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Mon odyssée au Québec Photo F.Palli. |
Il est hiver,
Le ciel sombre semble de sa mousseline grise
Envelopper toute l’étendue du lac Champlain.
Et je me laisse emporter par le vent lointain.
Le train s’élance en toute allure,
Il siffle, hurle d’un bruit à tout rompre,
S’enfonce au cœur du vent,
Bousculant les brouillards moiteux et figés.
Soudain, à travers les sapins gelés,
J’entrevois un immense parterre de glace,
Miroir du firmament brisé par les raids de l’hiver.
Lac Champlain! annonce le conducteur.
Déjà, mes yeux curieux et avides s’attachent
À cette scène rustique ensorcelée
Par le froid mystique et polaire.
Le lac devient une scène idyllique et téméraire.
Ni le froid ni le cristal hostile ne peuvent ralentir
Les émois et élans.
Tandis qu’aux confins des frimas
Deux amants frileux s’enlacent
Pour allumer ferveur et chaleur,
Deux autres pêcheurs jettent
Leurs hameçons aux creux du polyèdre en quête d’ablettes.
Or le Centaure reprend ses habitudes,
La fille de Nyx troue la sphère de ses doigts gluants
Épiant les amants de lunes meurtries
Ensevelis de laine et de pudeur.
Ô Chioné, déesse de la neige!
Quand ton pied glacé emboîte l’empreinte de l’ours blanc,
Passant l’oiseau mort sur la lande desséchée,
Tu deviens d’autant obstinée pour cuirasser les pluies
Et chasser les hirondelles.
Mais astre timide, où sont-ils tes rayons
Pour faire renaître la saison des fleurs et de la rosée?
Clip… Clap… Clip… Clap…
Et le train poursuit lentement son chemin
Sans pour autant dérober les pensées;
Introspections de la conscience,
Odyssée du subconscient.
Quand la réverbération du verglas séduit le fantasme,
C’est l’illusion qui revient en dormant;
Et le Centaure dort… Il dort à l’allure du transport docile
Du wagon vagabond et futile.
Enfin, à travers les quadrants diaphanes et précaires,
Vient un spectacle qui enchaîne les yeux et l’attention:
Voici le pont Champlain qui surprend un enfant se réveillant
À peine de son sommeil.
Or la souvenance se recueille de sa splendeur:
L’autoroutier est donc bâti à partir
Des berges de l’île des fleurs et des sœurs.
Jacques Cartier et Samuel de Champlain
Ont esquissé la croix du Christ au seuil du port royal;
Ville-Marie est donc baptisée où les aïeux
Vivaient dans la chrétienté, charité et fraternité,
Héritage sacré.
Le matin s’élève, je me réveille
Par les doigts du soleil tiède
De la cité merveille.
Le gel et les flocons de neige
Viennent s’abattre sur les vitres du Novotel.
On pense que le froid peut altérer le cœur des insulaires…
Et pourtant, il n’y eut que douceur et ferveur
Dans les rues du mont Royal.
Les nymphes en cotillon et mini-jupes
Semblent se gausser de l’hiver
Préludant la saison des fleurs.
Ô Flore, déesse du printemps et de la fertilité!
Ô tribu des Apennins!
Puis Laval, ville moderne et achalandée
Chamarrée d’appas.
Et quand le soir vient, la Maison du Jazz
Ouvre ses portes.
Le bistrot bouge et s’anime au vocal de Sarah Vaughan et Billy Holiday.
Les chandeliers vibrent au son de Louis Amstrong et de Léna Horne.
Tandis qu’à la lisière du cabaret deux filles d’Aphrodite,
Elvie et Odette, redorent l’agrément du Centaure.
Et c’est fête, rire et délire.
La vanne du plaisir ouvre sur la taverne.
Du reste, du mont Royal à Laval,
Et parcourant les montagnes somptueuses de Sherbrooke
Jusqu’à la vieille église de Saint-Isidore,
Où Zeus noue les polyèdres glacés à la splendeur de l’olive,
Je consens que ni la neige ni les rayons de soleil
Ne peuvent causer le cafard ou le délice de l’espèce,
Sinon l’ipséité et la passion pour la vie et la survie.
Or l’homme briguant la catastrophe
Cherche à reprendre les tulipes pâles et cotonneuses
Pour sa poisse.
Est-ce le Nazaréen devin ou divin?
Pardieu! La tâche est ardue pour les âmes souveraines et chrétiennes.
Ô velléité de vertu et d’indulgence!
Ô passé des Iroquois!
Ô amis québécois de nos combats!
Que l’héritage de la Ville-Marie
Reste à jamais ton effigie!
Élie Fleurant
Montréal, mars 2015