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Les quatre états requis d’un chef d’État

Par Jean L. Prophète

10. Août 2010

Citadelle par Blaise Saint-Louis. Sorce Galérie Monnin.

À l’approche de nouvelles élections présidentielles, le dépôt des candidatures soumises à l’examen, au jugement et au verdict du  CEP,  aura provoqué diverses réactions qui vont de la méfiance vouée au gouvernement en place à la suspicion sinon à la dénonciation, ou à l’accusation d’ingérence de forces étrangères dans le processus électoral. Mais surtout, on est concerné par les qualifications des candidats inscrits. Outre les prescrits de la constitution et de la loi électorale, il s’agit pour chaque électeur pris individuellement ainsi que pour la communauté nationale de poser les conditions idéales pour quiconque veut être le responsable suprême des affaires de la république. La démocratie généralement définie, le gouvernement du peuple pour le peuple, par le peuple, entité concrète certes mais vague et empirique  il  faut constamment veiller à ce que le système démocratique n’encourage  ni la médiocrité ni l’élitisme exclusif.

Il convient d’éduquer les électeurs, de les guider et d’indiquer quelques critères avouables appelés à épargner autant que possible au pays, les surprises déroutantes et trop souvent décevantes des percées. Ce qui hélas! avait inspiré à l’humour caustique d’un congénère africain pas plus heureux que nous, la saillie suivante, d’autant plus embarrassante qu’elle est révélatrice d’un trait familier de  notre histoire politique: “En  Haïti, pensa-t-il tout haut, les coups d’État sont des élections” ou vice versa.

Ainsi au terme incertain de cette compétition dite démocratique qui s’annonce dans le doute, voire dans  le désespoir et dans l’angoisse, le choix du chef d’état se doit d’être soumis aux exigences nécessaires et suffisantes de quatre conditions ou états découlant de la problématique de la compétence et de l’intégrité combinées. Il s’agit  donc de l’État civil, de l’État de santé, de l’État d’esprit et de l’État d’âme

État Civil

L’état civil s’entend généralement du statut d’un citoyen soit qu’il est majeur ou mineur, qu’il est  marié ou non, qu’il exerce telle ou telle profession, etc. Ici l’expression est prise dans son sens le plus large englobant les droits civiques et notamment la question de la nationalité, telle qu’elle est  inscrite dans cette fameuse  constitution de 1987 qui régit encore ou qui sert plutôt de guide légal à la vie politique haïtienne. Elle constitue la condition primordiale d’éligibilité pour être chef d’état ou responsable élu des choses de la république. En effet, concernant respectivement  les fonctions électives de Député, Sénateur, Président de la République, ainsi que celle désignée de premier ministre, chef de gouvernement, les articles 91, 96, 135, 157  stipulent clairement qu’il faut être haïtien d’origine et n’avoir jamais renoncé à sa nationalité.

Néanmoins, exerçant  une forte pression sur l’opinion publique, les Haïtiens de la diaspora incontournables pourvoyeurs de l’économie nationale posent désormais la question de la double nationalité comme une nécessité. Forts de leur généreuse contribution à la vie économique du pays, de leur patriotisme ou d’une sorte de nationalisme hybride, les naturalisés revendiquent leurs droits à la gestion des affaires de la république au même titre que les autochtones. De plus en plus, cette question fait son chemin et semble sinon vaincre les résistances du moins ramener les intransigeances à plus de souplesse. Quoiqu’il en soit, l’État civil tel que l’entendent les articles  91, 96, 135, 157 ajoutés à l’article 15 demeure jusqu’à révision, amendement ou refonte totale, la condition première d’éligibilité aux fonctions soulignées même si l’interdiction formelle et catégorique, contenue dans l’article 15 de la dite constitution (“la double nationalité haïtienne et étrangère n’est admise en aucun cas)  n’est pas toujours respectée dans les faits.

État de santé

Les contraintes de la démocratie moderne supposent un état de santé robuste. La liste des circonstances qui demandent la présence du chef de l’État peut être interminable. Depuis les visites officielles de dignitaires étrangers, les déplacements imprévus, prises de contacts, voyages d’intérêt national, l’inauguration de monuments historiques, d’hôpitaux de centres d’enseignement, la commémoration des grandes fêtes nationales jusqu’aux accidents spectaculaires et tragiques, aux catastrophes naturelles aux conflits sociaux sans compter les mille et une  réunions de travail, conseil des ministres, réceptions diverses, jusqu’aux rapports quotidiens avec les médias et aux compte-rendus périodiques avec la population en vue de satisfaire aux exigences de la transparence. Notion qui s’impose de plus en plus, indissociable de la gestion moderne de la chose publique. L’Histoire d’Haïti est polluée de régimes dictatoriaux. Ils ne pratiquaient la transparence qu’à l’égard des décisions ou mesures utiles à la propagande favorable à leur gouvernement. Aujourd’hui la société politique en fait l’apprentissage et l’expérience. Cette exigence de transparence de plus en plus imposante réclame du chef de l’État ou du gouvernement une disponibilité de 24 heures par jour. Ce qui, sans nulle doute, ajouté aux autres servitudes propres à la démocratie moderne, nécessite cette vigueur et cette endurance physique, réservées par la nature à un certain groupe d’âge  sans préjudice des exceptions possibles ou même souhaitables. Dans ce sens,  il est néanmoins concevable et voire préférable que les affaires de l’État soient confiés à des hommes ou à des femmes capables et intègres, rompus à l’administration des choses et au gouvernement des hommes. Mais généralement, ceux-là appartiennent au  groupe d’âge dont les qualités physiques s’avèrent de plus en plus  décadents. L’idéal malgré tout, serait que ce groupe d’âge plus avancé soit victorieux aux prochaines élections. À moins qu’il veuille bien présenter un jeune de la relève et le soutenir de tout le poids de l’expérience, du savoir et de la sagesse des aînés.

