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De l'humain à l'inhumain

Tony Mardaye

Il y a peu de temps je prenais connaissance d'un article parlant d'une vidéo circulant sur le Net «montrant un Haïtien en train de se faire couper la main par un Dominicain, comme au temps de l’esclavage.» L'article détaille les moindres faits de cette affaire, on est dans le dégoût, la répugnance, comment une telle violence peut-elle avoir cours, d'un autre côté je suis dans l'expectative, car nous ne sommes plus à une manipulation près, quel crédit puis-je accorder à ce que je vois?

Je souhaite écrire un article, mais  me questionne à savoir si je mets la vidéo ou pas en ligne. Est-il opportun d'agir de la sorte?

Ne faisant ni dans le scabreux, ni dans la démagogie, j’arrête ma décision: je la mets en ligne, car l’image peut contribuer à élucider cette affaire.

Comme toute personne, la justice est un sentiment que nous partageons, elle est de nature ontologique et ce crime me rappelle que je suis juriste spécialisé en droit de l'homme et en droit humanitaire entre autres, mais aussi que mes ancêtres ont eu à subir ce type de torture, je ne peux rester insensible, tout se révolte en moi.

Du for externe il y a matière, mais écrire dans la précipitation n’a jamais été mon credo. Je poursuis la lecture de l‘article: «Avec sa machette bien effilée en main, le Dominicain demande à l’Haïtien de tendre la sienne. Ce dernier, tout nu, s’avance timidement et allonge la main sur l’ordre de celui qui semble être son maître sur une pierre alors que son autre bas est déjà coupé.»

Au moment où je prends connaissance de cette ignominie, nous fêtons la soixantième année de la déclaration universelle des droits de l'homme, du 10 décembre 1948, signée à paris au palais de Chaillot, n’est-ce pas ironique!

L'article ajoute «D’un seul coup de machette le Dominicain tranche le poignet à l’Haïtien, qui a l’air d’un braceros. Il s’enfuit en courant en laissant sa main par terre.» Puis vient le temps des témoignages «Des Haïtiens avouent que ces types de comportements des Dominicains envers les Haïtiens dans certains bateys sont monnaies courantes, mais ce qui est nouveau c’est le désir de le montrer.» 

Je me dis comment un pays ayant signé la Charte des droits universels puisse tolérer sur son sol que des propriétaires terriens agissent de la sorte avec leurs ouvriers.

Depuis des années nous dénonçons les conditions exécrables dans lesquelles survivent les «bracéros» dans les «bateys» dominicains, ils vivent  dans le pur mépris de leur personne, mais à ce point ce n‘est plus  de mépris ou de déni du droit, ils s‘inscrivent dans un système esclavageant.

Trois articles de cette déclaration me reviennent en mémoire:

Art 1: Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

Il est certain que tout cela est une vue de l'esprit, nous devrions tendre vers ce but, mais dans la réalité, les êtres humains ne naissent pas libres et égaux en dignité et en droits.

Voyons l'article le plus important de cette charte, car elle conditionne l'ensemble, elle est l'architecture même de la déclaration universelle des droits de l'homme c'est l'article III: «Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne.»

Les Etats signataires ont placé l'homme au centre de leurs préoccupations, car nous sortions de la seconde guerre mondiale qui a vu les pires atrocités se commettre.

Et c'est de ce droit à la vie dont découle le reste des droits desquels  les  individus  peuvent se prévaloir.

A la lecture de l'article, l'idée qui me vient en tête, est que les personnages sont identifiés, il ne serait pas bien difficile de retrouver  le bourreau et rendre justice à la victime.

La République Dominicaine ne peut se soustraire car l'article V stipule: «Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.» Tous les signataires de la déclaration universelle des droits de l'homme ont transposé dans leur droit national ces dispositions de droit public international.

Le pays mis en accusation doit diligenter une enquête commune avec les autorités haïtiennes dans un souci de transparence afin de trouver le tortionnaire et ses complices.

Le gouvernement dominicain réfute ces accusations et argue d'une machination, cette vidéo est un montage à leurs yeux.

Tous les forums haïtiens ne parlent que de cela et suscite une vive réprobation des internautes et des appels au boycott sont lancés contre la République Dominicaine.

Je fouille les forums afin d’avoir le fin mot de l’histoire et je me dis pour agir de la sorte à visage découvert, il faut avoir un sentiment d'impunité et que jamais ils n'auront à répondre de leurs crimes, soit nous sommes dans un régime politique qui se moque éperdument du respect des droits de l’homme ou que la notion d’homme ne se limite qu’à leurs concitoyens ou nous sommes dans un pays ou la légitimité de l’Etat est fortement  contestée.

Puis une seconde piste s’ouvre à nous, la République Dominicaine n’est plus concernée, car  d'après le site colombien  www.lafiscalia.com,  il s’agirait d’un paramilitaire colombien d'Aguachica qui a coupé la main d'un paysan.

Le 10 décembre, le site de la  Radio Caracol, quant à lui fait état de la vidéo circulant sur Internet avec ce commentaire: «les groupes paramilitaires ont atteint un tel degré de cruauté et de déshumanisation que dans certains cas ils filment les tortures et assassinats de personnes signalées de collaborer avec la guérilla».

Les paramilitaires démobilisés disent que c'est une des techniques qu'ils emploient contre les paysans, mais ils commettent des crimes plus horribles, tuant par dizaines des paysans, découpant à la tronçonneuse  des êtres humains, avec eux nous frôlons l‘horreur.

Mais sur ces forums colombiens, certains nient la responsabilité des paramilitaires, disent  que la vidéo est vieille et que cela fait un bout de temps qu‘elle circule sur http://www.liveleak.com  mais omettent de mettre le lien où se situe la vidéo qui les permettrait de corroborer leurs dires.

Toutefois, d’autres  Colombiens admettent la responsabilité des paramilitaires colombiens en s’appuyant sur le vocabulaire des tortionnaires, la langue espagnole  parlée dans la vidéo est la même que celle parlée en Colombie. 

Je ne saurai prendre position sur ce terrain, seuls des experts, les Colombiens ou les Dominicains sont en mesure de déterminer si la langue parlée se rapproche de leur langue ou pas!

La police haïtienne et dominicaine en travaillant de concert sont à même de trouver le tortionnaire et de le faire condamner, s’il s’agit d’un ressortissant dominicain.

Si c’est un paramilitaire colombien, la question qui se pose est de savoir s'il faut ou non juger ces criminelles qui ont enfreint toutes les lois et le droit de gens?

Est-ce le fait de déposer les armes les exonère des crimes qu'ils ont commis?

Et enfin comment indemniser les paysans, victimes de ces monstres?

Je crois qu'il est difficile de parler d'hommes, leurs actes, leurs crimes les retranchent de l'humanité.

Tony Mardaye

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