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Moi poète qui n’avais pas besoin de confinement Jean Baptiste Anivince Le Nouvelliste | 2020-06-26 |
Je suis l’habitant rebelle du confinement. Et parfois, il m’arrive même de penser que ce confinement va me tomber dessus. Après la dégustation d’un bon livre qui vient de me rajeunir la mémoire et l’esprit, je dois pouvoir voir la rue, bruyante, grouillante, sa chaleur, sa beauté, ses folies, sa sagesse, sa laideur, sa danse parlante, hurlante et multicolore sous ce soleil chauffé à blanc. Surtout quand le jour est au beau milieu de sa vie. Je dois pouvoir vivre le livre de la réalité confinée dans la rue avec ses lots comiques ou tragiques de suspenses, de personnages à multiple rôles, sans incipit. Je dois pouvoir rencontrer mes amis pour parler littérature, aventures, lectures, demain, langues… J’ai toujours habité mal le confinement, peu importe son nom ou les raisons motivatrices. La rue est mon inspiration. Je suis le poète du bruit. De la rue. Le poète de l’éternité et son neveu en même temps. Je suis de cette race de poètes se situant sans débat dans ce que la génétique textuelle appelle processus d’écriture à déclenchement rédactionnel. Écrire m’arrive toujours ou généralement par surprise. Mon produit littéraire je l’extrais de la vie qui bouge, des bars où l’on débarrasse la bouteille pour satisfaire la folie disponible pendant qu’une musique quelconque s’amuse à dire toute sorte de choses. Je suis l’habitant rebelle du confinement.
Ecrire est plus beau quand ça vient des rues qui bougent où le va-et-vient des paroles inattendues, les bruits toujours trop vivants des klaxons, s’érigent en un tout désordonné pour offrir à l’oreille un de ces concerts les plus improbables qui ne naissent qu’ici dans cette capitale décapitée, décapitalisée de sa paix, de sa vie. Je suis de cette famille de poètes qui voient plus de poésie dans le bruit que dans la mare tranquille du silence. J’aime la poésie qui sort du bruit en silence. Qui aime la rue. Qui aime dire la rue avec sa douleur et ses déboires puisés dans la vie à souffrances de ces enfants qui se souviennent d’un domicile qu’en voyant le faîte étoilé de l’espace lointain au-dessus de leur petite tête pleine de rêves.
Au confinement tout est permis. Hormis la vie habituelle. La rue m’a toujours offert plus que ce tout proposé par le confinement. Mais aujourd’hui, sans me regarder dans les yeux, elle m’apporte cette peur de sortir, cette peur de mourir dans la mêlée mondiale. La rue m’a toujours aidé à effacer ses jours de vide immolés dans le cinéma des souvenirs, ses coup bas, l’hypocrisie de la vie, des amis, du pays cocu, abscons. Elle m’a toujours rappelé que la vie est faite de bruits et de silences entremêlés et / ou séparés, autonomes, indépendants et dépendants à la fois. Elle m’a toujours enseigné que les promesses à saveur présidentielle ne sont que des bruits sans silence. Parce-que lorsqu’on agit ou travaille, on fait silence. Confiner me fait penser plus à ces belles têtes voyagées pour le confinement éternel au cours de l’année. Ces dieux humains qui ont utilisé l’encre pour marquer la vie et la littérature. Je pense rapido-presto à Georges Castera, l’un des meilleurs architectes de la poésie créole, pour qui je cultive une estime éternelle. Je vois Luis Sepúlveda, ce grand écrivain chilien dont le livre, «Le vieux qui lisait des romans d’amour», apprend beaucoup sur sa dimension écologiste et humaine.
Habitant obligé du confinement, j’ai bien reçu cette lettre de soutien de la Direction nationale du livre aux écrivains. Un chèque de soutien moral et psychologique. Et pourtant, j’attends le temps des recommencements depuis tant et tant de temps. Et pourtant, j’attends des bruits de soutien de la vie. J’attends encore ce chèque de bruits familiers de la rue pour enrôler mes folies normalement sur le temps.
Je crois que la poésie est l’expression créatrice des âmes fortes devenues trop sensibles devant la vie qui a trop de bruits et de silences mal arrangés. Si Dieu a créé l’homme à son image, nous les poètes nous recréons le monde et créons des mondes avec des images. Avec des mots. Confiné, j’écris moins que d’habitude. Pas assez de bruits pour accompagner les silences. Je relis mes manuscrits, mes livres et naturellement ceux des autres: Pestifiants de Yves Marie Seraline; le volumineux roman Anges et Démons de Dan Brown; Brooklyn Follies de Paul Auster, traduit en français par Christine Le Bœuf. Je passe aussi du temps avec les livres de cette belle vague de plumes qui nourrissent la littérature de la langue créole: Wilkens Fifi, Jessica Nazaire, Roniro Jean-Baptiste, Inéma Jeudi, Selmy Accilien, James Francisque, André Fouad, Iléus Papillon, Toli, Clermont Samuel, pour ne citer que les premiers noms qui me viennent à l’esprit.
Moi, habitant réfractaire du confinement, neveu de l’éternité, jouisseur et chercheur de bruits, j’avoue que je n’ai pas de miroirs pour habiter l’absence. Ma ville, archipel de verres. Comment vivre cette descente horizontale de l’humanité provoquée par l’humanité? Le virus a été peut-être confiné quelque part avec sa couronne, sans pouvoir, dans le royaume d’un silence. Mais, aujourd’hui, il nous confine. Pauvres nous qui sommes confinés avec tant de rêves en attente, tant de peurs et de doutes quotidiennement renouvelés ! Ah ! ce bordel de confinement qui vient enlever un peu de sel à notre régime d’existence!
Moi poète habitant rebelle du confinement
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