie. La Somalie, infestée aujourd’hui de pirates de la haute mer, très dangereux et bien organisés, est en train de nous re-enseigner cette même leçon vitale. L’appauvrissement exponentiel d’Haïti et  les nombreuses maladresses internes et externes liées à sa gestion en font une véritable bombe à retardement contre notre sécurité collective. Il ne faut pas la laisser trop longtemps au fond de son abîme. C’est une affaire de sécurité collective: la dérive de l’État et l’abandon de ses citoyens à leur misère et désespoir peuvent déboucher sur les catastrophes collectives les plus inimaginables.

Luc REMY
4 mai 2009
Etats-Unis d’Amérique

Notes

  1. Selon president Préval rapporté in “Haitian President Appeals for Emergency Aid”: http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2009/02/06/AR2009020603309.html
     
  2. UPI: MINUSTAH calls for regional support
    http://www.upi.com/Emerging_Threats/2009/02/23/MINUSTAH-calls-for-regional-support/UPI-74691235424416/

 

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