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Yvon Ciné,  promoteur et bassiste
du Tabou Combo, est parti

Élie Fleurant

Yvon Ciné, ancien agent artistique et bassiste du mythique groupe Tabou Combo, vient de tirer sa révérence lundi dernier à l’Hôpital Baptiste de Kendall, en Floride. L’artiste résistait depuis quelques mois à une maladie qui l’a finalement contraint à plier bagage. Lorsque mon ami Henri (Rico) Chaumin m’a appelé pour m’annoncer cette nouvelle lugubre, j’ai été pris au dépourvu, car on n’arrive jamais à s’accoutumer à l’emprise de la mort. Toutefois, si la vie est une existence réelle, par rapport aux illusions et aux rêves, la mort est structurelle; elle fait partie du cycle de la vie. Spinoza nous dit: «L’homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort, et sa sagesse n’est point une méditation de la mort mais de la vie».

Yvon Ciné est né à Pétionville. Il commence sa carrière musicale avec Tabou Combo qu’il joint dans les années 1960. C’est au début des années 1970 qu’il émigre aux États-Unis. Fidèle et rigoureux, il poursuit son aventure avec le groupe, mais s’occupe surtout de la gestion. Sa constance immuable lui a d’ailleurs valu un pseudonyme affectueux de la part de ses collègues: Préfet de discipline.

Nous sommes à New York, en 1973. Rico Chaumin et moi venons d’obtenir notre diplôme universitaire. Électrisés de vitalité et de fougue intellectuelle, nous formons un partenariat avec Yvon Ciné pour fonder Quoi de Neuf?, l’un des premiers journaux de la diaspora haïtienne. Contrairement à Haïti-Observateur qui est alors un hebdomadaire d’affinité politique, Quoi de Neuf? est plutôt un bulletin culturel et social. Yvon est ainsi partie prenante du périodique, principalement pour tout ce qui touche au marketing. Il ne fait pas la forte tête; il est le joueur d’équipe au sein du cénacle, rien que pour l’épanouissement du journal.

Ciné était un amphibie, un touche-à-tout. Outre la musique, il s’intéressait aux affaires, à l’architecture, à l’art, au sport et à la politique. Il occupait un poste administratif à la Minoterie d’Haïti sous le gouvernement de Bazin. Il avait fondé plusieurs groupes musicaux et était tant discographe qu'agent artistique de fameux ensembles tels que Tabou Combo, Magnum Band et l’incomparable Caribbean Sextet.   

Peut-être Ciné n’avait-il pas reçu la récompense que méritaient son caractère et sa grandeur d’âme. C’était un homme d’une grande intégrité et générosité. Fier de sa citoyenneté haïtienne, Yvon avait choisi de résider dans sa terre natale malgré vents et marées. Il avait fait planter deux géants palmistes, se dressant sublimement juste à l’entrée de son manoir. Il se plaisait à proclamer que ces palmiers jumeaux constituaient un emblème de solidarité en hommage à sa patrie souveraine.

Yvon Ciné aimait la sérénité et la solitude. Il menait une vie de chanoine dans son manoir dont la cour était garnie de voitures luxueuses et européennes. Il aimait le sport. Sa gymnastique préférée était la marche. Chaque matin, il se promenait dans la vaste cour de sa maison en fredonnant des chansons de sa souvenance. Somme toute, la musique était chevillée dans son fantasme, car parfois on le voyait pincer les cordes de sa guitare basse pour se distraire.  
  
Avant de bien connaître un ami, il convient de manger beaucoup de sel avec lui. En 2015, Anaïse Chavenet, directrice de Communication Plus, m’avait invité à Livres en Folie après la sortie de mon recueil de poèmes, Les Yeux de la Nuit. En arrivant à l’aéroport Toussaint Louverture, un soleil de plomb m’attendait. Une chaleur qui pouvait fendre les pierres brûlait le parterre de la capitale. C’est au comble de cette canicule que les deux dévoués amis Rico et Yvon vinrent me chercher à la descente de l’avion.

En arrivant au manoir, la table était déjà mise pour un savoureux repas. La cuisinière, un cordon bleu créole par excellence, nous avait préparé des plats succulents propres à l’art culinaire haïtien: tasso kabrit, bouillon tèt kabrit, akra, bananes et patates frites croustillantes et, bien sûr, un régal accouplé avec le riz et le poa nèg. Avant et après notre plantureux repas, ce furent appas et attraits à la viticulture, suivis d’une sieste et de rêves orphiques.

Yvon Ciné était un «gentleman accompli». Son sens de l’hospitalité, son savoir-faire, sa bonne humeur et son affabilité m’ont permis de passer des séjours agréables chez lui, à Port-au-Prince.

Yvon, mon cher utérin, je me joins à Rico pour te dire non pas un adieu sinon qu’un au revoir. En cette circonstance douloureuse, nous témoignons notre vive sympathie à la famille éprouvée.

Je suis debout au bord de la plage;
Un voilier passe dans la brise du matin,
Et part vers l’océan.
Il est la beauté, il est la vie.
Je le regarde jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’horizon.
Quelqu’un à mon côté dit:
«Il est parti!»

P.S. Merci de partager cette annonce avec les amis et proches.                   

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 Viré monté