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Justice & Réconciliation

Serge H. Moïse

«Les défaites du droit sont toujours provisoires». L’arrêt de la Cour d’Appel de Port-au-Prince, présidée par l’honorable Jean-Joseph Lebrun confirme, si besoin était, cette maxime juridique trop souvent oubliée ou simplement ignorée des prédateurs, petits ou grands.

En effet, le jeudi vingt février en cours, soit deux ans après celle du juge Carvès Jean, concluant contre toute attente que «le crime contre l’humanité n’existait pas en droit haïtien», l’ordonnance de la Cour d’Appel, dans un souci de justice et d’équité a renversé la vapeur et remis la pendule à la bonne heure.

L’honorable Juge Durin Duret jr connu pour sa compétence et son intégrité est désormais en charge de la poursuite de l’instruction, en attendant bien sûr la décision de la Cour de Cassation puisque le défenseur de l’ex-dictateur a décidé de s’y pourvoir. Dilatoire ou pas, c’est de bonne guerre, la loi le lui permet, il fait donc feu de tout bois, ne serait-ce que pour gagner du temps en espérant un quelconque imprévu en faveur de son client. Ne sommes-nous pas le pays où l’impossible devient possible?

Nous saluons au passage la présence d’une femme remarquable au sein de la composition de cette section de la cour d’appel, en l’occurrence Me Marie-Jocelyne Casimir.

Il aura fallu quand même attendre deux longues années. On a beau convenir qu’il s’agit là d’un pas dans la bonne direction mais, pendant combien de temps faudra-t-il aiguiser sa patience pour que l’instance suprême dise le mot du droit opposable à tous.

Parler à n’en plus finir de démocratie et/ou d’État de droit et vouloir museler le pouvoir judiciaire c’est requérir le beurre et l’argent du beurre. C’est hélas ce qui se passe dans notre singulier petit pays depuis toujours, ce qui explique, sans le moindre doute, que nous soyons le pays le plus corrompu et le plus pauvre de l’hémisphère.

Que nos codes soient désuets et obsolètes, les juristes s’en plaignent depuis belle lurette, la population aussi, n’empêche que les gouvernements successifs et leurs thuriféraires ont toujours fait la sourde oreille, si bien qu’aujourd’hui encore, nous n’avons toujours pas une commission nationale de la réforme judiciaire, l’une de nos deux priorités incontournables. Nous réclamons cette commission depuis une vingtaine d’années mais nos «p-h-d» perroquets-hâbleurs-délirants ont toujours eu d’autres chats à fouetter.

Culture de non-droit, laxisme, magouille et impunité caractérisent la gouvernance de la jeune république. Les choix nocifs pour l’avenir de la nation ne sont pas dus uniquement à l’ignorance de nos élites. Ces dernières, toutes strates confondues, ont sciemment décidé, pour satisfaire leurs intérêts personnels et mesquins d’être, ce que l’ambassadeur américain John Curry appelle «the most repugnant elites», les élites les plus répugnantes. Et cela ne dérange personne pourvu que la déesse dollar demeure sonnante et trébuchante.

Plus d’un parlent de réconciliation nationale mais du bout des lèvres, ignorant ou faisant semblant d’ignorer qu’il ne saurait y avoir de réconciliation en dehors de la «Justice» qui doit être une pour tous.

Il est dans l’intérêt de monsieur Jean-Claude Duvalier, lui-même, de sa famille, des victimes, de leurs parents et amis, de la société haïtienne tout entière, que ce procès ait lieu de manière juste et équitable au nom de la morale et du bon droit.

En effet, si à l’issue d’un tel procès, l’accusé est renvoyé hors des liens de la prévention, faute de preuve ou autrement, ce dernier recouvre la pleine jouissance de ses droits civils et politiques, il est donc réhabilité aux yeux de tous. Dans le cas contraire, il encourt sa sanction, les consciences sont apaisées et à partir de ce moment, puisque force est restée à la loi, la réconciliation tant souhaitée devient possible.

Il en est de même pour tous ceux qui ont des comptes à rendre conformément à la constitution et aux lois de la république.

Dans l’état actuel des choses, un tel procès est-il réalisable dans des conditions optimales? Nous avons encore en mémoire le procès de la consolidation, celui des timbres et plusieurs autres simulacres dont regorgent nos annales judiciaires, sans oublier les innombrables procès qui n’ont pas pu avoir lieu jusqu’à nos jours et dont on ne parle même plus : l’assassinat de Me Mireille Durocher Bertin, celui du journaliste Brignole Lindor, celui de Me Albert Mecklembourg, du célèbre journaliste Jacques Roche, du député en fonction Yvon Feuillé, du directeur de la banque nationale de crédit, l’économiste Guiteau Toussaint, le leader du PDCH Sylvio Claude, l’inoubliable Jean Dominique ainsi que son gardien Jean-Claude Louissaint, pour ne citer que ces cas-là auxquels la malice populaire fait référence en chuchotant : l’enquête se poursuit!

N’oublions pas qu’il y a différentes écoles de pensée en droit. Nous rejoignons celle de Bentham qui veut que le droit soit fils de la morale et qui stipule clairement que le droit et la morale ont le même centre mais pas la même circonférence. Il y a les autres qu’il n’est pas opportun d’énumérer ici, sauf à préciser et à souligner à l’eau forte, le distinguo qui doit être fait entre les «technicalités juridiques» et la «Justice», au sens le plus noble du terme et qui a permis le développement de la théorie des circonstances exceptionnelles.

De plus, vouloir circonscrire ce cas d’espèce, qualifié de violation des droits humains et crime contre l’humanité, au niveau strictement du droit interne, c’est cautionner volontairement ou nom l’arrêt inique 168/13 de la cour constitutionnelle dominicaine.

Le pouvoir judiciaire qui est en principe l’ultime rempart de la démocratie, saura-t-il se montrer à la hauteur de sa mission historique et paver la voie à cette réconciliation nationale, paradigme d’ailleurs incontournable pour la renaissance du pays? Il n’est que d’attendre et d’espérer diront les désabusés.

Et bien non, la population tout entière et ses vrais leaders doivent demeurer vigilants et mobilisés plus que jamais, avec en tête et dans le cœur, les intérêts supérieurs de la nation afin que cette dernière puisse panser ses plaies et redevenir petit à petit, souveraine, belle et prospère.

Serge H. Moïse av.

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