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Rien à gagner de l’«Initiative des Bahamas»

(26 janvier 2004)

Luc Rémy

Président Aristide, «C’est votre dernière chance. Vous ne pouvez laisser filer une telle opportunité.»  M. le Premier Ministre Manning, je vous prie  d’«envisager les initiatives qu’il faut prendre pour comprendre et contrôler un peu la crise haïtienne.»

Rapportées par des diplomates trinidadiens, ces déclarations, si elles sont authentiques, sont l’une des rares opinions rendues publiques du président George Bush sur la crise haïtienne. Loin de représenter une décision ferme et assurée du Chef de l’État des États-Unis dans le dossier, ce langage diplomatique, à mon sens, décodé, exprime deux confessions sincères et profondes qui expliquent le bas profil gardé, dès le 20 janvier 2001, par l’administration républicaine concernant Haïti. Tout d’abord, Aristide est encore au pouvoir parce qu’il n’a jamais complètement perdu notre soutien ou, tout au moins, parce que nous n’avons jamais agi contre lui.  En cette veille d’élections présidentielles américaines, il doit à tout prix, surtout concernant notre collecte de votes, éviter de créer des ennuis à notre gouvernement. Ensuite, nous nous sommes gardés d’intervenir dans la présente crise haïtienne parce que, tout comme les précédentes, nous ne la comprenons pas et, subséquemment,  nous sommes sûrs de ne pas pouvoir la résoudre. Les occupations de 1915-1934 et de 1994-2004, entre autres, sont des «échecs de la démocratie» si cuisants qu’elles  nous imposent désormais la prudence extrême, en tout ce qui a rapport à Haïti.

De tels propos sont particulièrement importants dans le contexte national actuel où Aristide a révélé toute la nature hideuse et éhontée de sa dictature et où la Nation, à travers diverses formes de refus ou d’affirmation, cherche à reconquérir son autonomie de responsabilité et à construire la démocratie par la liberté, l’égalité et le progrès socio-économique. Ils sont d’autant plus importants que les États-unis, qui se veulent le champion mondial de la démocratie,  avaient solennellement ramené Aristide au pouvoir et que certains secteurs de pouvoir de la société haïtienne, favorables à cette pratique du «bon père dispensateur de démocratie», ne cessent d’en appeler à l’action de Washington contre Aristide et d’espérer dans le patronage du grand Voisin pour qu’il «verse la manne  de la  démocratie» sur Haïti.

Une rupture méthodologique des élites, le premier pas vers le changement en Haïti

La classe politique haïtienne et tous ceux d’entre nous qui n’avaient pas encore compris la réalité politique d’Haïti au regard de l’Ordre Mondial ont intérêt à sauter sur cette remarquable déclaration du président Bush, pourtant passée peut-être inaperçue, pour se ressaisir. La crise haïtienne actuelle, tout comme celles qui l’ont précédée en quelque 200 ans, n’est pas et ne peut pas être comprise et résolue par la communauté internationale, dans son ensemble, et encore moins par l’Afrique du Sud et les membres de la CARICOM qui n’ont ni l’«âge historique» en tant qu’État et Nation ni, subséquemment, la «conscience historique », adéquate,  du «fait haïtien» en filiation directe  à la Révolution de 1804. Il y a une raison très simple à cela: il appartient d’abord à la Nation haïtienne, à la fois seule  victime et seul témoin de Ses souffrances, seul géniteur de Son vécu et de Ses aspirations,  de se comprendre, de se faire comprendre pour qu’on la comprenne, de l’intérieur et de l’extérieur. Et ce n’est pas en confiant à l’Autre, le soin de la materner  ou même de se substituer à elle  qu’Elle s’acquittera de Sa mission. L’Autre ne pourra fournir qu’un apport financier et technique. Or la Nation, une fois qu’elle assume pleinement son destin, à travers ses élites, pourra aisément recevoir cette aide.

Sous ce rapport, le «Peuple National» ne doit pas espérer grand-chose de l’«initiative des Bahamas » provoquée  par les États-unis.  Pour sincère que puisse être l’intention de l’oncle SAM,  son initiative n’apportera pas de solutions appropriées au problème. D’ailleurs, elle ne  représente, à l’évidence, qu’une échappatoire aux objectifs clairs: étouffer momentanément les revendications de la Nation haïtienne contre Aristide et le système, jusqu’aux élections présidentielles en novembre prochain.

En fait, la présente crise, au-delà de la question d’Aristide à régler dans l’immédiat, est avant tout «superstructurelle»,  c’est-à-dire,  après ses deux cents ans d’indépendance, Haïti est en train de développer une crise de la Conscience Historique Nationale en quête d’une Pensée organisatrice, de son Unité historique et de la prise en charge de la Nation haïtienne par elle-même. Voilà pourquoi la seule thérapie applicable à la situation actuelle est une révolution pacifique. Celle-ci signifie une rupture méthodologique dans le penser, le dire et le faire, dans le cadre d’un projet national bien conçu,  axé sur la participation citoyenne et piloté avec discipline, esthétique, savoir-faire, honnêteté, ordre, esprit de sacrifice et leadership en vue de résultats démocratiques profonds et durables.  Cette  révolution ne peut être  que nationale.  Elle seule contient la vraie semence de la démocratie, d’élections sérieuses, de progrès économique et de la réhabilitation d’Haïti. Les États-unis le savent; le reste de la communauté internationale le sait. Il appartient à nous autres Haïtiens de nous l’apprendre et d’en tirer les conclusions qui s’imposent, dans la flamme vive même de cette  conscience nationale en réveil et en phase de «cristallisation».

Nos Pères révolutionnaires, bien que handicapés par le vacuum intellectuel développé à Saint-Domingue par la France, ont réussi à balayer  le mythe de l’«inégalité des hommes». Quelle Révolution inégalable? Il appartient aujourd’hui à nos compétences intellectuelles et techniques d’offrir les repères théoriques principiels et pratiques de la Révolution Démocratique Haïtienne qui s’impose en ce début du 21ème siècle.

À cette seule condition Haïti pourra éviter Aristide après Aristide, c’est-à-dire  le maintien de la matrice cancéreuse et cancérigène qui a accouché des monstruosités duvaliériennes, aristidiennes et consorts.

Élites et Intellectuels politiques haïtiens, à Vous  de jouer! Pour une fois, allez-y,  vite et bien!  

Luc Rémy,
26 Janvier 2004,
Ėtats-Unis d’Amérique

Viré monté