“La poésie est l’ouverture et fermeture d’une porte et ceux qui ont la chance de regarder dedans parviendraient à deviner un mystère bâti de mots.” Telle fut l’opinion de Carl Sandburg sur la poésie. Plusieurs acceptions ont été léguées à la poésie. Pour la plupart, les poètes sont des gens mystérieux et énigmatiques. Depuis le poète Horace, la poésie a souvent été considérée comme une peinture, une représentation agréable. Sa mission est donc d’apporter le pittoresque. Pour Platon, l’inspiration se confondait étroitement avec l’enthousiasme poétique, sorte de présence divine possédant le poète. Platon pensait que les poètes les plus parfaits n’étaient pas le produit de l’art des hommes, mais bel et bien l’œuvre des dieux.

Au fil de l’histoire, on ne cesse d’opposer la poésie à la philosophie. À savoir, la poésie est relative à la passion, tandis que la philosophie est plutôt propre à la raison. Dans “ Les Yeux de la Nuit”, la poésie diaphane d’Élie Fleurant se veut une conciliation épistémologique et littéraire entre les épistémologique et littéraire entre les deux synthèses. Le poète diaphanéiste sculpte une tentative innovatrice, voire audacieuse, dans la littérature.  Ce coup d’essai du poète, loin d’être néophyte, emboîte un pas tangible dans la genèse d’une philosophie moderne baptisée diaphanéisme.

Une école littéraire, ou du moins une poétique, dit-il, de raison, d’harmonie sociale et de bien-être collectif. Cette symbiose de poésie et philosophie se veut un parloir, une authenticité dans la compétence littéraire.

Cette cohésion esthétique et éthique, à la fois, semble façonner une alliance dubitative entre lexicologie et phénoménologie.  Élie Fleurant, dans sa poétique diaphane, tâche de situer un effort de compréhension et de substitution dans une création littéraire et doctrinaire. À savoir d’une part la poésie fait valoir le rationnel; de l’autre la philosophie devient spirituelle et spéculative. Tout de même, il demeure indubitable, selon le poète-philosophe Elie Fleurant, que la poésie est l’antre de la philosophie et que poètes et philosophes sont tous deux amoureux de langage, et leur vision syncrétique se conflue dans l’humanisme.

L’art poétique de Fleurant est versatile et impromptu: tantôt,  il est le poète engagé et factieux; écoutons-le dans l’Affront des Matryrs:

Toi qui essaies de franchir le cénacle des incurables,
N’oublie pas ton bouclier, du moins ton glaive!
Car au royaume des Vautours, on saigne à blanc.

Tantôt il est le poète romantique à l’instar d’un Musset:

Au cœur de tes yeux noirs,
J’ai vu l’encre noire, artisane de ma muse subtile;
J’imagine la harpe d’un ange
Jouant le refrain de mon troubadour,
Et Saint-Valentin chantant l’hymne de
l’amour.

Et dans son poème: “Énigme de mon Équation”  il devient soudain énigmatique et discret:

Et d’un coup, le quillon brise le double miroir
De mon argile noire.
Mille fragments se dispersent en étoiles
Ouvrant la vanne de l’aurore d’où renaissent mes calices.
Et ce fut, la genèse du Centaure
Et sa nomographie en croix de fleurs.

La philosophie du Diaphanéisme est loin d’être monolithique. Outre le domaine épistémologique, il émane aussi de la couleur locale et patrimoniale. Des poèmes comme“ As-tu vu mon Pays”, “ Le Messie Noir”, poème dédié à Toussaint Louverture, témoignent son attachement au terroir natal. L’antillanité est aussi la toile de fond de cette poétique diaphanéiste. Dans son poème “Kreyól Pa Nou” dédié à son collègue, le poète guadeloupéen, Hector Poullet, il essaie de rompre le clivage existant entre le créole haïtien et le dialecte guadeloupéen. “La Parole de Nuit” de Ralph Ludwig, rassemble une pléiade de poètes antillais préconisant antillanité et couleur locale. La liste est longue: Patrick Chamoiseau, Hector Poullet, Raphaël Confiant, René Dépestre, Édouard  Glissant, Bertène Juminer, Ernest Pépin, Gisèle Pineau, Sylviane Telchid. La dialectique du Diaphanéisme ne s’écarte pas de La Parole de Nuit, un bréviaire et porte-parole de la littérature antillaise.
Elie Fleurant désapprouve le mimétisme antillais. Il révèle:

“ Le diaphanéisme soutient que l’art est un idéal de beauté et de création dans l’inspiration humaine. L’art doit être pur dans tout son contenu et affranchi de toute règle de censure.

L’artiste doit se focaliser sur le conscient et la réalité de son milieu ambiant afin de produire l’esthétique et l’imaginaire. La littérature d’un pays suit toujours des directions générales, elle s’oriente selon des doctrines folkloriques, psychologiques, esthétiques et métaphysiques. De ce fait, les poètes antillais doivent faire montre de créolité, antillanité et ipséité dans la matrice même de leurs pulsions dialectiques et poétiques. Cet engagement à une littérature militante condamne le mimétisme et la littérature empruntée.”

(Extrait de “Les Yeux de La Nuit”)

Élie Fleurant réprouve le surréalisme populaire ou “antillanisé” qu’il stigmatise de “ littérature mimétisée” ou empruntée. Et pourtant,   ajouta-t-il, quand le mouvement surréaliste, (ayant pour chef de file André Breton) fit son entrée sur la scène littéraire et philosophique, les poètes antillais s’ouvrirent à cette doctrine comme le canard se jette à l’eau.

Somme toute, “Les Yeux de la Nuit” d’Élie Fleurant est une nouvelle forme de poésie et d’imagination qui proclame son individualité. Cette école littéraire-philosophique n’a ni clivage ni frontière. Elle est humaniste, progressiste, optimiste, spirituelle et elle fraie un chemin vers le bien-être collectif.

Les poèmes qui élèvent ce recueil relèvent de la panacée et semblent faire une promesse de plaisance. Il n’est pas de domaine de la pensée ou de vertu sur lequel ce livre ne se soit nettement prononcé. Elie Fleurant se veut non seulement humaniste mais il semble vouloir brider et réprimer les tares d’une société déjà avariée. Le recueil “Les Yeux de la Nuit” nous ouvre une porte d’espoir. C’est un livre qui vaut la peine d’être lu.  

 Viré monté