État d’esprit 

L’état d’esprit, autre facteur appelé à déterminer le choix du futur chef d’État c’est la somme des connaissances théoriques et  pratiques combinées avec l’expérience acquise des choses et des gens dans la gestion des affaires de l’État à un niveau supérieur. Plus question d’élire un béjaune ou un blanc-bec exhibitionniste dont le premier emploi serait celui de chef d’État.  En plein XXIème siècle, engagé inéluctablement dans le courant du phénomène de mondialisation, il n’est pas concevable de placer au sommet du pouvoir public un citoyen qui ne soit armé d’assez de connaissances et d’expériences lui permettant au moins de pouvoir  discerner le vrai du faux et profiter des conseils de  collaborateurs éventuels, techniciens du savoir pratique. L’article 200-5 de la constitution de 1987 requiert des membres de la Cour des Comptes une licence en Droit ou un diplôme d’études supérieures comme condition d’accessibilité à ce poste, alors que pour être président, premier ministre, ministre, législateur, il n’est même pas besoin d’être bachelier. C’est donc aux électeurs, à leurs guides lucides et honnêtes, aux leaders patriotes, aux candidats de dénoncer la substance obscurantiste du slogan Analphabet Pa bet et de veiller à ce que la démocratie ne devienne une caricature ni que l’on en fasse le bouclier de la médiocrité. Il convient de redonner au pouvoir exécutif, notamment  à l’institution de la présidence son prestige perdu.

État d’âme

On ne cesse de répéter que depuis deux cents ans le pays ne fait que régresser. On en blâme les dirigeants. Critiques ponctuelles soulevées tantôt contre les généraux tout puissants du temps jadis, routiniers de la chose publique, tantôt contre les  professionnels, intellectuels, hommes de loi, spécialistes des sciences sociales, technocrates et même membres du clergé; de ce clergé pourtant bénéficiaire généralement de préjugés favorables. L’absence ou la carence de l’état d’âme, cette qualité rare constitue à tort ou à raison le reproche commun le plus courant dont toutes ces catégories sont accusées. Si l’état civil, l’état de santé, l’état d’esprit tels que définis ci-dessus sont nécessaires, ils ne sont point suffisants. Il faut ajouter l’état d’âme, cet ensemble de vertus et de comportements découlant d’un sentiment patriotique inébranlable intimement lié aux principes et aux valeurs de la démocratie proprement dite.  C’est-à-dire, l’intégrité, la rectitude, la transparence, le sens élevé de la justice, de l’équité, de la tolérance, de la compassion et de la grande solidarité humaine. Sentiment patriotique exprimé, pratiqué, illustré par la volonté, la conviction, l’action concrète, la bonne renommée et l’engagement clair et indubitable de servir les fils et les filles du pays  à profit égal, sans parti-pris, sans préférence ni distinction de classe, de couleur ou de religion.

Conclusion

La date des élections se rapproche. Dans la conjoncture actuelle, il s’agit de  ‘’savoir connaître ‘’ce qui peut faire un chef d’état d’un citoyen haïtien. Les candidats attendent. Expectative tour a tour vigilante, anxieuse résignée. Seront-ils admis a participer à la course? Qu’importe,  Ils ont tous à peu près les mêmes discours, pavés d’hyperboles, de bonnes intentions et truffés de généralités, de clichés et de lieux communs. Ce groupe de puissances qui se fait appeler communauté internationale est là aussi qui veille, on ne sait trop à quoi. En tout cas, les chars blindés, les casques bleus, les mitrailleuses menaçantes ne dissipent ni la confusion ni l’insécurité. Tueries, vols à mains armées, enlèvements, terrorisme, chaos, anarchie, voilà le quotidien. Voilà où l’on en est à l’avant-veille des élections présidentielles. Il y a certes un gouvernement, un exécutif bicéphale comme le veut la constitution: président  et premier ministre, tous les deux installés grâce à une sorte de percée que d’autres ont réalisée pour eux. Il y a aussi  une force armée de police mais si faible qu’elle ne peut même pas se protéger. Donc plus aucune possibilité de percée traditionnelle. Il ne reste plus qu’à se rabattre sur le beau désespoir d’un  événement innommable et que moins malheureux que Diogène, le pays  trouve enfin des hommes et des femmes de caractère qui sachent combiner avec les hautes vertus morales d’intégrité, d’humanisme et de courage, les qualités intellectuelles  de vision, de savoir et de compétence.

10 août 2010

boule

 Viré monté